Le DMA ou l’antitrust numérique contre les GAFAM

Voulu dès le début de son mandat en qualité de commissaire au marché intérieur par Thierry Breton, dans le prolongement des travaux initiés par Margaret Vestager à la DG concurrence depuis lors largement écornée par le scandale de la désignation truquée – mais néanmoins avortée de l’Américaine Fiona Scott Morton – le Digital Markets Act « DMA » a été pensé comme un texte destiné à briser le monopole des GAFAM dans l’économie numérique, et en particulier à faire sauter le verrou sur les programmes et logiciels « maison » à l’exclusion d’autres services d’opérateurs alternatifs..

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Le DMA ou l’antitrust numérique contre les GAFAM
Le DMA ou l’antitrust numérique contre les GAFAM - © journaldeleconomie.fr

Or, au sein de l’Union européenne, le principe de concurrence libre, loyale et non faussée est consacré : les entreprises doivent se mesurer les unes aux autres dans le respect du principe d’égalité et proposer aux consommateurs les meilleurs produits aux meilleurs prix. À ce titre, les ententes entre les États faussant la concurrence sont interdites par l’article 101 du Traité de Rome (pratiques concertées de fixation de prix, limitation de la production, clauses de protection territoriale…). Les abus de positions dominantes et les aides directes accordées par les États membres (à moins qu’elles ne répondent à des intérêts spécifiques d’importance supérieure) sont respectivement proscrits par les articles 102 et 107 du Traité de Rome.

Le Digital Markets Act a ainsi vocation à réguler les comportements des plateformes en instaurant un nouveau modèle de régulation qui cible les acteurs les plus exposés aux pratiques déloyales et anti-concurrentielles (tels que les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, l’intermédiation en ligne).

Fidèle à la doctrine européenne d’un marché libre et concurrentiel, l’UE à travers cette législation vise à rétablir des conditions de concurrence plus juste entre les différents acteurs en ligne et de fait, rompre (du moins a minima) la toute-puissance des GAFAM. L’un des objectifs étant de dynamiser le marché du numérique et de facto, les projets d’entreprises européens dans ce domaine.

En effet, il faut constater que l’emprise des GAFAM sur le marché du numérique, jouissant d’outils et de pratique pour maintenir cet état monopolistique, entrave toute pénétration du marché de la concurrence : applications préinstallées, logiciels imposés…
Sont ainsi visés par le DMA les services en ligne du « quotidien » fournis par ces mêmes plateformes.

L’UE en dénombre dix :
⦁    Services d’intermédiation ;
⦁    Moteurs de recherche ;
⦁    Réseaux sociaux ;
⦁    Plateformes de partage de vidéos ;
⦁    Messageries en ligne ;
⦁    Systèmes d’exploitation (dont les télévisions connectées) ;
⦁    Services en nuage (cloud) ;
⦁    Services publicitaires (tels les réseaux ou les échanges publicitaires) ;
⦁    Navigateurs web ;
⦁    Assistants virtuels.

L’approche du texte est particulièrement pertinente dans la mesure où il n’impose des contraintes spécifiques qu’aux seuls acteurs les plus importants, définis comme étant les « Gatekeeper » (c’est à dire contrôleur d’accès), sur un modèle rappelant la règlementation bancaire et ces acteurs « systémiques ».

Une plateforme pourra être qualifiée de « Gatekeeper » si trois critères cumulatifs sont présents :
(i)    position économique forte, impact significatif et actif dans plusieurs pays de l’UE (CA dans l’EEE d’au moins 7,5 milliards d’euros, capitalisation boursière/valeur s’élevant à 75 milliards d’euros, proposer sa plateforme sur au moins 3 états membres de l’UE)nn(ii)    forte position d’intermédiation (relie une large base d’utilisateurs à un grand nombre d’entreprises, c’est-à-dire plus de 45 millions d’utilisateurs finaux actifs chaque mois)nn(iii)    position bien établie et durable sur le marché (stable dans le temps)nnSelon l’article 1er du DMA, le règlement « s’applique aux services de plateforme essentiels fournis ou proposés par des contrôleurs d’accès à des entreprises utilisatrices établies dans l’Union ou à des utilisateurs finaux établis ou situés dans l’Union, quel que soit le lieu d’établissement ou de résidence des contrôleurs d’accès et quel que soit le droit par ailleurs applicable à la fourniture des services ».

