Covid et Ukraine : des accélérateurs de l’Histoire jusqu’à la refondation du Monde

Des signaux faibles signalaient en 2019 les années 20 comme de nouvelles Années folles. Aucune prospective ne donnait comme probable une pandémie mondiale et une guerre en Europe. Ces deux guerres, la Covid-19 et l’Ukraine sont des accélérateurs de l’Histoire.

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Covid et Ukraine : des accélérateurs de l’Histoire jusqu’à la refondation du Monde
Covid et Ukraine : des accélérateurs de l’Histoire jusqu’à la refondation du Monde - © journaldeleconomie.fr

Les accélérations sociales par la Covid

La Covid a causé la mort dans le monde d’au moins 6 millions de personnes – ce qui est finalement peu en comparaison à la « grippe Espagnole », en France 140 000. Cette maladie a profondément heurté les esprits dans un monde sensible à la mort « injuste », si ce mot est acceptable. Cette pandémie a conduit les 7 milliards de Terriens à se confiner en avril/mai 2020. La fiction hollywoodienne est devenue réalité.

Malgré le confinement, l’activité a continué à fonctionner. Ceux qui étaient en « première ligne » dans les activités « essentielles » étaient au contact direct avec la maladie d’autant que nous n’étions peu équipés ni en masque ni en gel hydroalcoolique. Et on l’a constaté de nombreuses victimes parmi les « premières lignes ». Des activités se sont arrêtées, comme les commerces « non essentiels », les cafés hôtels et restaurants, les transports individuels et de personnes (voiture, car, avion, croisiéristes, train) et donc le tourisme, comme les activités de culture et d’événementiel.

La plupart des autres activités ont continué à fonctionner grâce au télétravail. Du jour au lendemain, la France qui était très en retard sur le sujet est passée au tiers des employés en télétravail. Ce qui aurait pu prendre des années a pris 2 jours, ou presque. En janvier 2018, des ordonnances assouplissaient le télétravail encalminé dans des restrictions le rendant impossible à mettre en œuvre. Reste que de nombreux pays européens ont en 2021 à plus de 50 % de télétravailleurs (Italie 56 %, UK 50 %, Allemagne 61 %). Une évidence pour de nombreux pays, un saut prodigieux pour la France.

Concernant la télémédecine, le saut a été immense. La loi du 13 août 2004 en avait donné les premières bases juridiques, la loi HPST du 21 juillet 2009 lui donnait un cadre juridique avec un décret d’application en octobre 2010 et on parlait déjà de répondre à la baisse de la démographie médicale. Ces dates sont intéressantes pour constater comme la télémédecine se hâtait… lentement du côté de l’Administration comme des médecins.

Donc en mars 2020, Doctolib, fondé en 2013, a pu véritablement prendre son essor ! On a vu avec les centres de vaccination l’efficacité de cette start-up ne nous faisant pas regretter Ameli qui aurait pu assurer cette mission. Aujourd’hui, une plaque de médecin ne sert à plus rien : Doctolib assure les rendez-vous, avec l’inconvénient d’une consommation médicale peu fidèle et vagabonde. La Covid a fait résorber 16 ans d’hésitation et fait gagner sans doute 5 ans dans la mise en œuvre de la télémédecine.

Et puis il y a le téléenseignement. Il s’est improvisé en 2 jours. [Les téléconférences se sont développées rapidement en entreprise comme dans la société globalement et sont entrées en geste de la normalité]. Ce que les syndicats d’enseignants, l’Administration (le « mammouth » de Claude Allègre) et les parents d’élèves auraient mis des années – cinq ans ? dix ans ? – à trouver un accord d’expérimentation, s’est mis en phase de « test and learn » en 2 jours.

Bien sûr il y eut des ratées, des enseignants ou élèves sans ordinateur (pourtant quasiment tous équipés de smartphone dès 18 ans), bien sûr l’un ou l’autre n’était pas préparé ou adapté… mais dans plus de 90 % des cas, ce fut un bond extraordinaire : il était possible d’enseigner à distance pour des élèves malades, pour des salles trop nombreuses, pour des raisons de décalage horaire… Dès que la sidération fut passée, le « test and learn » a été vite oublié. Et les quelques cas d’élèves « perdus » ou dépressifs (comme dans toute la société) ont éteint l’ambition d’un élargissement des méthodes d’enseignement. Il faut mettre en place une Commission ou une Haute Autorité et débloquer un budget…nnDernière accélération essentielle : le e-commerce, le e-business. Avec des magasins fermés, des représentants qui ne passaient plus dans les entreprises, le saut dans le e-commerce et e-business d’une manière générale a fait gagner 3 à 5 ans aux entreprises qui l’ont mis en place. Symboliquement, la concurrence a été tellement vive, qu’en 2021 au troisième trimestre, Amazon a eu une croissance deux fois moindre de son chiffre d’affaires, son résultat a été divisé par deux, et hors Amérique du Nord, les ventes de la plateforme étaient en pertes opérationnelles.

Sur ces quatre accélérations essentielles qu’a vécu la société en France, il est frappant de constater que ce qui reste du domaine de l’activité privée persiste, voire s’amplifie et est rentrée dans le quotidien. Ce qui est du domaine public – le téléenseignement – est au niveau du résidu. Même en santé, les ambitions réitérées chaque décennie depuis 35 ans (apparition de la carte Vitale) du Dossier Médical Partagé se trouvent limitées par une complexité savante dont l’Administration a le secret. Tous les prétextes sont bons pour justifier que les 5 à 10 % de personnes qui rencontrent des problèmes sont les causes de l’arrêt de l’expérimentation.

