#Polanski, qu’en penser ?
« L’affaire Polanksi » commence en 1977, le réalisateur alors âgé de 44 ans a eu des relations sexuelles avec une mineure de 13 ans sur le sol américain. S’est ensuivi un thriller judiciaire. En 2003, la victime, Samantha Geimer soutient publiquement que l’affaire ne doit pas servir de prisme de considération quand il s’agit de juger l’oeuvre de Polanski. En 2008, la justice américaine, dans un nouvel épisode du thriller, reconnaît des dysfonctionnements substantiels dans la procédure. D‘aucuns disent la victime instrumentalisée. D’autres soulignent que Polanski aurait déjà payé le prix de sa forfaiture. Les années 2000 et 2010 ouvrent la voie à de nouvelles accusations de viol. Jamais reconnues par l’artiste. Polanski est-il alors l’avatar éhonté d’un régime dominant concupiscent ? Ou bien est-il devenu l’anti-héros d’une société assoiffée de moralité ?
Le départ précipité d’Adèle Haennel de la cérémonie des Césars le 28 février 2020 et le retrait soudain de Florence Foresti ont été présentés comme des actes de courage face à la barbarie patriarcale et sa complaisance par l’intelligentsia mâle française. Ce ne sont pas tant les faits qui lui sont reprochés qui importent que ce que Polanski représente. L’actrice prometteuse du cinéma français a d’ailleurs précisé son propos. Il représente l’impunité des puissants. Impunité car face à son pouvoir médiatique, son argent et la transcendance artistique qu‘il incarne, les victimes se taisent, et cherchent, de manière plus ou moins réussie, à se reconstruire à défaut de faire justice. La concupiscence est à l’art ce que la vénalité semble être à la classe politique. Le silence des victimes emporte un coût traumatique tel, que l’apparente impunité des auteurs supposés en est devenue insupportable.
Quand une femme, ou simplement une victime de violence, ose se confronter au risque de noyade émotionnelle qu’induit la révélation, pour garder vigueur et courage, elle prend davantage conscience de la gravité des actes subis. On souffre d’autant plus après avoir avoué, mais cela est nécessaire à sa reconstruction.
L’actrice a publiquement confessé avoir enduré l’irréparable, après des années de silence coûteuses. Aussi, assister au sacre de Polanski ne peut lui être qu’insupportable. Chacun peut comprendre que le silence coûte à la victime, parce qu’elle a honte, honte d’avoir été faible, honte de n’avoir pas pu réagir, honte d’avoir peur d’assumer alors qu’elle n’est que la victime, honte de ne pas avoir été aidée.
Au fond, personne ne peut douter de la sincérité de l’engagement de l’actrice. En revanche, se lever d’une cérémonie qui récompense l’art en désignant un coupable expiatoire des fautes des violeurs du monde invite à quelques commentaires.
D’abord, d’un strict point de vue judiciaire, la procédure qui met en cause Roman Polanski depuis 1977 est particulièrement viciée. Moralement sa victime a publiquement affirmé qu’elle lui pardonnait et que son oeuvre devait être appréciée pour elle-même plutôt qu’à l’aune de son crime passé. Ensuite parce qu’aucune accusation depuis ne s’est avérée étayable. Roman Polanski a abusé d’une mineure en 1977, il s’agit d’un crime. Mais doit-il porter la responsabilité des autres quand la sanction pénale doit demeurer personnelle ?
C’est que friand d’icônes de sa vindicte, le tribunal médiatique n’a que faire de la matérialité du droit ! A force de vouer publiquement aux gémonies un homme ou une femme dont une voix nouvelle l’accuse de crime, on risque de transformer la calomnie en arme létale, de transformer le soupçon en accusation, de transformer l’opinion en tribunal. A force de tant de facilités accusatoires, on en oublierait justice. La commisération sur les réseaux sociaux est élevée au rang « d’engagement citoyen ». Car, à toutes et tous nos artistes, sans doute est-il temps que vous preniez conscience d’une autre réalité. Il y a, avant le sexe, une discrimination fondée sur l’argent qui prive les femmes et toutes victimes de la matérialité du droit. Une femme en danger ne peut quitter son conjoint violent sans la capacité financière à trouver un logement, engager des moyens d’autonomie et de protection.
