A l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage « De Gaïa à l’IA », Jean-Paul OURY, docteur en histoire des sciences, revient sur ses écrits, manifestes pour une « science libérée de l’écologisme ».
Cet ouvrage est le troisième tome d’une série sur le rapport entre écologie, science et politique, un sujet qui nous concerne tous, dites-vous. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette trilogie ?
Tout d’abord je tiens à préciser qu’il s’agit d’essais de politique scientifique, un sujet qui nous concerne tous donc. La politique c’est la possibilité de faire des choix. Nous devons pouvoir faire des choix face à l’avancée des sciences et technologies. Or pour bien choisir, il faut avoir une vue d’ensemble et ne pas se laisser piéger par les idéologues. Quand les Français regardent leur facture d’électricité qui flambe, ils doivent comprendre que derrière se trouve le mécanisme de la transition énergétique ; quand ils voient le prix d’un plein de course augmenter, c’est sans doute l’inflation, mais ça peut-être aussi lié à une défaillance de l’agro-industrie ; le panier de soins est déterminé par l’économie de la santé, mais aussi par les améliorations des thérapies. On accueille désormais les applications de l’IA comme un progrès nécessaire, mais il faut s’interroger sur le modèle de société vers lequel ils vont nous entraîner. Très souvent on réduit tout cela à l’économie en oubliant qu’il s’agit avant tout de sujets de politique scientifique.
L’opinion a découvert récemment que le progrès n’était pas un acquis définitif et un certain mouvement politique – l’écologisme – leur proposait de faire marche arrière en remettant en cause la science prométhéenne, c’est-à-dire la science qui veut transformer le monde dans l’objectif de l’améliorer. Greta a tué Einstein (le tome 1) raconte donc comment l’écologisme a voulu faire tomber la science prométhéenne de son piédestal. Dans un deuxième temps, l’écologisme a récupéré la Science pour asseoir son pouvoir politique et Greta a ressuscité Einstein (le tome 2) montre comment la science est tombée entre les mains d’apprentis dictateurs. Ces deux premiers ouvrages écrits, j’ai réalisé que j’avais expliqué le « comment », mais pas le « pourquoi ». C’est donc l’objet du troisième tome : sonder les raisons profondes de l’écologisme. Pourquoi cette politique scientifique qui est en fait une idéologie a-t-elle fait le choix de s’en prendre à la science des ingénieurs et pourquoi a-t-elle a voulu s’appuyer sur la science des législateurs pour nous enfermer dans le carcan d’une nature idéalisée ? J’étudie également pourquoi elle est vouée à l’échec et je propose une dizaine de principes pour définir une politique scientifique alternative à l’écologisme ou encore au technoprophétisme débridé.
Vous dites que derrière ses apparences multiples l’écologisme représente une seule et même idéologie.
Il est important de distinguer l’écologisme, ou écologie politique, de l’écologie qui est une science qui étudie les interactions entre les organismes et leurs environnements. Dans tous mes ouvrages, c’est de la première dont je parle. Et pour en brosser un tableau, je me suis amusé dans une première partie à recenser cinq nuances de vert : vert-de-gris (les nazis et l’écologisme), vert soutane (la religion et l’écologisme), vert pastèque (l’extrême gauche et l’écologisme), vert kaki (les ONG, soldats de l’écologisme), vert dollars (le marketing et l’écologisme) … Une liste non exhaustive et l’on pourrait sans doute encore trouver d’autres nuances. Mais l’intérêt est de montrer comment une même idéologie se métamorphose et touche à toutes les valeurs. Certains, ils sont nombreux, sont persuadés que l’écologisme est une nouvelle forme de religion. Je pense qu’il s’agit davantage d’une idéologie. La principale différence étant que l’idéologie se définit par ce à quoi elle s’oppose et qu’elle veut éliminer en ayant recours à des moyens de coercition. L’idéologie pour exister doit forcément prendre le pouvoir, ce n’est pas le cas de la religion. Enfin, la religion veut donner du sens à nos vies, l’idéologie est une interprétation pseudoscientifique du réel.
