Aristote distingue dans les saveurs le doux, l’amer, l’onctueux, le salé, l’aigre, l’âpre, l’astringent et l’acide. En 1751, Linné discerne 10 qualités gustatives, l’humide, le sec, l’acide, l’amer, le gras, l’astringent, le sucré, l’aigre, le muqueux et le salé. Aujourd’hui l’unami a remplacé le muqueux qui n’a pas grand-chose avec le goût de même que l’astringent. Qu’elles soient aimées ou non ces saveurs sont universelles et peuvent être associées de façon intéressante à des sons et bien entendu à des alliances entre un cigare et le verre l’accompagnant.
Le doux est une saveur trompeuse. On la croit souvent neutre voire sans saveur alors qu’elle est là pour vous rappeler qu’il faut parfois « un peu de douceur dans un monde de brutes ». Et le monde aujourd’hui est plutôt marqué par la brutalité quand celle-ci ne dégénère pas en barbarie. La douceur, évidemment, peut être celle de la madeleine trempée par Proust dans une tasse de thé et qui agit comme une machine à remonter le temps. Le doux à la différence du salé ou du sucré est très subjectif.
Le doux est une caresse qui vient apaiser un moment de tension. Le doux, pour moi, est un carré de chocolat qui viendra doucement fondre. M.K Fischer remarquable autrice gastronome (« biographie sentimentale de l’huitre », « le fantôme de Brillat-Savarin ») d’un style inimitable et gourmand relate dans « une mariée à Dijon » son expérience du carré de chocolat noir, pris après une marche dans la campagne, éclatant dans sa bouche pour ensuite fondre voluptueusement et faire corps avec ses sens.
La musique qui adoucit les mœurs peut donc être un merveilleux vecteur de cette douceur. Évidemment le « classique » occupe souvent le créneau de la musique douce sans pour autant sombrer dans la mièvrerie. Le jazz peut évidemment rivaliser avec cette quête de douceur. Et là je pense à une voix de femme remarquable celle de Shirley Horn et de son disque regroupant ses plus belles interprétations « Magic – just in time » où les morceaux veloutés se succèdent pour occuper l’espace et le temps.
Sa voix chaude ne cherche pas le registre de la puissance, mais celui de la douceur qui réchauffe et vous enveloppe et caresse pour vous détendre. Comme elle le chante, elle sait vous mettre « in the mood for love ». Croquer alors quelques chocolats ne s’apparente pas un péché de gourmandise, mais à l’élégance de répondre à l’invitation de cette chanteuse qui vous ouvre les portes d’un moment exclusif où cave à cigares et cave à liqueurs ne sont plus des refuges, mais des fenêtres ouvertes sur le plaisir.
Alors, ouvrons une bouteille de Pommeau et servons nous un verre de ce doux breuvage vieilli en fût de chêne issu d’une subtile alliance du fruit, la pomme qui va apporter de la rondeur et de son eau-de-vie, le calvados qui va apporter, avec beaucoup de délicatesse, puissance et alcool.
Je vous propose le Pommeau du Manoir d’Apreval, un joli domaine entre Honfleur et Deauville en plein cœur de la Normandie. Sa robe ambrée, son nez enchanteur sur les fruits confits et sa bouche sensuelle emplie de notes de pommes et de pruneaux vous apporteront un doux plaisir surtout si vous le dégustez en fumant un Roméo y Julieta Churchill…
Nicolas Lerègle, avocat au barreau de Paris et amateur de barreaux… de chaise