Journal de l'économie

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La parenthèse du leadership européen mondial se referme





Le 17 Mai 2021, par Philippe Cahen

L’Homme a l’immense défaut de penser que ceux qui l’entourent sont immuables. Ou presque. Le monde selon les GAFA ? Eh bien non : ils n’existaient pour ainsi dire pas il y a 20 ans, ils seront supplantés d’ici 20 ans. Prenons le cas de l’Europe…
Depuis mille ans, Chine et Inde sont les plus grandes puissances mondiales


Depuis 1000 ans, la Chine et l’Inde dominent le monde alternativement. Autour de l’An Mil, l’Europe sortait de 500 ans de sommeil. Le PIB de l’Inde était de 29 % du PIB mondial et en était la première puissance, la Chine 23 %, les Califats islamiques 18.5 %. Et l’Europe de l’Ouest ? Moins de 9 %… Elle faisait face à la peste noire et s’entredéchirait…

Le tournant de l’Europe est 1500. Ou 1453 avec la chute de Constantinople. Ou 1492 avec l’imprimerie en Europe et la redécouverte de l’Amérique. Le PIB de la Chine est de 25 % du PIB mondial, l’Inde 24,5 %, l’Empire ottoman 4.2 %. Alors que les Européens commencent à explorer le monde, la Chine se replie sur elle-même en interdisant même la construction de bateaux de haute mer ! C’est une leçon de l’histoire comme de l’anthropologie : l’enferment devient stagnation, voire déclin.

En 1700, l’Inde se maintient à 24,5 %, la Chine baisse à 22,3 % et l’Europe de l’Ouest bondit à 22,1 %. La France (5,7 %) domine l’Europe. Mais dominer l’Europe n’est pas dominer le monde. C’est le siècle des Lumières. En 1830, la France que certains ont dit ruinée des guerres napoléoniennes est troisième PIB mondial (5,5 %) derrière la Chine (32,9 %) et l’Inde (16 %), Paris est sous Napoléon III à son apogée de centre du « monde ».

En 1870, l’Empire britannique est première puissance mondiale (24,1 %) profitant de la révolution industrielle. Depuis 1870, la Chine et l’Inde ont quitté les premiers rangs. La Chine (17,2 %) et l’Inde (12,2 %) ne saisissent pas cette opportunité. La première ligne de chemin de fer en Chine, 14 km, date de 1876, construite par des Belges. Les États-Unis (8,9 %) commencent à s’affirmer, devant la Russie, la France et l’Allemagne.

En 1950, les États-Unis dominent le monde (27,1 %) devant l’URSS (9,6 %), le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Chine, l’Inde, la France… En 1973, le Japon est la troisième puissance mondiale (7,7 %). En 1998, la Chine (11,5 %) est derrière les États-Unis (21,9 %), le Japon, puis l’Allemagne, la France, UK, l’Italie…

Pourquoi l’Europe quitte le peloton de tête

Par sa puissance économique, l’Europe a dominé le monde quelques dizaines d’années au XIXe siècle par sa pensée, sa philosophie son schéma politique, l’Europe a enfanté les États-Unis et sa vision libérale et démocratique, protestante plus que catholique, elle domine le monde depuis deux siècles avec son enfant qui domine ses parents. On l’appelle le monde occidental. Quoiqu’on en pense, l’UE a perdu une part de son leadership encore plus avec le Brexit, d’autant que le Royaume-Uni avec son concept de « Global Britain » va devenir un concurrent direct de l’UE.

La Chine retrouve son rang depuis 1992, le « enrichissez-vous » de Deng Xiaoping a libéré les Chinois, mais surtout la République Populaire de Chine. L’Inde retourne parmi les plus grands pays. L’Union européenne en tant qu’entité se glisse entre les États-Unis et la Chine. Parmi les 15 plus grands pays – hors UE, Japon et UK, il faut ajouter le Canada, la Corée du Sud, la Russie, l’Australie, le Brésil, l’Australie, le Mexique. Aujourd’hui, tous ces pays sont des puissances économiques, politiques, sociales, financières… et ont de l’influence dans l’un ou l’autre de ces domaines.

