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Sécurité, libertés et Ponce Pilate





Le 2 Décembre 2019, par Nicolas Lerègle

Une interview croisée parue dans le Monde daté du 30 novembre s’intitulait doctement « Pour les démocraties, la question n’est hélas plus de juger les combattants fanatisés, mais de les exterminer » et permettait à Michel Terestchenko (maître de conférences de philosophie à l’université de Reims et à l’IEP d’Aix-en-Provence) et Auberi Edler, réalisatrice du documentaire Des bourreaux aux mains propres de disserter sur le sort, sévère, réservé aux terroristes (islamistes) ayant attaqué la France depuis quelques années.


Sécurité, libertés et Ponce Pilate
Cette question du traitement qui doit être réservé aux terroristes de nationalité française partis combattre dans les rangs de Daech/ISIS ou d’autres groupes de même nature est posée depuis quelques années. Elles suscitent des réflexions nombreuses allant de savoir si un droit quelconque est susceptible d’être appliqué à ces combattants ennemis avérés et comment concilier une réponse négative avec les impératifs moraux d’une démocratie.

L’Histoire montre que par essence les démocraties sont faibles quand elles sont confrontées à des forces nihilistes qui n’ont aucune attirance pour un système politique et une organisation de la société reposant sur les principes d’égalité, de liberté et de fraternité pour ce qui est de la France, en y ajoutant la laïcité. Le régime démocratique se considérant comme le plus idéal pour préserver les droits de l’homme il a du mal à considérer que l’on puisse lui nuire et, dans cette hypothèse se sent obligé d’adopter un traitement conforme à ses principes à l’égard de ceux qui voudraient sa disparition.
Si on peut être d’accord avec les deux auteurs de cette tribune croisée à savoir que la torture n’a jamais empêché un attentat d’être commis il est pour le moins candide de penser qu’une aimable conversation peut permettre de collecter des informations.
S’il est tout à fait inadmissible que des citoyens français soient soumis à des traitements dégradants, violents assimilables à de la torture il est intellectuellement malhonnête d’oublier que ces mêmes français ont renoncé à leur nationalité en arrivant dans l’Etat islamique en brûlant leurs passeports pour ensuite mieux se retourner contre leur pays d’origine en y organisant attentats et recrutements.

A la question de savoir s’ils doivent pour autant être exterminer ? La réponse n’est pas facile car le mot exterminer n’est assurément pas le bon, il est certainement utilisé à dessein pour rendre inconfortable une réponse affirmative. Il est, cependant, impératif que ces combattants radicalisés soient mis hors d’état de nuire. Et ce le plus loin possible du territoire national. Les auteurs de cet entretien omettent (délibérément ?) de prononcer le mot de guerre y substituant en permanence un vocable, le terrorisme, qui n’a plus de raison d’être dans le conflit qui a opposé, visiblement ou non, de nombreux pays avec ISIS.

Loin d’un terrorisme ponctuel nous étions bien dans une situation de guerre asymétrique comprenant tous les paramètres des conflits auxquels nous sommes habitués depuis le XXème siècle. Des prétentions territoriales, l’instauration d’un gouvernement, un cadre législatif (la Charia), des pulsions de purifications ethnico-religieuses, des services de renseignement et des actions à l’extérieur – les attentats qui ont frappé la France par exemple. Les combattants radicalisés, dont des études récentes montrent que les motivations allaient de la croyance religieuse à la détresse sentimentale, ne sont pas des simples terroristes comparables à ce qu’ont pu être en leurs temps l’ETA, l’IRA, Action Directe, la bande à Baader ou les Brigades Rouges. Ces groupuscules avaient une idéologie et agissaient sur un territoire donné avec des cibles choisies. Rien à voir avec des combattants radicalisés qui cherchent tout bonnement à substituer à nos modèles démocratiques de sociétés et qui, pour cela, tuent sans distinction.

Se pincer le nez en déplorant que des gouvernements démocratiques décident de mettre hors d’état de nuire, y compris en laissant d’autres Etats les juger, des combattants ennemis – y compris ses anciens nationaux – est plus qu’une erreur. C’est se priver des moyens d’une réponse adaptée à une menace qui n’a pas cessé, nos soldats tombés au Mali en sont, hélas, la triste preuve. Il n’existe pas de guerre propre et la seule maxime qui vaille c’est vae victis.

Une démocratie ne sort jamais grandie en étant faible. Sur le plan des principes, on ne saurait refuser que des personnes ayant, par leurs actes, renoncé à leur nationalité française soient détenues, jugées et éventuellement condamnées à mort en Irak, pays dans lequel elles ont commis des actes de guerre, pays dont nous reconnaissons la souveraineté et avec lequel nous entretenons des relations diplomatiques normales. Sur le plan juridique, le code pénal comme la jurisprudence de la Cour de cassation reconnaissent la compétence des tribunaux français en matière d’acte terroriste commis par un Français à l’étranger cela ne signifie pas pour autant qu’il convient, au nom de principes humanitaires douteux, de rapatrier pour les juger ces personnes qui ont participé à une guerre décrite comme telle.

Qui sommes-nous pour juger de l’équité d’autres juridictions quand les nôtres mettent parfois des années pour clôturer une instruction ? La résistance dans notre pays à l’idée que des djihadistes français doivent bénéficier des conditions d’un procès équitable s’explique aisément par une juste prise de conscience du fait que ces djihadistes ne sont pas des criminels comme les autres et qu’ils sont porteurs de risques si d’aventure ils devaient être rapatriés. Ce qui est une obligation propre à l’Etat de droit, qui s’exerce envers toute personne, quelle que soit la gravité des crimes dont elle est accusée ne signifie pas pour autant que la France doit s’ériger en juridiction universelle.

Ajoutons d’un point de vue polémologique que la guerre « idéale » est celle qui ne se déroule pas sur son territoire mais soit le plus éloignée de celui-ci. Il faut donc accepter, voire rechercher, dans cette logique que ceux qui combattent contre nos intérêts soient éliminés préventivement ou jugés et condamnés sur un territoire qui soit aussi le plus éloigné du nôtre.

Dans le sempiternel débat sécurité et libertés il ne faut pas oublier que l’exercice des libertés auxquelles nous sommes attachés suppose cette sécurité. En somme que nos libertés, ici, soient garanties par de la sécurité, là-bas, dont nous saurons nous laver les mains. De la Real Politik au service de nos concitoyens, en somme.

Nicolas LEREGLE
Avocat – Frics – Conférencier Labélisé EUCLES – INHES (19ème)
 


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