Ainsi ma thèse principale est que l’écologisme a voulu faire une OPA sur le concept de « nature » afin de reprendre celui-ci à la science qui se l’était approprié notamment depuis le mot de Galilée « La nature est un livre écrit en langage mathématique ». L’écologisme pense que comprendre la nature pour la transformer comme le fait la science dans une perspective de progrès, c’est une hérésie qui consiste à violer un ordre établi. Le meilleur exemple est celui que j’ai développé dans ma thèse de doctorat en 2004 : les anti-OGM refusent les modifications du vivant parce qu’ils considèrent que la transgenèse végétale n’est pas naturelle. Ils refusent donc qu’on l’utilise pour faire des plantes génétiquement modifiées. Or c’est une simple opinion qui ne repose sur aucun argument scientifique. En ce sens l’écologisme est une première tentative de politique scientifique. C’est le choix de dire non à la science prométhéenne en faisant tout pour arrêter la progression de celle-ci. Ainsi il est devenu tabou de modifier le génome, de fissionner l’atome, de diffuser des ondes ou de manipuler des molécules.
Dans De Gaïa à l’IA, je montre que cette tentative est vouée à l’échec : il est vain et inutile de tenter d’empêcher un progrès technologique, car il finit toujours par s’imposer ; ainsi pour reprendre l’exemple des biotechnologies végétales celles-ci se développent à peu près partout dans le monde sauf sur le continent européen, mais celui-ci finira sans doute par céder. Je réfute également le principe selon lequel il y aurait une opposition (une lutte des classes) « homme vs nature » qu’affectionne tout particulièrement l’écologisme et je montre enfin que l’innovation technologique n’est pas anarchique, mais est un processus qui se déroule dans un cadre libre et responsable d’une série de limites.
L’originalité, contrairement à de nombreux autres ouvrages qui ont déjà été écrits sur le sujet est que vous ne posez pas seulement un diagnostic, mais vous proposez également des solutions.
Mes analyses précédentes m’ont montré que le débat s’embourbait dans une opposition stérile entre prophètes de malheur souvent décroissants et technoprophètes. Je montre que les deux dans leurs attitudes extrêmes n’ont pas pour objectif la survie de l’humanité. L’un s’intéresse surtout à la valeur intrinsèque de la nature, alors que l’autre est obsédé par la singularité. C’est le point de départ de ma réflexion dans la description de la double dystopie que je propose en préambule avec la Collapsocratie, un régime décroissant qui nous pousse entre les griffes de la nature, d’une part et l’Algorithmocratie d’autre part, un régime qui nous livrerait pieds et poings liés aux maîtres des algorithmes. Aucune de ces deux idéologies ne me parait satisfaisante du point de vue de la politique scientifique.
Il existe selon moi une troisième voie qui consiste à optimiser l’exercice de notre libre responsabilité face au progrès technologique. Concrètement je propose de remettre à plat tous les débats sur les solutions à retenir. Il s’agit de réfléchir au cas par cas et de les justifier non parce que plus naturelles ou parce qu’elles découlent du progrès technologique, mais par le fait qu’elles optimisent notre libre responsabilité. C’est selon moi l’ultime critère sur lequel devrait s’appuyer une bonne politique scientifique : par exemple nous devons reprendre le débat « nucléaire vs éolien », en posant la question : « laquelle de ces deux solutions nous rend le plus libre et responsable ? »
Je définis donc une dizaine de principes qui font une bonne politique scientifique (sur le planisme, la croissance, la communication, la spiritualité…) qu’il ne faut pas confondre avec une récupération politique de la science – une forme de scientisme – qui, elle, consisterait à s’appuyer sur une science afin de déduire des règles pour modeler la société, danger que j’ai largement développé dans le deuxième tome au travers de régimes fictifs que sont la Climatocratie, la Covidocratie, la Biodiversitocratie, la Collapsocratie et l’Algorithmocratie.
Comme je l’explique enfin dans la conclusion, tous les citoyens devraient s’engager pour bénéficier d’une bonne politique scientifique et ne pas laisser ce domaine aux experts, aux idéologues, aux ONG ou aux politiques. Je donne quelques recommandations méthodologiques à cet égard. J’ai voulu faire réfléchir les gens, mais aussi leur fournir des moyens pour agir et ne plus se laisser faire. Chaque individu est concerné par la survie de l’humanité et ne devrait plus avoir à subir la décroissance ou être victime des changements trop rapides d’une technologie qui n’aurait pas été réfléchie. De Gaia à l’IA, nous devons exercer notre esprit critique pour nous débarrasser des idéologies qui nous poussent à faire de la mauvaise politique scientifique.