Hans VON DACH (1927–2003) est un théoricien militaire suisse, auteur du manuel de référence en matière de guérilla Total Resistance (titre original : Der total Widerstand: Eine Kleinkriegsanleitung f’r Jedermann), publié en 1957.
Von Dach a été employé de 1970 à 1980 dans la division de formation du Département suisse de la défense. Ses travaux portent sur la guerre irrégulière. Malgré le succès de Total Resistance, von Dach n’a pas été promu au-delà du grade de Major qui luit fut attribué en 1963. En 1974, le chef d’état-major général suisse retire son imprimatur à la publication de Total Resistance, comme manuel de l’armée, car jugé anticonforrmiste.
Il a néanmoins continué à bénéficier d’un large soutien – amplement mérité – pour ses travaux de réflexion, son analyse de la menace implicite et de la nécessité d’un effort soutenu de guérilla défensive sont considérées comme participant à la stratégie de défense suisse globale.
Outre Total Resistance, von Dach est l’auteur de plus d’une centaine de publications sur les tactiques tels que Gefechtstechnik («Technique de combat», diverses éditions de 1958 à 1957), Kampfbeispiele (« Exemples de combat », 1977) et Kampfverfahren der Verteidigung (« Techniques de combat défensives », 1959). Dessinateur, il a illustré plusieurs de ses ouvrages.
Total Résistance ne fut jamais traduit en langue française. Ayant réalisé cet exercice, nous avons adapté son texte à la matrice économique, même si le lecteur devra nuancer de lui-même le propos, lequel reste écrit pour édifier la population en cas d’occupation militaire d’un territoire ; il faut donc faire œuvre d’imagination et de transposition pour être en mesure d’étendre l’enseignement du stratège militaire au monde conflictuel économique :
Parmi les règles de « résistance » énoncées par le Major Von Dach, figurent celles qui relèvent sans nul doute de la gestion de crise.
Nous relevons à ce titre les préceptes suivants qui ne sont pas sans bon sens :
a. Conservez votre foi en la victoire finale. [ maintenir la cohésion sociale NDLA ]
b. Informer la population [NDLA personnel, sous-traitants, partenaires, …] sur le comportement à adopter envers l’ennemi.
c. Recueillir et dissimuler des armes et des munitions pour le moment où, avec les unités de la guérilla, un soulèvement ouvert pourra être envisagé. Cela coïncidera généralement avec la chute imminente de l’ennemi, ou l’approche des troupes alliées. [ en d’autres termes renforcer la protection du patrimoine informationnel et prévoir des contre-mesures, continuité d’activité etc ]
d. Développer un service de renseignement qui aidera les unités de guérillas, les groupes de l’armée ainsi que les alliés de pays étrangers. [ s’informer, une règle de base ]
e. Garder une liste de toutes les atrocités commises par chaque fonctionnaire de l’oppresseur pour le « Jour du règlement des comptes ». (À travers des affiches, des tracts et des rumeurs, vous devez vous assurer que tout le monde, même l’ennemi, sache à son sujet. Cela les empêchera de recommencer). [ la constitution de preuves des atteintes commises par l’auteur des actes d’ingérence économique]
f. Publier un journal gratuit (« clandestin »). [ informer, influencer ]
(…)
h. Établissez une organisation pour cacher les personnes recherchées par la police ennemie (Service de sécurité de l’État). [ désigner et limiter le nombre de personnes servant la stratégie de défense de l’entreprise. Cloisonner ]
i. Mettre en place un réseau de fuite et d’évasion pour les membres d’équipage des avions abattus des pays alliés ou pour les prisonniers évadés. (Référez ces personnes à nos propres unités de guérilla.) [ mettre à l’abri les hommes-clefs ]
j. Falsifier les cartes de rationnement pour le ravitaillement des personnes expulsées de la communauté en tant que prétendus « ennemis de l’État » et condamnées par l’ennemi à une « mort lente ». [ tromper l’adversaire, générer des contre-feux informationnels ]
(…)
l. Lutter contre la collaboration (coopération avec l’ennemi). [ s’assurer de la loyauté des salariés ]
m. Organiser le sabotage. Organisez des attentats contre des agents particulièrement cruels de l’ennemi, ainsi que de traîtres connus. [ envisager l’usage de poison pills ]
n. Organiser le soulèvement. » [ créer l’adhésion du personnel à la défense économique ]
(…)
S’agissant de l’influence, en matière de gestion de crise ou de résistance à une agression économique (OPA hostile, cyber-attaque, atteinte réputationnelle de l’entreprise, etc), il ne faut pas sous-estimer l’adhésion des collaborateurs et lutter contre la démoralisation qui affecte la bonne marche de la structure.