Un marteau voit des clous partout

Ne nous trompons pas. Un marteau voit des clous partout : notre regard d’Européen et particulièrement de Français nous voit comme la grande puissance mondiale. D’ailleurs même notre carte du monde met l’Europe en son centre – et la France est le centre du centre avec Paris en son centre, alors que le Pacifique en est le centre réel, voire la mer de Chine. L’Europe a été épisodiquement le leadership du monde.

Aujourd’hui, le centre du monde se partage entre les États-Unis et la Chine. L’Amérique, qu’elle fut de Trump (ou d’Obama) ou qu’elle soit de Biden, EST le marteau, elle donne le ton au monde occidental, au modèle occidental. Chaque État en a culturellement une nuance, l’Australie n’est pas l’Italie. Chaque État connait un succès dans tel ou tel domaine, avec telle entreprise, telle recherche, tel créateur… mais aucun de ces États n’est fondamentalement indépendant des États-Unis. La crise Covid en a été l’exemple : les États-Unis se sont comportés en « start-up nation », l’UE s’est comportée en suiveur fatigué. Le monde occidental domine de moins en moins le monde. L’Empire du Milieu est au milieu d’un empire.
L’Europe n’est donc qu’une composante de ce monde occidental dominé aujourd’hui par les États-Unis.

Et demain ?

Deux points caractérisent le monde actuel en devenir.

D’une part, il y de nombreux pays « start-up » dans le monde à la croissance très rapide notamment en Asie (la Corée du Sud évidemment, Singapour, Taïwan, Israël, etc.) et très attractif pour la recherche comme pour les investissements comme d’ailleurs l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. En Asie et aussi en Afrique.

D’autre part, l’UE fait partie du monde vieux, comme le Japon et bientôt la Chine, où la population est en déclin parce qu’il y a insuffisamment de naissance pour assurer le renouvellement des générations, parce qu’il y a peu d’immigration, contrairement aux apparences, du fait de la xénophobie de nombreux pays, voire d’attractivité défaillante.
Certes, il ne s’agit pas d’un effet à quelques mois, mais à quelques décennies. L’exercice à 2050 est à faire. L’Europe a évidemment de belles entreprises, comme le Japon d’aujourd’hui. Ces entreprises travaillent et construisent leurs profits de plus en plus hors de leur pays d’origine.

Or ce modèle financier est contesté. Il est de plus en plus demandé aux entreprises de payer évidemment leurs impôts de production dans les pays de production et de consommation, mais aussi leurs impôts de profits financiers. Pour prendre un exemple, est-il normal que la RATP ou la SNCF assurent une part du fonctionnement de leurs établissements français par les profits réalisés par leurs filiales à l’étranger ? Nous protestons contre la réciproque !
L’influence du monde n’est plus à Paris, Berlin, voire Londres ou Barcelone. Et demain encore moins.

Aujourd’hui

Aujourd’hui, la Covid-19 ne fait que confirmer ce futur. Le rebond est le plus fort en Asie et date de fin 2020, début 2021. Il précède le rebond américain de quelques mois qui devrait être un peu moins fort. Le rebond européen est du domaine de la prévision, plus faible que l’américain. Et à l’intérieur de l’Europe, la France prend encore plus de retard sur l’Allemagne.

Évidemment ces propos ne sont guère optimistes en apparence. En fait, chacun l’admet, une crise est l’occasion de remises en cause. C’est donc une chance. Notre modèle social européen est-il adapté au monde en devenir, construit au XXe siècle, est-il adapté au XXIe siècle, n’est-il pas devenu frileux et trop protecteur ? Dans ce monde de pays agiles dont plusieurs pays vont certes souffrir de manque de protection sociale, notre modèle social et notamment français, va-t-il nous faire conserver notre rang mondial, notre compétitivité ?

Certes, l’Europe représente une éthique, une philosophie de vie et une originalité de vie en commun pour les 27 pays de l’UE. Mais ne nous trompons pas, nous sommes un exemple pour des puissances moyennes qui veulent se rapprocher face à de grandes puissances comme les États-Unis, la Chine, l’Inde. L’évolution que nous développons depuis le début du XXIe siècle est celle du monde d’avant, un monde du passé, que l’on va visiter pour visiter les gloires d’antan. Bienvenu dans UE-land ! Un parc de loisirs pour retraités.
 
Je repars en plongée…

Philippe Cahen
Conférencier prospectiviste
Dernier livre : « Méthode & Pratiques de la prospective par les signaux faibles  », éd. Kawa
 


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