Alors que la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a évoqué l’idée d’un nouvel impôt sur les successions, il est urgent de s’interroger : qu’est-ce qu’hériter ? Et surtout, qu’est-ce que posséder ? Car taxer l’héritage, au-delà du geste fiscal, c’est toucher au lien invisible qui relie la liberté, la responsabilité et la mémoire.
I. La propriété, figure de la liberté incarnée
La propriété, écrivait Locke, naît lorsque l’homme mêle son travail à la matière du monde. Ce n’est pas une question d’argent, mais de dignité. L’homme s’approprie le réel parce qu’il y met de lui-même : son effort, sa sueur, sa volonté. La propriété est ainsi la trace tangible de la liberté. Hegel y voyait le premier moment de l’esprit libre : là où l’idée de liberté se fait chair. Posséder n’est pas accumuler, c’est habiter le monde comme un être responsable de ce qu’il transforme. À cette lecture classique, Chantal Delsol ajouterait que la propriété est un enracinement, c’est-à-dire une manière d’habiter le temps. Posséder, c’est reconnaître ce qui nous précède et préparer ce qui nous suivra. C’est une continuité morale, non une jouissance matérielle. Taxer ce lien, c’est déjà le fragiliser ; c’est considérer la propriété comme un privilège, non comme une responsabilité. C’est oublier que la liberté n’existe que lorsqu’elle s’incarne dans des gestes concrets : travailler, bâtir, transmettre.
II. L’héritage, la continuité du vouloir humain
Hériter, ce n’est pas seulement recevoir ; c’est s’inscrire dans la durée du vouloir. Transmettre, ce n’est pas donner par caprice ; c’est prolonger un projet, une fidélité, une mémoire. Lorsque l’État taxe l’héritage au nom de l’égalité, il réduit ce geste à une mécanique de redistribution. Or, l’héritage n’est pas un hasard, ni un « truc tombé du ciel » : il est le fruit d’une vie, le prolongement d’un effort, la trace d’une responsabilité. Tocqueville voyait déjà le danger : la passion de l’égalité peut dévorer la liberté. L’homme moderne, en quête de justice, accepte volontiers d’être dépossédé pourvu qu’il soit traité comme les autres. Mais que reste-t-il d’une société où la transmission devient suspecte ? Comte-Sponville le dirait autrement : la fraternité n’a de sens que si elle s’appuie sur la liberté. Une égalité sans mérite, sans gratitude, n’est plus la justice ; c’est l’envie devenue système.
III. L’effacement de la civilisation du lien
Toute civilisation repose sur la chaîne du don et du contre-don : ce que j’ai reçu, je le transmets. Supprimer la transmission, c’est interrompre cette chaîne, c’est réduire l’existence à l’instant. L’égalitarisme contemporain fabrique cet « homme sans héritage » dont parle Chantal Delsol : déraciné, sans mémoire, il vit dans le présent perpétuel de la revendication. L’homme de la propriété, lui, vit dans la durée ; il reconnaît ce qu’il doit à ceux d’avant et ce qu’il doit à ceux d’après. Taxer l’héritage, ce n’est pas seulement prélever de l’argent : c’est instituer une suspicion morale à l’égard du legs, comme si donner devenait injuste, comme si aimer à travers le temps était une faute. La propriété n’est pas une inégalité ; elle est un lien. Et toute société qui rompt ce lien prépare son effacement. Car une civilisation ne meurt pas de pauvreté : elle meurt quand elle cesse de croire à la transmission.

