Journal de l'économie

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Faut-il tendre la main à son concurrent ?





Le 25 Avril 2014, par Christophe Assens

Tendre la main à son concurrent pour survivre, est devenu un enjeu majeur dans le monde complexe d'aujourd'hui. Lorsque les concurrents ne sont plus en mesure de s’adapter de façon isolée aux variations de conjoncture, de technologie ou de réglementation, il est alors nécessaire de pratiquer la "coopétition", la coopération dans la compétition.


© HuHu Lin - Fotolia.com
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La coopération se déroule sur une étape de création de richesse, sans empêcher que la compétition ne se déroule durant les autres étapes ! La guerre économique que se livrent les Etats-Unis et la Chine, est une illustration de cette coopétition. Les deux pays rivalisent par patriotisme économique pour sauver leurs emplois, tout en étant obliger de coopérer dans les échanges internationaux par dépendance mutuelle : la Chine créancier des Etats-Unis produit les biens consommés par les Etats-Unis débiteur de la Chine ! De fait, chacun de ces pays cherche sur le plan international à harmoniser avec son concurrent, les pratiques commerciales et la politique monétaire, pour éviter toute forme de dumping économique qui affaiblirait l'un au risque d'affaiblir l'autre !

Dans l'univers des entreprises, la pratique est aussi répandue. Parmi les exemples de coopétition industrielle, nous pouvons mentionner : les plateformes de production commune entre Renault, Nissan et Daimler-Benz pour réaliser des économies d'échelles ; la labellisation des viticulteurs du Bordelais sous une même Appelation d'Origine Contrôlée pour lutter contre l’invasion des vins du nouveau monde ; le pouvoir de lobbying des syndicats interprofessionnels pour réguler le secteur banque-assurance.
 
Paradoxalement, la guerre des prix dans la téléphonie mobile avec la politique commerciale agressive de Free, met également en exergue ce phénomène de coopétition. Lorsque Free, pour répondre aux attentes de ses clients, utilise le réseau d’Orange par un accord d’itinérance (le réseau de Free ne couvrant que 28% du territoire), SFR et Bouygues Telecom décident dans le même temps de mutualiser leurs réseaux de télécommunication, pour réduire leurs frais de structure. Ce rapprochement pouvait d’ailleurs servir de préambule pour le rachat de SFR par Bouygues, avant que Numéricable ne réalise l’opération. Le partage des infrastructures techniques entre SFR, Orange, Free ou Bouygues Telecom peut apparaître sous certains aspects contre nature, dans la mesure où tous ces opérateurs demeurent concurrents sur le plan commercial, pour leurs clients respectifs !
 
En cette période de crise des finances publiques, le phénomène de la coopétition s'étend également à la sphère publique et non marchande à travers les PPP (partenariats publics-privés), lorsque les acteurs publics ont besoin de collaborer avec leurs rivaux du secteur privé, pour améliorer la productivité dans les services d'intérêts généraux. Dans ce cas de figure, la coopétition peut s'imposer comme un moyen légal d'être plus compétitif simultanément pour le public et le privé, sans chercher nécessairement à fusionner ou à nationaliser.

C'est le cas des regroupements mis en oeuvre dans la santé pour lutter contre les déserts médicaux, en mutualisant les pôles public-privé. Cette stratégie permet  par exemple aux hôpitaux publics de rationaliser les dépenses de fonctionnement et aux cliniques privées de valoriser leur expertise technique de façon complémentaire. Néanmoins, ces regroupements publics-privés ne donnent pas toujours entière satisfaction, d'après le constat formulé dans plusieurs rapports de la Cour des Comptes, car les accords contractuels hôpital-clinique ne permettent pas toujours une bonne maîtrise des dépenses de santé sur le long terme, même si à court terme la solution proposée est attractive. De ce point de vue, la coopétition ne doit pas être favorable à l'un des partenaires au détriment des autres, mais elle ne doit pas devenir non plus une entrave à la liberté d'entreprendre ou un frein à la compétition.
 
En l'occurrence, ce qui pose problème dans la coopétition réside dans les comportements déviants, lorsque le jeu collaboratif entre concurrents devient totalement déséquilibré, entre les gagnants et les perdants. Effectivement, pour une entreprise, la coopétition est toujours paradoxale, car elle vise à renforcer sa propre performance avec l'aide de ses concurrents, pour essayer ensuite de gagner des parts de marché à leur détriment. La coopétition permet donc d’obtenir un avantage compétitif à plusieurs que l’on ne pourrait obtenir seul, à condition de gérer les tensions contradictoires, entre confiance et défiance, entre loyauté et opportunisme. Pour cela, il est nécessaire de prévoir des gardes fous avec des mécanismes de gouvernance spécifique de la coopétition, pour éviter les dérives opportunistes.

Il peut s'agir par exemple d'établir une charte des bonnes pratiques, afin de définir des principes d’équité entre compétiteurs-partenaires. Face aux situations de blocage dans la négociation entre concurrents, le recours à un médiateur externe peut s'avérer également utile, à condition que celui-ci possède une légitimité reconnue comme véritable arbitre indépendant. Enfin, si l’enjeu stratégique l'exige, il peut être nécessaire de structurer davantage les conditions d’alliance entre certains compétiteurs sans entraver la libre concurrence pour les autres, avec la création d'une structure de concertation, à l'image d'un GIE (groupement d'intérêt économique) ou d'une structure coopérative, avec des échanges de personnels, des participations de capitaux croisées dans des filiales communes, des accords de consortium…


Christophe Assens est directeur adjoint du laboratoire de recherche Larequoi-ISM, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.




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