Transformation de la fonction publique : le programme COFRA comme nouvelle passerelle entre la recherche et l’administration

Interview réalisée par Pr. Olivier Meier, président de l’Observatoire ASAP et Alexandre Vivier, doctorant en sciences de gestion et étudiant à l’INSP, auprès de plusieurs doctorants participant au programme expérimental COFRA, en particulier : Nicolas Fabre (Cour des comptes), Audin Roger (DREES), Abel Aussant (Cour des comptes), Paul-Hadrien Despret (Préfecture de Saône-et-Loire).

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Transformation de la fonction publique : le programme COFRA comme nouvelle passerelle entre la recherche et l’administration
Transformation de la fonction publique : le programme COFRA comme nouvelle passerelle entre la recherche et l’administration - © journaldeleconomie.fr
Lancée en mars 2022, l’initiative des Conventions de Formation par la Recherche en Administration (COFRA) vise à transformer l’administration publique en renforçant les liens entre la recherche académique et l’action publique. Inspirées par les conventions CIFRE * , les COFRA facilitent la réalisation de thèses au sein des administrations de l’État et ambitionnent de rendre l’administration plus experte, diversifiée et réactive.

Chaque COFRA associe un doctorant, une administration publique et une école doctorale. Les doctorants sont recrutés pour trois ans sous contrat de projet, renouvelable jusqu’à six ans, et les administrations bénéficient d’un cofinancement annuel de 14 000 €, complété par leurs propres fonds. Ce cadre structuré assure une intégration efficace de la recherche dans l’administration.

Les projets de thèse sont sélectionnés en fonction de leur qualité et de leur alignement avec les priorités gouvernementales. Pour la deuxième vague, jusqu’à 30 % des COFRA sont accessibles aux agents publics contractuels, nécessitant un changement de contrat. Les doctorants sont supervisés par un directeur de thèse et un référent administratif formé.

L’expérimentation des COFRA représente une avancée stratégique pour la recherche publique en France. Elle permet aux doctorants de contribuer directement à l’amélioration de l’administration tout en bénéficiant d’un soutien académique et financier. Ce dispositif renforce les compétences des futurs docteurs et stimule l’innovation au sein des services publics, créant ainsi une synergie essentielle entre le monde académique et l’administration de l’État. Il est proposé dans cet article un retour d’expérience permettant d’examiner les avantages, les défis et les perspectives offertes par le programme de conventions de formation par la recherche en administration (COFRA) à partir d’une analyse de documents (fiche technique, rapports et études…) et d’une enquête terrain représenté à travers plusieurs témoignages dont ceux de Nicolas Fabre, Abel Aussant, Audin Roger et Paul-Hadrien Despret, doctorants au sein de plusieurs administrations (Cour des comptes, Ministères et Préfecture) qui ont fortement contribué à la réalisation de cette étude.

Le programme COFRA (Contrat de Formation et de Recherche en Administration) représente une innovation dans le paysage académique et administratif français. Il offre aux doctorants une opportunité unique de mener des recherches appliquées tout en étant intégrés au sein des administrations d’État. Cette intégration vise à combler le fossé entre la théorie académique et la pratique administrative, tout en enrichissant les politiques publiques grâce à des expertises pointues. Cependant, cette initiative n’est pas sans défis, et son succès repose sur une série de conditions et de reconnaissances tant institutionnelles qu’académiques.

Passerelle entre la recherche et l’administration

Les doctorants participant au programme COFRA (1), illustrent la diversité des domaines de recherche et des missions administratives abordées. Ce programme permet une immersion profonde dans des problématiques d’intérêt général, souvent inaccessibles dans le cadre strictement académique. Par exemple, N. Fabre que nous avons interrogé se concentre sur l’efficience du ferroviaire régional. De même A. Aussant s’intéresse aux inégalités d’accès à la culture chez les jeunes. Cette diversité témoigne de la capacité du programme à englober des enjeux variés et à apporter des solutions innovantes grâce à l’apport de la recherche scientifique.

Cependant, cette synergie se heurte à des défis culturels et organisationnels. Les doctorants signalent une reconnaissance limitée du doctorat au sein de l’administration, où la recherche académique n’est pas toujours valorisée. En effet, ces chercheurs se retrouvent confrontés aux mêmes problématiques de concours que les candidats externes à la fonction publique, ce qui ne leur permet pas de valoriser pleinement leurs expériences acquises au sein de l’administration publique d’État.

Les avantages du programme COFRA

Le programme COFRA offre des avantages indéniables, tant pour les doctorants que pour les administrations. L’accès à des données de qualité supérieure et à des ressources spécifiques constitue un atout majeur pour les participants. Cette opportunité permet aux chercheurs de développer des analyses approfondies et rigoureuses, renforçant ainsi la pertinence et l’impact de leurs travaux. De plus, le programme offre une rémunération souvent plus attractive que les contrats doctoraux classiques, ajoutant une dimension de sécurité et de prestige grâce au statut de cadre de la fonction publique.

