Alors que le film « Dark Waters » plonge les spectateurs dans la sombre histoire de la contamination chimique par DuPont de Nemours, les réactions des dirigeants de l’entreprise mettent en lumière une stratégie de gestion de crise axée sur la communication interne plutôt que sur l’opinion publique. Entre dénégations et mesures légales, DuPont tente de naviguer dans les eaux tumultueuses de l’accusation publique et du jugement médiatique. Retour sur les réactions de DuPont face à cette représentation cinématographique, les stratégies adoptées et les leçons à tirer d’une crise de réputation de cette ampleur.
« Dark Waters », sorti en salles en 2019, raconte l’histoire vraie de la bataille juridique d’un avocat contre DuPont pour sa responsabilité dans la contamination de l’eau par le PFOA en Virginie-Occidentale. Dans ce long métrage, on découvre le tenace Robert Billot, avocat, qui découvre que DuPont a sciemment empoisonné les résidents locaux et a enfoui les faits plutôt que d’y réagir. Face à cette représentation, DuPont réagit par la voix de ses dirigeants, affirmant que le film est basé sur des « faits non véridiques » et s’évertue à distancer l’entreprise de cette partie sombre de son histoire.
La gestion de crise de DuPont, marquée par une opacité et une manipulation de l’information, montre des points faibles significatifs, notamment le manque de transparence et la rétention d’informations critiques sur la toxicité des PFAS. Les employés et leurs familles ont été directement affectés, exposant même des nouveau-nés à des malformations congénitales sans jamais être avertis des dangers.
DuPont a ainsi traversé une triple crise, qui a durablement entaché sa réputation, et la confiance que les parties prenantes accordaient à la direction du groupe à le faire prospérer de manière responsable : une première crise, lors de la découverte en interne de la toxicité des PFAS ; une deuxième crise, lorsque le scandale a été révélé, ce qui a entrainé un procès massif entrainant le paiement d’une amende de 670 millions de dollars en dommages et intérêts ; et une troisième crise à la sortie du film, lorsque la stratégie de communication hasardeuse de la firme a enflammé les parties prenantes.
L’ampleur de la crise traversée par la multinationale Dupont de Nemours s’explique par le nombre particulièrement important de parties prenantes qui ont été touchées. Si dans Dark Waters, DuPont et ses employés sont les premiers concernés, le scandale va en effet bien au-delà. Les produits toxiques de Dupont ont ainsi été vendus dans le monde entier, bien souvent sous des marques dérivées, par exemple Tefal qui s’est érigé en spécialiste des poêles au téflon, aux propriétés antiadhésives. Les communautés voisines des usines de DuPont, les clients et prestataires de l’entreprise, ses actionnaires, et les cercles politiques ont ainsi tous été touchés par le scandale du PFOA.
Les spectateurs du film, les investisseurs, la presse : tout le monde se forge un avis sur cette histoire, sans que Dupont ne parvienne à se faire entendre sur la place publique afin de communiquer sa version de l’histoire. La direction de DuPont dit se concentrer sur le moral interne, et préférer éviter de communiquer afin de ne pas créer de la mauvaise publicité, tandis que les communautés impactées et le grand public se forgent une opinion largement influencée par le récit dramatique du film.
DuPont choisit une approche discrète, privilégiant la communication interne et évitant une bataille publique qui pourrait attirer davantage d’attention sur l’affaire. Bien que cette tactique puisse préserver une certaine image de l’entreprise auprès de ses employés et partenaires proches, elle laisse le champ libre au film de Todd Haynes pour dominer l’opinion publique. La non-réponse aux demandes de commentaires et l’absence de campagne de sensibilisation publique soulignent une tentative de minimiser l’affaire plutôt que de l’affronter ouvertement. Par ailleurs, la mention d’éventuelles actions légales sans engagement concret laisse entrevoir une stratégie défensive et incertaine. La mollesse de la réaction de DuPont s’apparente aux yeux du public à un aveu de faiblesse et renforce auprès du public l’image de firme prédatrice, prête à tout pour faire plus de profit, même à sacrifier la santé, voire la vie, de ses propres salariés et clients.
Marc Doyle, PDG de DuPont, a déclaré que « les comportements que vous pourriez voir dans le film ne sont certainement pas ceux que j’ai pu observer à aucun moment de ma carrière ». Ed Breen, président exécutif, a précisé aux investisseurs que le film était « inspiré de », et non basé sur, l’histoire de Bilott. Les deux exécutifs n’ont pas fourni de détails sur ce qui, dans le film, serait inexact. Les créateurs du film ont ainsi pu sauter sur l’occasion pour refaire parler d’eux. L’acteur principal, Mark Ruffalo, a ainsi déclaré dans une interview largement médiatisée que DuPont « savait qu’ils empoisonnaient les gens » et que la dénégation de DuPont était « outrancière ».
Interrogés sur la possibilité de poursuivre les producteurs du film, les dirigeants de DuPont sont restés évasifs, signalant seulement que leurs « juristes examinaient la situation », laissant penser qu’il n’y avait sans doute pas suffisamment de différences entre le film et la réalité afin d’espérer sortir vainqueur d’une bataille juridique.
En optant pour une stratégie interne et en évitant le débat public, DuPont a certes tenté de contrôler le narratif interne, mais a sous-estimé l’impact durable sur son image publique. Cette affaire souligne l’équilibre délicat entre le contrôle des dégâts et la nécessité d’affronter publiquement les critiques, en proposant une réaction transparente et mesurée qui aurait pu potentiellement atténuer les effets négatifs sur la réputation de l’entreprise.
La réaction de DuPont au film « Dark Waters » illustre les défis complexes auxquels les entreprises sont confrontées lorsqu’elles gèrent des crises liées à leur réputation, particulièrement dans des cas impliquant des enjeux de santé publique et environnementale. Alors que le film porte ces questions au grand écran, l’approche de DuPont met en relief la tension entre la nécessité de protéger sa réputation et celle d’engager de manière constructive avec le public et les parties prenantes. Les leçons tirées de cette affaire résonnent bien au-delà de l’industrie chimique, offrant des perspectives précieuses sur la gestion de crise et la communication en période de turbulences.
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