La Chine n’en finit plus de peser sur la scène internationale. Le pays a encore accru sa part de marché dans le commerce mondial durant la crise. Selon une note publiée par Euler Hermes, sa part de marché sur le top 20 des exportateurs mondiaux s’établit désormais à 25%, contre une moyenne d’environ 20% sur la période 2017-2019. Malgré la pandémie, la Chine a dégagé une croissance de 2,3% en 2020. La croissance du pays reste impressionnante, le PIB Chinois a été multiplié par 12 sur les 20 dernières années alors que celui des USA a tout juste doublé sur la même période. Avec un niveau aujourd’hui de 16 942 milliards de dollars, il talonne désormais celui des américains qui pèse 21 921 Milliards de dollars (Source – FMI).
Cette croissance n’est pas le fruit du hasard. Depuis 30 ans et l’entrée dans l’ère de la globalisation, la Chine a tissé une toile pour devenir le premier exportateur mondial sans qu’on y prête fortement attention. Au pays de Sun Tzu, maître à penser de la stratégie indirecte, une stratégie d’internationalisation repose sur une bonne connaissance des différents écosystèmes via un travail continu de Market Intelligence pour ensuite prioriser les segments de marché porteurs à cibler et enfin allouer les ressources nécessaires de façon progressive sans chercher à bousculer ses partenaires étrangers. Les deux piliers forts que sont les réseaux et l’innovation, placent désormais le pays dans une position plus que favorable pour conforter sa position de leader mondial de l’exportation. Une combinaison magique pour la Chine car les réseaux offrent un cadre idéal pour l’intégration des innovations et leur commercialisation. En retour, les innovations consolident les réseaux car elles s’accompagnent de la création de centres technologiques au sein des principaux marchés porteurs étrangers.
Des réseaux actifs
La Chine a su observer et tirer les enseignements de pays champions à l’exportation comme l’Allemagne ou le Japon. La force d’un grand pays exportateur repose sur une grande proximité des entreprises avec la demande du client et dans leur fonctionnement en réseau qui assure la fluidité de la diffusion des savoir-faire, y compris en matière d’intelligence économique. Outre les partenariats, la Chine a compris qu’un réseau fort suppose la maîtrise des composants essentiels d’une chaîne de valeur que ce soit en amont ou aval. Ainsi, le pays contrôle aujourd’hui les réserves de métaux rares, indispensables à la construction de batteries pour les véhicules électriques, et il est devenu une référence dans le domaine de la logistique, en se positionnant comme premier investisseur des zones portuaires stratégiques du commerce mondial.
En 2020, la Chine s’est affirmée encore un peu plus face à l’Europe et aux USA. Le partenariat régional ou RECEP, ratifié le 14 Novembre 2020, place le pays dans une position idéale de locomotive au sein d’une zone qui représente 30% de la population mondiale et où se profile une réduction de 90% des droits de douane. En prenant les rênes de cette zone, le pays pourra encore plus facilement écouler ses nouveaux produits et consolider sa place de premier exportateur mondial.
Digitalisation et politique d’offre
Force est de constater que la Chine n’est plus seulement l’atelier du monde mais qu’elle se transforme progressivement en pionnier de l’innovation. Le pays n’entend plus jouer uniquement sur des innovations incrémentales. Il se positionne progressivement sur des innovations de rupture. Sa force de frappe dans l’univers de la digitalisation, avec les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) qui rivalisent déjà avec les GAFAM, créent des écosystèmes et grappes d’innovation qui bénéficient aux autres secteurs industriels. Son immense réservoir de ressources économiques et financières lui permet désormais d’accélérer dans des secteurs prometteurs portés par l’innovation : IA, transition énergétique, fabrication additive (3D), robotique, véhicules électriques…nnEn outre, la digitalisation va permettre aux exportateurs chinois d’exercer leur intelligence créative et de montrer encore plus leur réactivité dans l’étude des besoins et la mise en place de services correspondants. Un exemple récent d’agilité est l’entreprise chinoise Shipparts, qui propose un nouveau portail d’e-approvisionnement, spécialisé́ en pièces détachées marines. La société fournit des pièces de rechange pour les bateaux et les installations offshore. Selon Shipparts, la numérisation des processus d’approvisionnement pourrait prochainement réduire de 80% le temps de traitement des commandes de pièces détachées. En effet, la technologie de la fabrication additive a le potentiel de révolutionner l’industrie des pièces de rechange. Les pièces peuvent être produites sur demande, à proximité de l’emplacement de la demande, contournant ainsi les procédures de logistique, de stockage, d’expédition et de douane. Il est intéressant de noter que ce type d’innovation renforce encore plus le réseau. Cela permet notamment aux acteurs chinois d’être au contact de nombreux entreprises étrangères dans des endroits stratégiques de l’import/export comme les zones portuaires. De ce fait, les innovations ne répondent pas seulement à un besoin, elles s’inscrivent dans une stratégie d’internationalisation.
Conclusion
La Chine a semé, depuis 30 ans, sur la plupart des continents et elle récolte aujourd’hui les bénéfices de son approche du commerce international. Plus qu’une leçon d’économie, c’est aussi une leçon de philosophie de l’Orient, où le temps est le meilleur des alliés. Outre une stratégie à long terme, les bases demeurent solides et les pandémies n’ont pas vraiment entamé l’édifice de son économie exportatrice. La Chine est devenue redoutable parque qu’elle a pris le temps de s’organiser et se placer au centre des écosystèmes de l’activité export mondiale. Cette maîtrise dans l’art de manœuvrer et cette agilité ne peuvent que faciliter l’introduction de nouveaux produits de façon durable aux quatre coins du monde. Le pays continue à progresser et la digitalisation constitue un formidable accélérateur pour le pays, afin d’apparaître de plus en plus comme un acteur en matière d’innovations de rupture. Ainsi, le danger pour les Européens et Américains, serait de voir la Chine les dépasser dans une stratégie d’offre, source de marges rémunératrices, avec de surcroît un effet multiplicateur lié aux réseaux et à l’importance de ses moyens humains et financiers.
Une chose est sûre, même si l’histoire peut toujours surprendre, la globalisation est loin d’être terminée. L’ancien directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, a récemment évoqué dans une interview de Challenges que nous nous dirigeons vers une nouvelle forme de globalisation et que celle-ci sera simplement plus étatique, plus « précautionniste » mais aussi… plus digitale et donc quelque part plus chinoise.
Références
De la Rocque J-P (2021), « La mondialisation version COVID »,numéro 680, Challenges.
Pitron G. (2018, La guerre des métaux rares, Les Liens Qui Libèrent.
Barsoux J-L, Bouquet C., Wade M. (2019), « Donnez vie à vos idées révolutionnaires », Harvard Business Review, Mars. Le Boucher E. (2020), « Démondialisation ? Non remondialisation », Les Echos, Décembre.
O’Dwyer R. (2020) « ShipParts.com lance un projet d’impression 3D pour les pièces de rechange marines », Smart Martime Network.
Duchâtel M. (2019), « Entre commerce et intérêts de puissance », Newsletter Institut Montaigne.
Meier O. (2019), Management interculturel, 7ème éd., Editions Dunod
(1) En collaboration avec
Eric le Tallec, MBA HEC, diplômé de l’Université Paris1 Panthéon Sorbonne. Ce dernier est dirigeant du cabinet CB2i Consulting, dont la mission est d’aider les entreprises à valoriser leurs innovations à l’international.