En France, la société est encore plus décalée avec l’administration qu’elle ne l’était avant la Covid-19.

L’accélération européenne par la Covid

La Covid a accéléré la construction de l’Europe à moins que ce ne soit aussi le changement des députés et des présidents de la Commission et du Conseil. En finance. Le 5 mai 2020, la Cour Constitutionnelle allemande lançait un ultimatum à la BCE, contredit début juillet par les députés allemands. Mi-mai, la France et l’Allemagne proposaient un plan de relance de 500 milliards € dont l’Europe était emprunteur ! L’union monétaire va désormais de pair avec l’union politique. L’accord à 27 est signé le 20 juillet.

L’Europe de la santé progresse elle aussi, alors que la santé est du domaine de compétence des seuls États membres, afin de mutualiser les achats (dès le 17 mars), la recherche, les plans de prévention, financer des laboratoires et des fabrications européens, etc. en fait, l’équivalent du Barda américain (pour l’Union, l’Agence de réaction sanitaire d’urgence) qui dispose de milliards de $ pour accompagner les laboratoires en recherche.

Dans d’autres domaines aussi les accélérations ont été nettes comme rendre les plateformes d’e-commerce redevables de la TVA des vendeurs étrangers. Enfin, l’Union commence à sortir de sa naïveté commerciale avec en particulier la Chine tant sur la fragilité des chaînes d’approvisionnement que sur l’impératif commercial ou les achats d’entreprises européennes. Les règles de la concurrence doivent s’adapter.

En quelques mois, l’Union européenne a fait plus qu’en plusieurs décennies.

L’accélération par la guerre d’Ukraine

La guerre d’Ukraine, débutée dans la nuit du 23 au 24 février 2022, était impensable sur le principe. Ne pas respecter les frontières nationales ne s’imaginait pas au cœur de l’Europe. Kiev et Odessa sont d’abord des destinations touristiques de week-end prolongé, et rares sont les Français qui savent qu’ils mangent du poulet ukrainien, notre troisième pays d’importation. Le choc a été violent, car le président Poutine nous avait « habitué » à grignoter les pays, pas les absorber dans leur entier surtout un pays de 44 millions d’habitants. Les Européens ont donc réagi dans un mouvement de renfort des Ukrainiens répondant à une forme de délégation de protection : si l’Ukraine craque, un pays de l’Union et de l’OTAN peut devenir la cible et alors il y a solidarité militaire.

La crise de la Covid a-t-elle installé des réflexes ? Toujours est-il que l’Union, moquée jusque là pour son impuissance, a agi promptement (avec les États-Unis et l’OTAN) sur 3 points : 1. des sanctions financières progressives aboutissant à étouffer le système financier russe et le blocage des avoirs en Europe notamment de banques et d’oligarques souvent amis personnels de Poutine. 2. La fourniture d’armements de défense (missiles et lance-missiles antichars et antiaériens, etc.) pour renforcer l’armée ukrainienne et les brigades populaires de résistance. 3. La réception de réfugiés ukrainiens (femmes, enfants et plus de 60 ans) fuyant le pays sous les bombardements aveugles des Russes.

Le plus étonnant qu’a déclenché cette guerre est la décision de pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas de se doter de budget d’armement, inconnu depuis les lendemains de la dernière guerre. Et la décision de pays comme la Suède et la Finlande d’entrer dans l’OTAN signe la fin de leur neutralité. Une véritable architecture de défense européenne est en train de naitre. Et pour la première fois, l’Union va financer à un pays tiers des armes létales. Que soit au niveau de l’Union, des pays comme l’Allemagne, la Suède, la Finlande, des lignes rouges « pacifistes » ont été franchies.

La refondation du Monde à venir

Tout ceci s’est fait en 2 ans alors que la Covid quitte nos mémoires. Nonobstant, depuis 4 mois, l’inflation se réveille dans l’énergie, les matières premières, les produits agricoles, certains produits industriels. Cette inflation impacte violemment de nombreux foyers. La guerre d’Ukraine provoque une accélération de l’inflation et un doute sur la disponibilité des produits cités. Or, quoiqu’il se passe, l’alliance Chine-Russie ne rassure pas les Occidentaux. La Russie assure les matières premières de la transition énergétique (cuivre, nickel, palladium…). La Chine (producteur de gallium, germanium, molybdène, rhénium, …) assure leur transformation.

La transition énergétique qui guide nos politiques est une transition de riche. Avons-nous les moyens d’accentuer pour une quinzaine d’années l’inflation née de la taxation du carbone et de l’installation de réseaux de nouvelles énergies, et/ou devons-nous basculer rapidement dans la frugalité : vivre aussi bien avec moins ? Nous avons déjà manqué pendant la période Covid de nous remettre en cause, voilà une nouvelle occasion. En faut-il une troisième, où celle-ci sera de trop si l’on considère le dernier rapport du GIEC publié le 28 février 2022 : +1,5° sera dépassé dans dix ans donc bien avant 2050 qui est la cible. Attendons-nous à un réchauffement global et à des accidents climatiques violents et récurrents. L’été 2021 en était l’introduction.

Les anciens nous le disaient : une guerre est l’occasion de se remettre en cause…
 
  Je repars en plongée…nnPhilippe Cahen
Conférencier prospectiviste
Dernier livre : « Méthode & Pratiques de la prospective par les signaux faibles », éd. Kawa

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