Sur le débat relatif à la distinction entre l’homme et l’artiste, ce n’est véritablement qu’à la mort de l’artiste que ce débat peut avoir lieu de manière dépassionnée. Chaque chose en son temps, les procès en moralité sont bien plus tendres post mortem. Ensuite, Roman Polanski a fait de sa vie son oeuvre. Son enfance traumatisée par l’horreur nazie a participé à sa vie d’artiste. Distinguer les deux alors qu’il a construit sa vie et son oeuvre de manière consubstantielle serait une aberration au regard de sa contribution à la lutte contre l’antisémitisme.
Salir Polanski constitue un exutoire collectif, peut-être salutaire, pour toutes les victimes qui résistent et se souviennent dans la douleur et le silence. Bannir Polanski ne sauvera pas les femmes. Pis, le débat sur Polanski se pose en artefact superficiel occultant un débat de fond qui manque. Une victime doit d’abord avoir accès à la Justice et disposer des moyens matériels propres à assurer l’intégrité de ses droits. Une victime doit être accompagnée dans la collecte et l’instruction des preuves et l’exercice matériel de ses droits, pour ne pas devenir une supposée calomniatrice de plus, quand elle est réellement victime.
Artistes de France, pensez moins à éblouir, mais davantage à éclairer. Qu’avez-vous à dire face à la régression du droit des femmes à la faveur de la radicalité religieuse ? Qu’avez-vous à opposer aux avocats qui crient au recul perpétuel de l’accès à la Justice sans soutien réel ? Qu’avez-vous à nous proposer pour réparer les crimes et rééduquer les auteurs de ces faits ? Que la complainte reste vaine, que le jeu paraît creux, tant cette posture ne flatte que vous-mêmes. Vous qui pouvez-vous enorgueillir d’occuper à volonté le devant de la scène, ayez la décence et le sens pratique d’y mettre (ou d’y faire un peu de place pour) ceux qui déploient les efforts et la sincérité nécessaire à des changements sensibles et concrets en faveur de l’égalité des parties devant la justice, et de la dignité des victimes face à leurs agresseurs. L’offuscation d’habitude sera contre-productive, condamnant des femmes d’autant plus au silence qu’elles craindront la notoriété des crimes dont elles ont fait l’objet. Samantha Geimer mérite mieux que d’être résumée à la victime de Polanski. Nous méritons mieux que Polanski comme totem expiatoire
Pitoyable l’argumentaire et les idées. Ces avocats qui se prennent pour des penseurs, sont des narcissiques auto complaisants. Ton discours est à mettre à la poubelle, merci de ne pas polluer l’actualité par des raccourcis nauséabonds et des envolés moralistes affligeants. Gwenael
Entièrement d’accord !
Moi aussi entièrement d’accord avec l’article !
Un modèle peut être utile pour les victimes pour oser sortir du silence ! Quelle plume maître ! Merci pour cette prise de distance
Très bien écrit et bien dit. J’espère voir d’autres articles de Baptiste !
C’est au futur qu’il faut désormais penser. On ne saura sans doute jamais si Polanski était partiellement innocent ou totalement coupable mais, étant donné son âge, c’était là sûrement son dernier ou un de ses derniers films. Pour le futur on ne peut que conseiller aux victimes d’actes tels que ceux qui ont été reprochés à Polanski 1) de porter plainte tout de suite et 2) de recueillir le maximum de preuves. Ainsi on n’aura plus ce genre de situation où l’on récompense un réalisateur possédant certes un certain talent mais dont on se demande s’il n’est pas en fait un « salaud ».
C’est intéressant de défendre la liberté de l’oeuvre quand on attaque la liberté d’une personne de se dresser pour ses idées.
Outre ce point de fond qui me laisse perplexe, détendez votre style maître, il y a une nuance entre les phrases complexes et les phrases compliquées que vous ne maitrisez pas encore.
Je demeure toujours stupéfaite par la violence de certains commentaires quand un citoyen prend courageusement sa plume. Continuez !