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Travail du dimanche : regain de tension en Alsace





Le 19 Septembre 2014, par Jean-Christophe Pecqueur

Le travail dominical est un sujet aussi complexe que sensible, entre la législation, et les dérogations et décisions de justice qui se succèdent. En Alsace, où le droit local fait autorité en la matière, les tensions sont plus vives que jamais, notamment autour de la question de l’ouverture des commerces alimentaires le dimanche.


Strasbourg, La Maison des Tanneurs / Credit : All Free Photo (cc)
Strasbourg, La Maison des Tanneurs / Credit : All Free Photo (cc)
Le 28 juillet dernier, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Saverne ordonnait au Carrefour Contact de Wingen-sur-Moder, petit supermarché situé dans un village du nord de l’Alsace, de cesser d’ouvrir le dimanche matin de 9h à 12h. Ces horaires, en vigueur depuis le 1er juin, devaient contribuer à renforcer les chances de survie et l’attractivité de ce point de vente de proximité, un ancien magasin Coop d’Alsace. C’est d’ailleurs cet argument qui avait été mis en avant par la municipalité précédente, qui avait bien délivré une autorisation d’ouverture dominicale.
 
Mais en Alsace-Moselle, la question du travail du dimanche est plus complexe encore que dans la « France de l’intérieur », telle que la dénomment les Alsaciens. Car c’est un régime juridique particulier qui s’applique, un « droit local », hérité de lointaines dispositions en vigueur alors que la région était encore allemande. Le repos dominical, ainsi, est encore régi par ce droit.
 
Et alors que dans le reste de la France les commerces alimentaires peuvent ouvrir le dimanche matin jusque 13 heures, en Alsace-Moselle, le principe de base est l’interdiction de travailler, à l’exception de certaines activités, plus limitées, et dans la limite de 5 heures par dimanche (1). Des arrêtés municipaux et préfectoraux, multiples, parfois obsolètes, gèrent localement les dérogations… et les restrictions à ce principe. Autant de textes qui viennent souvent diversifier, et complexifier, les situations. 
 
A Wingen-sur-Moder, le Tribunal, saisi par le Groupement commercial du Bas-Rhin et 4 syndicats qui voulaient faire fermer le Carrefour Contact le dimanche, a ainsi jugé l’ouverture dominicale du magasin de proximité contraire aux dispositions d’un arrêté préfectoral de 1938, réservant le droit d’ouverture dominicale à certains commerces, comme… les marchands de lait ou de denrées coloniales ! Les supérettes, encore inexistantes, n’y sont évidemment pas mentionnées. C’est d’ailleurs ce qui pousse aujourd’hui des commerçants et des salariés de plus en plus nombreux à réclamer une remise à jour de ces dispositions, qui peut se faire au  cas par cas par voie d’arrêté municipal, comme ce fut le cas l’été précédent à Strasbourg. 
 
Car avant que la question de l’ouverture dominicale des magasins de bricolage ne fasse la une de l’actualité nationale (bien que le conflit soit plus ancien), c’est dans la capitale alsacienne que la question du travail du dimanche cristallisait les tensions. Sept supérettes, ouvertes le dimanche matin, ont en effet été poursuivies par l’Inspection du travail - soutenue par les syndicats - qui souhaitait qu’elles gardent portes closes le dimanche, sur la base d’un arrêté pris par la Ville en 1936. Et qui contredisait donc le second arrêté de 1938, applicable dans le reste du Bas-Rhin, qui mentionnait lui la possibilité d’ouvrir pour les « épiciers ».
 
Cependant le premier arrêté de 1936 n’ayant pas été abrogé, le Tribunal a imposé, à la mi-mai 2013, la fermeture de ces supérettes le dimanche. Face à la rupture d’égalité avec les autres commerçants du Bas-Rhin et aux réactions des commerçants, des consommateurs, mais aussi des salariés concernés, qui pointaient le décalage entre cette règle et des considérations économiques et sociétales plus actuelles, la Mairie a décidé à l’unanimité des conseillers municipaux d’abroger le texte en question 6 semaines plus tard… Désormais à Strasbourg, les commerces alimentaires peuvent, officiellement, ouvrir durant 3 heures le dimanche matin. Mais le débat n’est pas clos : les concertations, vives, se poursuivent sur le nombre d’heures à autoriser et la nature des commerces susceptibles d’ouvrir. 
 
Pour leur part, les syndicats se disent très vigilants sur ces questions. Craignant une remise en question du repos dominical, et l’ouverture d’une « brèche » dans le droit local, ils se sont félicités de la décision prise par le TGI de Saverne concernant Wingen-sur-Moder. Et ont d’ores-et-déjà annoncé qu’ils utiliseraient cette décision pour mener d’autres actions. L’équation est pourtant complexe : la question du repos dominical est indissociable de celles de l’évolution des modes de vie, de consommation, mais aussi – et surtout – de la croissance et de la sauvegarde de l’emploi. Au Carrefour Contact de Wingen-sur-Moder, les salariés et le gérant indépendant s’inquiètent des répercussions de cette fermeture sur l’activité du magasin : elle pourrait engendrer une perte de 10% du chiffre d’affaires, et mettre en danger 2 à 3 des 13 emplois que compte le supermarché. « On est déçu, c’est dommage », regrettait elle-même une salariée après la décision du Tribunal (2).
 
Le combat pour la sacralisation du repos dominical n’est en effet pas forcément celui des salariés. Un employé d’un supermarché de proximité à Strasbourg avait déclaré à Rue89-Strasbourg lors de la décision prise en mai 2013 de faire fermer les supérettes strasbourgeoises le dimanche matin : « Moi je veux bosser le dimanche ! On n’oblige personne […] Mais moi j’en ai besoin économiquement. Le dimanche on est payé le double […] Personne n’est venu nous demander notre avis, à nous les salariés. Même pas les syndicats » (3). Et en effet pour beaucoup de salariés et de petits commerçants, l’enjeu n’est bien souvent pas de conserver à tout prix le principe du repos dominical, mais de préserver leur pouvoir d’achat, voire leur propre emploi. Pour mémoire, un accord salarial sur le travail des employés du commerce le dimanche en Alsace, qui garantit une rémunération au moins égale à 150% du taux horaire de base et un temps de compensation supplémentaire payé, a été signé en janvier dernier (4).
 
 
(1) Cf. textes du Code du Travail relatifs à la situation de l’Alsace-Moselle
(2) JT de France 3 Alsace du 28 juillet
(3) http://www.rue89strasbourg.com/index.php/2013/06/30/societe/travail-dominical-trois-heures-douverture-cest-ridicule/
(4) http://fr.scribd.com/doc/196861423/Travail-le-dimanche-accord-de-janvier-2014



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