Journal de l'économie

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Compliance et code de bonne conduite : une dimension éthique de l'entreprise





Le 9 Avril 2019, par Maître Olivier de Maison Rouge

Dans la vie des affaires, s’affirment progressivement une obligation de transparence (1), d’une part, étroitement associée à un devoir de déontologie des affaires, d’autre part.


C’est dans ce contexte que les pouvoirs publics ont aligné la législation française sur les principes de « due diligence » et de conformité reconnus au niveau international. Dans cet esprit, la loi dite « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, a contribué à prescrire, notamment, les bonnes pratiques devant permettre de prévenir et lutter efficacement contre la corruption.
 
Souhaitant aller plus loin en termes de sensibilisation des acteurs économiques, le gouvernement français a adopté le 27 mars 2017 la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordre imposant aux plus grandes entreprises de mettre en place des mécanismes destinés à prévenir les atteintes aux droits humains et les dommages environnementaux dans l’ensemble de leur chaîne de production, y compris chez leurs sous-traitants et partenaires étrangers.
 
Cet essor législatif, en dépit de l’objectif louable qu’il poursuit, induit cependant certaines contraintes pour les entreprises transnationales qui doivent désormais composer avec les différentes sources internationales. Qu’elles soient d’origines françaises ou étrangères, l’objectif de ces mesures est de responsabiliser les entreprises, d’assainir les pratiques en évitant les agissements délictuels, mais également d’obtenir réparation pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et à l’environnement. 
 
 Si le motif poursuivi par le législateur est sans nul doute légitime, et entend répondre aux critères érigés par l’OCDE (2), il appartient désormais à l’entreprise de prévenir ces nouvelles formes d’intrusion et les éventuelles conséquences négatives qui peuvent en découler. En effet, une suspicion illégitime révélée au grand public peut dégrader de manière irréversible, sinon irréparable, une image économique pourtant largement irréprochable.
 
C’est pourquoi, en raison des principes récemment consacrés, il est impérieux pour l’employeur et les cadres dirigeants d’intégrer au sein de l’entreprise une dimension comportementale vertueuse et de s’y conformer, pour répondre à l’exigence accrue de management des risques. Celle-ci se traduit partiellement par l’adoption d’un Code des bonnes pratiques et/ou un plan de vigilance.
  
I – Code de bonnes pratiques et plan de vigilance - nature des obligations légales :
 
En matière de lutte contre la corruption :
 
La loi Sapin 2 impose désormais la mise en place - au sein des entreprises de plus de 500 salariés réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 100 millions d’euros - des mesures de vigilance et de prévention destinées à prévenir les comportements relevant de la corruption, du trafic d’influence, de la concussion ou de la prise illégale d’intérêt, à savoir :
  • un code de conduite, intégré au règlement intérieur, définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d'influence.
  • une cartographie des risques prenant la forme d'une documentation régulièrement actualisée et diffusée dans l’entreprise destinée à détecter et analyser les risques d'exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d'activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité.
  • des procédures d'évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ;
  • un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d'influence ;
  • un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ;
  • un dispositif de contrôle et d'évaluation interne des mesures mises en œuvre.
  
En matière de RSE :
 
Toujours dans un objectif d’assainissement et de responsabilisation des affaires, les entreprises françaises sont, depuis l’adoption de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2016, astreintes à un devoir de vigilance accru en matière d’atteinte aux droits humains, à la santé, à la sécurité des personnes et à l’environnement.
 
Cette disposition a pour objectif de remettre le respect des droits humains au cœur des préoccupations des multinationales et concerne notamment :
 
« Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger. »
  
Ces sociétés doivent établir et publier un plan de vigilance  destiné à identifier, analyser, évaluer et à traiter les risques en matière d’environnement et de droits humains (en sus des obligations en matière de lutte contre la corruption. Voir supra) dans leurs propres activités, mais aussi dans celles de leurs filiales, sous-traitantes et fournisseurs, en France comme à l’étranger.  
 
Dans la majeure partie des cas, la corruption implique des intermédiaires externes qui agissent à la demande des entreprises dans les zones géographiques où elles ne bénéficient pas d’une présence locale. C’est pour répondre à cette problématique que l’obligation de vigilance a été placée sous la responsabilité des sociétés mères tout en étant étendue aux activités des filiales, des sous-traitants et des fournisseurs.
 
Le plan de vigilance comporte : 
  • une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;  
  • des procédures d’évaluation régulières de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie ;  
  • des actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;  
  • un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements des risques ;  
  • un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d'évaluation.
  
II - L’adoption d’un code de bonne conduite (ou charte d’éthique) : un gage de mise en conformité :
 
Notre confrère Bruno NUT mentionne que (3) « les scandales dont la presse s’est fait l’écho ont conduit [les] professionnels et [les] entreprises à réfléchir à la moralisation des affaires, et à s’imposer ou à se faire imposer par la loi des règles d’éthique ou de déontologie, dans le but de présenter leur activité professionnelle comme adoptant un comportement conforme aux règles de droit ».
 