Ils doivent être associé à « l’esprit de défense » de l’outil de travail :
« Recruter pour le mouvement de résistance
En dépit de toutes leurs bonnes intentions, toutes les personnes ne sont pas aptes à participer activement au mouvement de résistance.
Vous devez sélectionner avec soin les membres de la résistance actifs parmi les personnes disponibles. [sélectionner les personnes de bonnes volonté et expérimentées, résistantes au stress ]
Le succès ou l’échec du mouvement de résistance dépend de cette sélection.
(…)
Voici des exemples de membres inadaptés au mouvement de résistance: des personnes politiques importantes, actives ou à la retraite, les grands économistes, les rédacteurs en chef, les professeurs, les responsables de l’administration. [ sic ! en matière économique, on espère le contraire … ]
Toutes ces personnes sont trop connues pour participer au « mouvement clandestin ». Elles seront certainement surveillées, seront arrêtées tôt ou tard, voire exécutées. Pour elles, le mieux est de rejoindre les unités de guérilla.
Toute personne souhaitant travailler avec le mouvement de résistance doit être aussi discrète que possible et rester silencieuse en public.
Des personnalités importantes sont également exposées à un type particulier de danger. Au début de l’occupation, elles peuvent être forcées publiquement à soutenir l’ennemi. »
Terreur informationnelle : la conquête des esprits appartient malheureusement au domaine de la guerre informationnelle. La désinformation, la falsification, la communication sous forme de fake news font partie des ressorts de la guérilla économique. Il convient dès lors d’être en mesure de les contrer (il s’agit là de mesures de contre-espionnage) :
« Règles de base de la terreur
Si vous résistez à l’endoctrinement politique et que l’ennemi réalise qu’il échoue dans ses tentatives de vous « convertir » à son idéologie, il tentera d’obtenir l’obéissance par la peur. Il va essayer de créer cette peur par la terreur. L’ennemi a mis au point des techniques terroristes efficaces. Vous devez donc être préparé. Si vous connaissez ces techniques, vous pourrez y résister plus facilement.
Ces mesures terroristes sont :
a. Surveillance du téléphone [les réseaux e communication, e-mail, etc ] par la censure;
b. Établissement d’un réseau d’agents et d’informateurs;
c. Arrestations arbitraires; [ débauchage, licenciements d’hommes-clefs ]
d. Aucun essai public sauf « show trial »; [ instrumentalisation juridico-médiatique ]
e. Sentences arbitraires;
(…)
a) Les chances de succès de la censure du courrier ennemi et de la surveillance par téléphone sont pratiquement nulles dans un pays plus vaste tel que Berne, où 160 000 conversations téléphoniques sont effectuées et 200 000 courriers postés chaque jour. [ la coupure des réseaux à grande échelle est désormais largement possible, malgré la création des OIV [1] et OSE [2]
(…)
Arrestations arbitraires
b) L’ennemi arrêtera arbitrairement des personnes complètement inoffensives afin de répandre la rumeur selon laquelle elles seraient victimes de son filet de surveillance. Il veut créer l’impression que son filet est uni et efficace. Ne tombez pas dans le piège mais évaluez ses capacités et ses limites.
