Suite à l’allocution présidentielle du 16 mars 2020, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a été promulguée (JORF n°0072 du 24 mars 2020).
Comme le rappelle l’article 3 de cette loi, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est depuis habilité à prendre par voie d’ordonnance les mesures destinées à adapter le dispositif de l’état d’urgence sanitaire dans les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, dans le respect des compétences de ces collectivités.
Depuis, de nombreuses ordonnances ont été adoptées sur la base de ce texte législatif dans des domaines très larges comme le droit des étrangers, les règles applicables aux juridictions françaises, les délais échus pendant l’état de crise sanitaire, les droits sociaux, la formation professionnelle, l’apprentissage ou encore le fonctionnement des établissements sociaux et médico-sociaux.
D’autres textes visent à protéger les forces économiques de la Nation compte tenu de l’arrêt de la machine productive.
Ainsi, à titre d’illustration, soucieux de préserver autant que possible l’équilibre économique de nos entreprises, Emmanuel Macron avait annoncé le 16 mars 2020 la possibilité de suspendre le paiement des loyers commerciaux durant l’état d’urgence sanitaire.
Dans son discours du 25 mars 2020 sur la présentation des 25 premières ordonnances prises en application de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid 19, le Premier Ministre évoquait quant à lui le « report » des échéances locatives.
Une lecture attentive de l’ordonnance du 25 mars 2020 n° 2020-316 (ce texte devait entériner cette mesure annoncée) permet de constater qu’en réalité aucune disposition de ce texte ne dispense expressément les personnes qu’elle vise de ne pas payer les loyers commerciaux ou professionnels dont elles sont redevables.
La rédaction des dispositions relatives au loyers commerciaux de l’ordonnance du 25 mars 2020 est bien trop imprécise pour permettre aux chefs d’entreprise, même éligibles au fonds de solidarité, d’organiser la gestion de leur trésorerie.
On le voit, il faut distinguer les discours et les actes. Seuls ces derniers importent dans notre état de droit et ces actes ne comptent que lorsqu’ils prennent la forme de textes normatifs comme une loi, un décret, une ordonnance, un arrêté…
L’acte administratif «sans instrumentum» (non matérialisé par un document) est rare, le juge administratif n’admet qu’exceptionnellement et seulement sous certaines conditions qu’un acte administratif puisse être matérialisé par une simple décision orale (Conseil d’Etat, 12 octobre 2016, n°395307).
Ce principe mérite d’être salué, car comme le précise la locution latine «verba volant, scripta manent», les paroles s’envolent, les écrits restent.
Récemment, toutefois, toujours dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, mais cette fois-ci au niveau local, ce principe a été quelque peu aménagé par le juge administratif.
En effet, par une décision du 28 avril 2020, le juge des référés du Tribunal Administratif de Nantes a jugé que la décision verbale d’un maire diffusée largement par voie de presse de réinstaurer un couvre-feu suspendu par le juge est un acte administratif susceptible de recours (TA Nantes ordo., 28 avril 2020, n°2004501).
Dans cette affaire, le maire de la Commune de Cholet avait pris un arrêté instaurant sur le territoire communal un couvre-feu afin de renforcer les mesures prises dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire. Toutefois, cet arrêté avait été suspendu par le juge administratif nantais à la demande de la Ligue des droits de l’homme (TA Nantes ordo., 24 avril 2020, n°2004365). Mais, le jour même de la notification de cette ordonnance, le maire de Cholet avait annoncé, par une communication reprise par voie de presse, qu’il renouvelait la règle suspendue tout en réduisant la durée du nouveau couvre-feu instauré. La Ligue des Droits de l’Homme (LDH) avait alors saisi une nouvelle fois en référé le tribunal.
Il a été fait droit à la requête de la LDH. Le juge des référés a en effet admis que la décision verbale du maire de Cholet était un acte faisant partie de l’ordonnancement juridique susceptible de recours. Il a par la suite considéré que cette décision orale portait de manière grave et manifestement illégale atteinte à la liberté d’aller et venir de sorte qu’il y avait lieu de suspendre l’exécution de la décision verbale du maire du 24 avril 2020 interdisant aux habitants de la commune de circuler entre 22 heures et 5 heures.
Ironie de l’histoire dans la mesure où le maire avait choisi de porter cette mesure à la connaissance des habitants de Cholet par voie de presse, le juge des référés a enjoint l’édile d’informer dans un délai de 24 heures les habitants de Cholet, par voie de presse, de ce qu’aucune restriction à la circulation autre que celles édictées par les autorités compétentes de l’Etat n’est désormais applicable sur le territoire de cette commune.
Cette décision tranche avec une ordonnance du Conseil d’État du 8 avril 2020 qui a considéré dans d’autres circonstances qu’un communiqué de presse d’un secrétaire d’État n’était pas un acte valant décision (Conseil d’Etat, 8 avril 2020, n°439822).
Dans cette affaire, l’Association » Collectif pour la Liberté d’Expression des Autistes » (CLE Autistes) avait demandé au juge des référés du Conseil d’État, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, d’ordonner la suspension partielle de l’exécution d’un communiqué de presse du 16 mars 2020 du Secrétariat d’État chargée des personnes handicapées.
Ce communiqué de presse s’intitulait « Mesures pour les personnes en situation de handicap vivant à domicile et/ou accompagnées en établissement médico-social, dans le cadre de l’épidémie de covid-19, actualisées suites aux annonces du Premier ministre du 14 mars 2020».
L’association requérante soutenait que les mesures annoncées par le communiqué de presse du 16 mars 2020, en ce qu’elles étaient plus rigoureuses que celles qui s’appliquaient à l’ensemble des personnes résidant sur le territoire national, portaient atteinte à plusieurs droits et libertés garantis par la Constitution, la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, notamment les principes d’égalité et de non-discrimination, le droit à la liberté et à la sûreté ainsi que le droit à la vie.
Le Conseil d’État a néanmoins rejeté la demande de cette association. Il a en effet considéré qu’en publiant le communiqué de presse contesté, la secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargé des personnes handicapées s’est bornée à énoncer de simples recommandations destinées aux directeurs des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Il n’appartient qu’à ces derniers, responsables de l’ordre et de la sécurité dans les établissements qu’ils dirigent, de prendre des mesures permettant d’assurer, à l’intérieur de l’établissement, le respect des consignes données à l’ensemble de la population pour lutter contre la propagation du virus covid-19, en conciliant les exigences sanitaires avec les droits des résidents.
Au regard de ces éléments, les Juges du Palais Royal ont considéré que le communiqué de presse du 16 mars litigieux ne présentait pas le caractère d’un acte faisant grief et n’était donc pas susceptible de recours.
La parole politique est parfois sacralisée (même si dans le même temps la défiance à l’égard du politique n’est plus à prouver) de sorte que les déclarations des élus et des ministres auraient pour beaucoup valeur contraignante.
Il n’en est rien et la décision du Conseil d’État du 8 avril 2020 susvisée en est le témoin s’il en était besoin.
LEX SQUARED AVOCATS
FREDERIC ROSE-DULCINA