C’est donc dans un contexte de turbulences judiciaires fortement médiatisées (4) que s’est développée une volonté affirmée par les dirigeants des grandes entreprises et les instances politiques françaises de vouloir apporter une substance vertueuse aux structures financières, commerciales et industrielles projetées à l’international.
 
Ces pratiques sont désormais consacrées par la loi française.
 
Régime juridique du code de bonne conduite :
 
Le Code de bonne conduite (ou « charte d’éthique » ou encore « code de déontologie interne » ou enfin « charte des bonnes pratiques) a été imaginé pour répondre à des risques toujours plus prégnants et prévenir les déflagrations qui peuvent s’en suivre.
 
Dans les faits, le code de bonne conduite prend la forme d’une affirmation de principe et d’engagements éthiques souscrits par l’employeur, invitant les salariés à les appliquer dans leur environnement professionnel direct. Elle a cependant un pouvoir contraignant en ce qu’elle peut être amenée à contenir des dispositions disciplinaires pour le salarié qui en enfreindrait les principes. En ce sens, elle n’est pas que soft law.
 
S’agissant d’un acte supplétif de l’entreprise trouvant à s’appliquer à tous les salariés, il se trouve régi par l’article L 1311-1 et suivants du Code du travail, à savoir que faute d’être nommément visé par ledit code, il suit le même régime juridique que celui applicable au règlement intérieur dont il est une adjonction au sens de l’article L. 1321-5 de même code.
 
En vertu du principe de « parallélisme des formes », conformément à l’article L. 1321-4 du Code du travail, la charte d’éthique doit, préalablement, être soumise à l’avis des institutions représentatives du personnel (IRP) ainsi que, pour les matières qui le concerne, au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Le document fera ensuite l’objet d’une mesure de publicité, accompagnée de l’avis des IRP. Concomitamment, la charte sera soumise à l’appréciation de l’Inspection du travail (DIRECCTE) qui peut exiger son retrait ou toute modification de mentions contraires aux règles du droit du travail.
 
Contenu du code de bonnes conduites :
 
Afin de compléter utilement des dispositions du règlement intérieur, dont il est un additif, et pour mieux répondre aux exigences de conformité en matière de RSE, le code de bonne conduite devra traiter de fonctionnalités internes ayant trait aux domaines jugés sensibles et/ou potentiellement sources de risques et d’atteinte à l’image de l’entreprise.
 
Le domaine du code n’étant pas strictement cantonné aux dispositions de la loi Sapin 2, de nombreux sujets peuvent encore trouver à figurer dans cet acte. En effet, « un code d’éthique est généralement le reflet de la personnalité d’une entreprise, de ses convictions, de ses engagements. » (5) Il conviendra cependant, pour que cette charte soit efficace, d’opter pour la concision, car une rédaction trop exhaustive serait ignorée par les salariés et raterait en conséquence sa cible.
 
Parmi les sujets abordés, on trouvera notamment :
  • un rappel des pratiques commerciales licites, usage et pratique des cadeaux d’entreprise et une déontologie en matière de concurrence (loyauté, intégrité et sincérité) ; érection de principes de conflit d’intérêts.
  • le respect des fournisseurs, de la législation du travail, des droits de l’enfant et des engagements environnementaux ;
  • le respect des bonnes mœurs et de l’ordre public international ;
  • le respect de l’intimité et de l’intégrité du salarié ;
  • la sécurité des produits et la délivrance d’informations en matière de dangerosité ;
  • un appel à la vigilance concernant l’usage des biens professionnels ;
  • les règles impératives de sécurité et de prudence, notamment à l’étranger ; l’énonciation de comportements proscrits sous certaines latitudes géographiques ;
  • le souci du secret professionnel : discrétion à l’égard des tiers et identifications de normes quant à l’usage des réseaux sociaux, des outils de communication et de circulation de l’information (principe de réserve et règles de confidentialité) ;
  • et bien évidemment un processus structurel interne de système d’alerte éthique professionnelle ;

Par Olivier de MAISON ROUGE
Avocat - Docteur en Droit
Coprésident de la commission Renseignement et sécurité économique de l’ACE

 
(1) En 2010, la Cour de cassation consacrait déjà son rapport annuel au « droit de savoir ».
(2) Convention du 17 décembre 1997 sur la lutte contre la corruption.
(3) NUT Bruno, « Déontologie et corruption », in Manuel d’intelligence économique, PUF, 2012
(4) De MAISON ROUGE Olivier, « Géopolitique du droit américain : dernières nouvelles du front », in Sécurité globale, n°9, Printemps 2017
(5) DELHAYE Catherine « Les codes d’éthique, un nouveau défi pour les entreprises », table ronde, in Cahiers du droit de l’entreprise, n°4, juillet-août 2014


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