Les GAFAM sont donc particulièrement concernés par cette nouvelle notion et devront se soumettre dans les six mois après leur désignation en tant que « Gatekeeper » à toute une série de nouvelles obligations et interdictions ayant pour objectifs d’offrir un cadre plus équitable aux utilisateurs de ces plateformes et en particulier :nnLes obligations :
⦁    Assurer la possibilité de se désabonner des services de la plateforme essentielle sans difficulté (considérant 63 et art. 6, § 13) ;
⦁    Veiller à l’interopérabilité des services de messagerie (considérant 63 et art. 6, § 13) ;
⦁    Permettre aux fournisseurs concurrents d’interopérer efficacement et gratuitement avec les services du contrôleur d’accés, pour proposer une offre concurrentielle. (art. 6, § 7) ;
⦁    Permettre aux utilisateurs finaux d’installer des applications ou des boutiques d’applications de tiers. (art. 6, § 4) ; • Offrir aux annonceurs et aux éditeurs un accès aux outils de mesure de performance pour effectuer une vérification indépendante de l’inventaire publicitaire (art. 6, § 8) ;
⦁    La notification de concentration (art 12).

Les interdictions :
⦁    L’interdiction d’utiliser, en concurrence avec les entreprises utilisatrices, les données générées ou fournies par ces entreprises dans le cadre de leur utilisation des services de plateforme essentiels concernés (art. 6, § 2) ;
⦁    L’interdiction de classer les produits ou services du contrôleur d’accès de manière plus favorable que ceux des tiers (art. 6, § 5) ;
⦁    L’interdiction d’exiger des entreprises utilisatrices qu’elles utilisent un service d’identification, un navigateur internet ou un service de paiement du contrôleur d’accès dans le cadre des services fournis par ces entreprises en ayant recours aux services de plateforme essentiels de ce contrôleur d’accès (art. 5, § 7) ;
⦁    L’interdiction d’utiliser de manière croisée les données personnelles provenant du service de plateforme essentiel concerné dans le cadre d’une autre prestation (art. 5, § 2).

Le Digital Markets Act renforce également les capacités de contrôle des autorités européennes sur ces plateformes qui doivent se soumettre à un audit de leurs services dans les six mois après leur désignation en tant que gatekeeper et notifier à la Commission tout projet de concentration impliquant une autre plateforme numérique ou tout autre service fourni dans le secteur numérique.

En cas de manquement à ces dispositions, le Digital Markets Act prévoit notamment des amendes alignées sur le droit de la concurrence pouvant aller jusqu’au 10% du chiffre d’affaires annuel total de l’entreprise dans le monde (20% en cas de récidive) et des astreintes allant jusqu’à 5 % de son chiffre d’affaires annuel mondial total. Par ailleurs, en cas d’infractions systématiques, un démantèlement pourrait être envisagé.

L’arsenal se veut donc tout à la fois dissuasif et offensif, malgré les pressions et actions de lobbying qui ont prévalues lors de la discussion du texte.
À relever toutefois que d’ores et déjà Amazon – qui avait été désignée comme Gatekeeper – a provisoirement obtenu d’en être déchargé. Le combat sera donc encore long et âpre. Par Olivier de MAISON ROUGE
Avocat – Docteur en droit
Dernier ouvrage publié : « Gagner la guerre économique. Plaidoyer pour une souveraineté économique & une indépendance stratégique » VA Editions, mars 2022nn 

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