(…)
e) L’ennemi ne punit pas conformément à la loi, mais conformément aux exigences politiques. En conséquence, la même peine est rarement prononcée pour la même infraction. Ainsi, il faut toujours s’attendre au pire. Vous pouvez être envoyé dans un camp de travaux forcés pour une durée indéterminée ou même exécuté pour la moindre infraction, si vous êtes assez malchanceux pour être appréhendé à un moment politiquement défavorable. »
Le Major Von Dach considère la contre-influence comme un exercice délicat en cas de crise :
« La propagation de « l’horreur » est cependant une arme à double tranchant. Utilisée adroitement, elle peut servir votre cause en mobilisant, par la haine et le désespoir, ceux qui sont restés passifs jusqu’à présent. Ne tentez pas de mobiliser les « indécis » par la « contre-terreur ». Soyez patient : l’ennemi prendra de telles mesures qu’avec le temps, ils vous reviendront seuls automatiquement. Les individus contraints de vous rejoindre sous la pression ne sont pas fiables. Si nécessaire, ces personnes peuvent toujours être utilisées dans l’armée régulière, où elles entretiennent des relations étroites avec d’autres et sont sous contrôle permanent. Cependant, lors de la lutte pour la résistance, où tout dépend du secret et de la fermeté de l’individu, ils ne servent à rien et constituent même un danger. »
La confidentialité appartient nécessairement au monde de l’intelligence économique qui par nature évolue dans un univers cloisonné, pétri d’informations plus ou moins publiques, sinon secrètes. De même qu’en résistance, la communication doit être confidentielle (à défaut d’être clandestine) :
« Il est impératif de mettre au point un réseau de communication afin de pouvoir transmettre rapidement les ordres et les directives, ainsi que les avertissements relatifs aux mesures policières imminentes. [ fiches et consignes de sécurité, réseau d’interlocuteurs désignés en amont ]
Comme moyen de communication, vous utiliserez: des coursiers, le système téléphonique public, le système postal civil et des transmetteurs clandestins. [ aujourd’hui des communications chiffrées ]
Vous devez distinguer entre :
– les « Courriers tactiques » utilisés pour la communication interne dans une petite zone, et
– les « Courriers opérationnels » utilisés pour la communication entre pays.
(…)
Les messages doivent être codés. La station de radio doit être cachée et gardée.
Dans le mouvement de résistance, n’utilisez pas de radio [ ou moyens satellitaires, hertziens, ou câblés ]. En conséquence, la sécurité radio est rendue difficile et les efforts déployés pour la sécurité sont trop importants par rapport à la valeur des divers messages. [ vulnérabilité des moyens de communication très souvent rappelé … ]
N’oubliez pas que la surveillance des transmissions radio et l’utilisation de radiogoniomètres sont plus faciles pour l’ennemi que l’interception de courriers qui disparaissent parmi des centaines de milliers de citoyens. Afin de placer vos communications radio sous surveillance, il n’a besoin que d’une poignée d’experts intelligents, techniquement bien formés et bien équipés. Pour intercepter les courriers, il lui faut une armée de policiers. [ les moyens les plus rudimentaires sont toujours les plus opérationnels ; les cellules de criminels le savent bien ] (…)
Pas d’information préalable (renseignement), sans agent de renseignement. Leur recrutement reste la base d’une action de collecte d’informations pertinentes, y compris en matière économique.
En matière de défense, il convient de s’assurer d’un entourage loyal :
En utilisant des informateurs, l’ennemi espère collecter des informations sur vos activités, semer la méfiance, rendre plus difficile le contact entre les membres de la résistance.
Personne ne peut plus faire confiance à son voisin. De ce fait, l’organisation du mouvement de résistance, en particulier à son stade initial, devient très difficile.
Le service de sécurité de l’État mènera une enquête approfondie sur le passé et le présent de ceux qui semblent être des candidats potentiels en tant qu’informateurs. Avant tout, il est essentiel de rassembler des documents avec lesquels il pourra faire chanter les victimes au moment opportun. À cet égard, non seulement l’opinion politique, mais aussi la vie privée sont intéressantes.
Les points suivants présentent un intérêt particulier pour le service de sécurité :
A-t-il des dettes?
A-t-il d’autres difficultés financières?
Est-ce que tout fonctionne bien dans son mariage ou existe-t-il une possibilité de lettre anonyme?
A-t-il une petite amie?