Pour les administrations, l’intégration de chercheurs permet d’introduire des méthodologies académiques et des perspectives innovantes, contribuant à une amélioration des politiques publiques. Cette interaction enrichit également le développement professionnel des doctorants, leur offrant une expérience précieuse qui combine théorie et pratique. Toutefois, pour pérenniser ces avantages, il est crucial de structurer clairement les parcours de carrière et de garantir une reconnaissance équitable des contributions des doctorants.

Les défis du programme COFRA

Malgré ses avantages, le programme COFRA doit surmonter plusieurs défis pour réaliser son plein potentiel. La principale difficulté réside dans la conciliation des exigences académiques avec les tâches administratives courantes. Des doctorants soulignent la place prépondérante de ces tâches dans leurs quotidiens demandant, pour certains, une agilité intellectuelle entre leurs travails de recherche et celui effectué au sein de l’administration.

La liberté académique des travaux de recherche est globalement bien accueillie par les chercheurs. Certains mettent en avant une compréhension intuitive de l’administration à l’égard de leurs travaux, tandis que d’autres soulignent la nature politique de leurs positions, qui peut parfois mener à une volonté d’orientation des propos. Il en résulte que la liberté du chercheur dépend fortement de son administration de rattachement.

Pour surmonter ces défis, il est essentiel d’améliorer la coordination entre les encadrants académiques et administratifs, et de structurer des échanges réguliers et constructifs pour pérenniser ces liens au-delà des travaux de recherche du doctorant. La reconnaissance institutionnelle des docteurs au sein de l’administration doit également être renforcée pour valoriser pleinement leurs compétences et contributions. Cela doit impérativement passer par un programme de carrière défini vers la fonction publique et une prise de conscience accrue de l’intérêt de la recherche au sein de l’administration.

Perspectives et pérennisation du programme COFRA

La pérennisation du programme COFRA apparaît comme une nécessité pour renforcer les liens entre la recherche académique et les politiques publiques. Cette initiative permet de diversifier la haute fonction publique d’État en créant une passerelle durable entre les deux mondes. Cependant, cela nécessite un investissement financier et structurel significatif, ainsi qu’une clarification des parcours de recrutement et des barèmes de rémunération. Pour assurer le succès de cette pérennisation, il est crucial de sécuriser l’accès aux données et de garantir que les doctorants ne soient pas exploités comme des ressources expertes à bas coût. En parallèle, le monde académique doit évoluer pour reconnaître équitablement la valeur des travaux appliqués réalisés dans le cadre du programme COFRA, en diversifiant ses critères d’excellence.

Conclusion

Le programme COFRA représente une innovation prometteuse pour intégrer la recherche académique au sein des administrations d’État. Pour optimiser son impact, il est essentiel de renforcer la coordination entre les encadrants, de garantir la reconnaissance des docteurs, et de structurer des parcours de carrière clairs. Cette initiative constitue un outil pertinent pour améliorer les politiques publiques grâce à une expertise académique intégrée, tout en offrant aux doctorants une expérience professionnelle enrichissante. La pérennisation du programme nécessite une approche stratégique et un soutien institutionnel fort, afin de valoriser pleinement cette passerelle entre la recherche académique et l’administration publique.
———————————–nn* La Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE) vise à financer des thèses par des subventions de l’ANRT (Association Nationale de la Recherche et de la Technologie) à travers des collaborations entreprises – laboratoires de recherche, avec un doctorant employé par l’entreprise.

La Convention de Formation par la Recherche en Administration (COFRA) est quant à elle financée par des fonds publics ou territoriaux; elle soutient des projets de recherche appliquée entre laboratoires académiques et diverses entités socio-économiques.

Notes

Olivier Meier (en qualité de directeur de thèse au LIPHA) et Alexandre Vivier (chercheur au LIPHA et étudiant INSP, doctorant en management public) sont membres de l’Observatoire ASAP. Ils tiennent ici à remercier l’ensemble des chercheurs doctorants qui ont participé à cette étude, en particulier :nn- Fabre N. – Régulation du ferroviaire régional par la qualité – Cour des comptes – ENTPE – Lyon 2
– Roger A. – Trois articles sur l’impact redistributif des politiques du marché du travail, une approche par microsimulation – Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) – Paris Panthéon Sorbonne
– Aussant, A. – Étude des inégalités d’accès à la culture des jeunes en France – Cour des comptes – Sciences Po Paris
– Despret, P-H. – Le Préfet et l’Innovation – Préfecture de Saône-et-Loire (Service du Pilotage Interministériel et de l’Aménagement du Territoire – SPIAT) – Université Grenoble Alpes – Ecole doctorale de Sciences Juridiques.

Nous tenons également à remercier les autres chercheurs interrogés sur ce nouveau dispositif, qui ont souhaité, pour des raisons de confidentialité, rester anonymes .

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