Face aux nouvelles contraintes budgétaires et aux enjeux de souveraineté militaire, le gouvernement envisage d’orienter une partie de l’épargne des Français vers le financement de l’industrie de la défense. Cette approche repose principalement sur l’assurance-vie et l’épargne-retraite, deux supports financiers largement plébiscités par les ménages.
Dans un contexte international marqué par des tensions géopolitiques croissantes, la France a décidé d’augmenter progressivement son budget militaire. D’ici 2030, les dépenses de défense devraient atteindre 100 milliards d’euros par an, contre 50,5 milliards d’euros actuellement. Pour financer cette montée en puissance, le gouvernement explore différentes pistes et privilégie aujourd’hui l’orientation de l’épargne nationale vers l’industrie de défense.
Un besoin de financement dans un cadre budgétaire contraint
La volonté de renforcer les capacités militaires françaises s’inscrit dans une dynamique plus large à l’échelle européenne. La guerre en Ukraine a rappelé l’importance de la souveraineté militaire et de l’indépendance stratégique. Plusieurs pays de l’Union européenne, dont l’Allemagne et la Pologne, ont également annoncé des hausses substantielles de leurs budgets de défense.
En France, cette augmentation des dépenses militaires intervient alors que l’État doit gérer une dette publique élevée, qui dépasse les 110 % du PIB. Le financement par la seule dette étant limité, le gouvernement cherche donc des solutions complémentaires pour assurer le soutien aux industries de défense sans peser davantage sur le déficit public.
Le recours à l’épargne privée est une approche déjà explorée par d’autres États dans le passé. Certains pays, comme les États-Unis et Israël, ont mis en place des mécanismes permettant aux citoyens d’investir volontairement dans des obligations ou des fonds destinés à financer la défense nationale. La France envisage une approche similaire, adaptée à ses spécificités économiques et financières.
L’assurance-vie et l’épargne-retraite comme leviers d’investissement
L’assurance-vie est aujourd’hui le principal support d’épargne des Français. Avec un encours de plus de 2 000 milliards d’euros et une collecte mensuelle de plusieurs milliards d’euros, elle représente un levier financier considérable. L’épargne-retraite, bien que moins significative avec environ 260 milliards d’euros d’encours, constitue également une source de financement mobilisable.
Le gouvernement propose d’orienter une partie de ces fonds vers des placements dédiés à la défense. Cette orientation passerait par la création de fonds spécifiques sous forme d’unités de compte intégrées aux contrats d’assurance-vie et d’épargne-retraite. Ces fonds investiraient directement dans des entreprises stratégiques du secteur, telles que Dassault Aviation, Nexter, MBDA, Thales et Naval Group, ainsi que dans des PME et ETI innovantes du domaine de la défense.
Cette approche présente plusieurs intérêts. Pour l’État, elle permet de canaliser des capitaux vers l’industrie de défense sans alourdir la dette publique. Pour les épargnants, elle offre une nouvelle possibilité d’investissement, potentiellement rentable, dans un secteur en pleine expansion.
Avantages et limites d’une telle stratégie
L’orientation de l’épargne nationale vers la défense pourrait s’avérer positive pour l’économie. En finançant directement des entreprises du secteur militaire, ce dispositif contribuerait à soutenir l’emploi et l’innovation dans l’industrie de défense. Il renforcerait aussi l’autonomie stratégique de la France en permettant aux industriels d’accélérer la production d’équipements militaires.
Plusieurs défis doivent être pris en compte. Tout d’abord, l’adhésion des épargnants à cette initiative n’est pas garantie. L’investissement dans la défense présente des risques, notamment en raison des fluctuations des marchés financiers et des évolutions géopolitiques. De nombreux Français privilégient l’assurance-vie pour sa stabilité et sa sécurité, or les placements en unités de compte sont par nature plus volatils que les fonds en euros garantis.
La mise en place de ce mécanisme nécessite un encadrement précis. Il est essentiel d’assurer une transparence totale quant à l’utilisation des fonds et aux projets financés. Des garanties devront également être apportées aux épargnants en termes de rendement et de fiscalité pour rendre ces placements attractifs.
Cette approche soulève une question plus large sur la gestion des finances publiques. Si la défense nationale est une priorité stratégique, certains observateurs estiment que l’État devrait être en mesure de financer directement ces dépenses, par le biais du budget général, plutôt que d’avoir recours à l’épargne des ménages.
Un équilibre à trouver entre financement public et privé
Le recours à l’épargne des Français pour financer l’industrie de défense est une solution qui s’inscrit dans une volonté plus large de diversification des sources de financement public. Elle présente des atouts en termes de mobilisation rapide des capitaux et de soutien à l’industrie militaire, mais elle devra être mise en œuvre avec prudence pour éviter des effets indésirables sur l’épargne des ménages.
L’État devra clarifier plusieurs aspects avant d’engager cette réforme. Il lui faudra définir précisément les modalités d’investissement, les garanties offertes aux épargnants et les incitations éventuelles pour favoriser l’adhésion à ce dispositif. De plus, la complémentarité entre ce financement privé et les autres sources budgétaires devra être bien articulée pour assurer un équilibre entre financement public et contribution des citoyens.
Si cette stratégie peut permettre de renforcer la défense nationale sans alourdir la dette, elle soulève également des questions fondamentales sur la place de l’épargne privée dans le financement des politiques publiques.