Dans notre ère saturée d’informations, où la manipulation et la désinformation façonnent les perceptions et influencent les décisions, sommes-nous réellement armés pour discerner le vrai du faux ? Avec Vaincre sans violence, Raphaël Chauvancy lève le voile sur les mécanismes de l’influence et de la guerre de l’information, ces armes invisibles qui redéfinissent les rapports de force contemporains. Officier supérieur des troupes de marine et spécialiste des stratégies d’influence, il décrypte dans cet entretien les enjeux cruciaux de cette nouvelle forme de conflit et plaide pour une véritable éducation à l’esprit critique. Face aux menaces qui pèsent sur la démocratie et la souveraineté des nations, l’heure est venue d’apprendre à résister aux assauts de la désinformation.
Pensez-vous qu’il y a une urgence ou un besoin actuel à informer sur l’influence et la guerre de l’information ?
R.C. : À l’âge de la Compétition globale, le centre de gravité des puissances réside dans l’esprit humain. L’information est devenue omniprésente. Elle agit sur les foules, les cours boursiers, les politiques des États. Or le public ne mesure ni l’importance de la sphère informationnelle ni la violence des affrontements qui s’y déroulent.
Il est urgent de l’alerter dans un premier temps, de diffuser des règles « d’hygiène cognitive » dans un second. La démocratie repose avant tout sur l’esprit critique. Or, il est aujourd’hui quasiment impossible de l’exercer sans être formé à identifier les techniques les plus communes de manipulation informationnelle.
L’enjeu concerne aussi bien la défense de nos intérêts que de ce que nous sommes.
Vous parlez d’une « guerre par le milieu social ». Pourquoi pensez-vous que les sociétés d’aujourd’hui sont particulièrement vulnérables à ce type de guerre ?
R.C. : Le « milieu » social doit être compris dans son sens le plus extensif, c’est-à-dire comme l’ensemble des interactions qui permettent à un groupe humain de partager un destin et une volonté stratégique collective. La guerre par le milieu social (GMS) consiste non seulement à perturber ces interactions, mais également à les utiliser et détruire la cohésion générale d’un ensemble en instrumentalisant ses tensions ou ses contradictions particulières.
Les outils de la GMS sont l’influence et la guerre informationnelle.
Dans un monde de réseaux où la connaissance est devenue la véritable richesse, la GMS permet soit de reprogrammer la cible en agissant sur ses critères de jugement, soit de provoquer sa dislocation en exacerbant ses tensions internes.
Il s’agit probablement de l’arme la plus évoluée et la plus efficace dans la course à la puissance.
À travers votre ouvrage, comment comptez-vous changer la compréhension ou l’approche des lecteurs face aux manipulations informationnelles ?
R.C. : En écrivant ce livre, j’ai souhaité alerter et instruire le public en exposant les principes et les objectifs de l’influence et de l’infoguerre ; en décrivant concrètement les mécanismes et les méthodes employées ; en exposant des exemples réels et des situations concrètes.
On me demande souvent pourquoi j’ai fait le choix de révéler au grand jour des méthodes et des outils que nous aurions pu utiliser en secret. Les méthodes de l’influence et de la guerre de l’information sont légitimes à condition que le public en connaisse les mécanismes. Ils deviennent alors des outils de séduction, ils se rapporteraient autrement à la tromperie. Certaines méthodes, elles, relèvent de l’intoxication. Il est crucial de s’en défendre.
Ce livre n’est qu’une étape. Il ne peut pas exister de démocratie sans une éducation à l’esprit critique et à l’identification des fake news et manipulations.
Le sujet doit devenir une grande cause nationale. Un programme de sensibilisation aux manipulations informationnelles devrait être mis en place dès le collège et se prolonger au lycée. La journée Défense pourrait être l’occasion de mesurer le degré résistance cognitive de nos jeunes générations face aux fake news en réalisant un certain nombre de tests. On évalue bien le niveau en français à cette occasion ! Les adultes devraient se voir proposer des stages ou des MOOC dans le cadre de la formation continue.
C’est tout notre système de pensée, tout notre modèle de société ouverte qui est en jeu. La désinformation constitue peut-être le plus grand défi auquel nous n’ayons jamais été confrontées, car elle permet de contrôler les individus en les laissant croire qu’ils pensent librement.