A-t-il commis un acte insensé dans le passé qui est soigneusement caché de ses associés actuels?
Est-il extraordinairement ambitieux?
Est-il amer, insatisfait et en mauvais termes avec la société? »
[ ici le Major Von Dach reprend les vieux ressorts des sentiments humains, ou encore la technique d’approche et de retournement dite MICE pour Money, Ideology, Coercition et Ego ]
Parmi les sources vulnérables, le tacticien militaire liste encore :
« Les gens se livrant à l’évasion fiscale, au marché noir, etc.
Criminels à qui on promet une libération de prison ou aucune peine.
Alcooliques
Drogués
Ceux qui sont influençables qui sont prêts à tout faire pour de l’argent.
Les idéalistes qui sont tombés pour le « système » et sont tellement aveugles sur le plan idéologique qu’ils sont prêts à accomplir les pires tâches. »
Concernant les mesures quotidiennes en matière de respect de la confidentialité, il note :
« Ne discutez de sujets confidentiels que dans des pièces fermées, jamais dans un tramway, un train ou un restaurant. Ne parlez qu’avec des personnes en qui vous avez confiance et que vous connaissez depuis des années.
Quand un tiers arrive, changez de sujet de manière peu claire.
En maintenant un silence persistant en public, la meilleure source d’informations pour les informateurs se tarira. Il est plus facile pour eux de choisir des conversations en public, puis de les infiltrer. Dans un groupe entre personnes qui se connaissent, il existe une atmosphère personnelle dans laquelle la pensée et le passé d’un individu sont connus l’un de l’autre.
Le lieu de réunion d’un informateur n’est jamais situé au siège du service de sécurité de l’État, mais toujours dans restaurant où les informateurs peuvent aller et venir sans être reconnus ni attirer l’attention. Les agences d’assurance, les agences de voyages, etc., conviennent parfaitement comme lieu de rencontre car, dans le flot constant de personnes, les informateurs n’attireront pas une attention excessive sur eux-mêmes.
Localisez et observez ces lieux de rencontre.
Essayez d’identifier les informateurs et de les neutraliser.
Assurez-vous que leur identité est connue de la population grâce à des affiches murales, des prospectus et des rumeurs. » [ des règles constituent encore de nos jours le B.A.-BA ]
Pour s’affranchir des écoutes, le Major Von Dach relève :
« Les méthodes de construction modernes avec des épaisseurs de paroi minimales augmentent généralement les chances d’écoute. Avant une conversation, fermez les portes et les fenêtres – Ne parlez pas dans les pièces de votre maison qui jouxtent un appartement voisin ou la cage d’escalier. Vous évitez ainsi « d’entendre » involontairement votre conversation, mais également une « écoute » délibérée de votre voisin.
Si vous avez des voisins ou si vous ne possédez qu’une seule pièce, allumez la radio. Son bruit couvrira votre conversation et vous évitera d’être entendu.
Si vous craignez que votre maison ne soit sur écoute par le service de sécurité de l’État, allumez la radio avant les discussions secrètes. Sélectionnez une station approuvée par l’ennemi et augmentez le volume au maximum. Les micro-téléphones ne capteront donc que le bruit de la radio. »
Avec de telles règles oppressantes, il ne faut pas sombrer dans la paranoïa. Le monde actuel est certes incertain, constitué d’agressions commerciales et ingérences économiques ; mais le temps de la résistance totale n’est sans doute pas venu, ni nécessairement adapté.
Toutefois, nous avons cru devoir recenser ces actions légitimes car ce texte illustre néanmoins notre propos dans la mesure où, si la guerre économique n’est pas une guerre conventionnelle – loin s’en faut – le contre-espionnage économique n’est pas sans ignorer la lutte asymétrique. C’est pourquoi nous souhaitions faire état de ces contre-mesures qui conservent une certaine pertinence dans le cadre de notre démonstration, sans toutefois devoir être prise au pied de la lettre.
Olivier de MAISON ROUGE
Avocat, Docteur en droit
Dernier ouvrage paru : « Gagner la guerre économique. Plaidoyer pour une souveraineté économique et une indépendance stratégique » VA Editions, 2022