Utiliser des dollars est aujourd’hui la meilleure façon de se retrouver confronté aux autorités américaines et, si cette utilisation est douteuse, de devoir s’acquitter d’amendes conséquentes, la BNP Paribas en a fait l’expérience il y a quelques années. Donner ses datas à une société américaine est, aujourd’hui, la meilleure façon de voir celles-ci s’envoler dans un nuage les amenant, souvent à l’insu du plein gré de son détenteur, aux États-Unis où elles peuvent être, dans tous les sens du terme, exploitées.
Ce sont les beautés cachées du Cloud Act. Rappelons pour mémoire que le CLOUD (Clarifying Lawful Overseas Use of Data) Act est une loi américaine adoptée en 2018 dans le cadre de la Consolidated Appropriations Act. Cette loi fournit un cadre permettant aux autorités américaines de récupérer des données stockées qu’elles le soient aux États-Unis ou à l’étranger.
Cette loi prévoit un mécanisme permettant, aux agences gouvernementales des États-Unis, de demander des données directement aux entreprises technologiques, ce qui est le cas de CoStar, sans avoir besoin d’un mandat ou d’une assignation. Cela permet également aux autorités américaines de demander des données à des entreprises basées dans d’autres pays, à condition que celles-ci soient stockées sur des serveurs situés aux États-Unis. Cette disposition est importante, car elle permet aux agences américaines de contourner la procédure légale qui serait nécessaire pour demander des données à des entreprises basées dans d’autres pays et cela sans surveillance appropriée avec, à la clef, plusieurs risques.
D’abord, ce Cloud Act peut être utilisé pour contourner la procédure légale requise pour demander des données à des entreprises basées dans d’autres pays, avec une composante « ni vu ni connu » qui n’est pas rassurante.
Ensuite, compte tenu de l’imbrication entre les entreprises américaines et les agences de renseignement de ce pays, la possibilité de transfert d’informations à des fins de contournement de la concurrence au profit de sociétés américaines est réelle et n’est pas anodine.
Ce Cloud Act vient s’ajouter à un ensemble de règles et de pratiques qui font que les entreprises américaines sont les pires concurrentes des entreprises françaises et cela dans tous les domaines d’activité. N’oublions pas que le pays le plus avide de secret économique, en vue de rester la première puissance mondiale, est les États-Unis d’Amérique, loin devant la Russie ou la Chine qui sont volontiers, à tort, pointées du doigt. Recourir aux services d’un cabinet d’avocats estampillés US revient à ne pas avoir la même confidentialité des informations qu’avec son pendant français. L’avocat « américain » étant un collaborateur des instances américaines autant qu’un défenseur des intérêts de son client, il privilégiera quand même la première casquette. Et, à trop concurrencer les intérêts américains, cela peut vous entrainer dans les griffes d’une justice parfaitement téléguidée, Frédéric Pierucci en a témoigné (pour en savoir plus, on ne peut que conseiller la lecture des contributions « carnet de Vauban » des avocats Olivier de Maison Rouge et Nicolas Leregle dans www.journaldeleconomie.fr).
L’immobilier peut sembler, comme nous l’avons récemment souligné (24/01/2023 « et si l’immobilier se faisait tailler un CoStar » www.journaldeleconomie.fr), un secteur sans grands enjeux internationaux, par principe les immeubles ne se déplacent pas. C’est erroné. Les immeubles accueillent des entreprises qui, elles, cherchent à s’implanter à l’étranger et donc concurrencer leurs homologues américaines et étrangères. La construction de nouveaux bâtiments, leurs destinations et usages, leurs configurations sont autant d’informations, ces fameuses datas, qui permettent de dresser une cartographie très précise des potentiels et intentions d’une entreprise. Aujourd’hui rien ne dit que ces informations dont le caractère sensible est patent ne se retrouveront pas en des mains mal intentionnées.
Le fait que CoStar s’impose comme la « realestatetech » de référence en Europe ne devrait pas laisser indifférent tant les acteurs privés que les pouvoirs publics. Progressant pas à pas, « bureaux – locaux » puis « business immo » récemment, mais déjà avant le Grecam et demain Explore peut-être, CoStar a su tisser une toile des plus fine, maillant l’essentiel des aspects de l’industrie immobilière, du territoire à aménager à l’utilisateur à loger. Toile que les moyens financiers de CoStar permettent de rendre de plus en plus forte et inextricable. Toile qui permet d’ores et déjà, grâce aux datas collectées, de mener des analyses prospectives qui pourraient se transformer en outils d’influence. Datas dont le flou concernant leur accès et utilisation peut constituer à terme une réelle vulnérabilité économique pour de nombreuses entreprises. Ceci est d’autant plus avéré que le CEO de CoStar Andy Florance semble assez éloigné de l’image lisse qu’il se plait à donner.
Aujourd’hui de telles considérations sont généralement écartées d’un revers de la main, rien, comme données, ne serait sensible dans l’immobilier, rien non plus d’important si ce n’est une valeur ou un taux de rendement. Cette façon de voir n’est et ne doit plus être de mise. Il serait temps que les acteurs de ce secteur prennent collectivement conscience que représentant plus de 15 % du PIB du pays ils sont une réelle force et à ce titre peuvent faire l’objet de manœuvres concurrentielles potentiellement déloyales. Cette montée en puissance de CoStar est encore une illustration de la faiblesse en France de la prise de conscience de l’intérêt de la notion d’Intelligence économique et ce qu’elle recouvre. Rappelons, encore une fois, que dans cette terminologie le mot Intelligence est anglais et signifie Renseignement. Renseignement et data sont les deux faces d’une même pièce et CoStar en a amassé beaucoup récemment, qu’en fera-t-il that is the question ?