(Saint Paul Première Épître aux Corinthiens)
N’y a-t-il pas plus belle ode à l’Engagement que ce verset qui est un Carpe Diem reformulé. L’engagement n’est pas que militaire, il est aussi une conception de la vie qui témoigne d’un désir d’en profiter pleinement. Saint Paul a bien raison de nous rappeler que nous sommes tous mortels et que la vie étant ce qu’elle est, justifie de s’y engager dans tous ses aspects y compris les plus simples comme la nourriture et la boisson. Molière lui a fait écho quelques siècles plus tard en rappelant qu’« qu’il faut manger pour vivre et non vivre pour manger ». Entre ces deux auteurs beaucoup d’autres se glissent dont Ronsard qui est, par excellence, le poète de l’instant présent, à savourer autant que possible.
Cette volonté d’aborder l’engagement pas son angle le plus épicurien ne relève pas du désintérêt ou de la désinvolture mais, bien au contraire, d’une volonté de rappeler que l’engagement est un comportement vivant guidé au choix par la passion, le désir, l’envie, des valeurs, une éthique, une doctrine voire une idéologie.
Epicure distinguait deux sortes de plaisir, celui en repos caractérisé par l’absence de douleur et, la joie et la gaité qui sont le plaisir en mouvement. Le plaisir était, en somme, la conséquence d’une attitude ou d’une habitude dont le but serait de ne pas entrainer de douleurs – on parlerait aujourd’hui d’effet secondaire – pour celui qui les pratique. Les disciples d’Aristippe de Cyrène étaient, eux, plus radicaux et au fond proche d’un Rabelais, la quête du plaisir se voulant un engagement total, une doctrine de vie permanente, peu importe les conséquences d’éventuels excès.
Le plaisir est un engagement et réciproquement, et cela ne date pas de Saint Paul. Dans l’Ancien Testament, le livre de la Sagesse (II.5-8) la lecture du discours des Impies pose ces mots :
« Enivrons-nous de vins exquis et de parfums ;
Ne laissons point passer la fleur du printemps,
Couronnons-nous de roses, avant qu’elles ne fanent ».
Ronsard a dû y puiser là, comme dans le Cantique des Cantiques, beaucoup d’inspirations.
Saint Paul était un disciple engagé, sa vie et son œuvre en témoignent, mais cet engagement n’était aucunement synonyme d’ascétisme, de tristesse, de dépouillement et de refus des plaisirs de la vie. Son « buvons et mangeons car demain nous mourrons » en est une merveilleuse illustration où la quête de la rédemption ou de la vie éternelle ne doit pas faire oublier qu’il convient de profiter des moments passés sur terre.
Manger et boire, rien de moins anodin que ces actions qui symbolisent la vie et qui de tous temps ont été associées à la mort. Pendant leurs banquets les Egyptiens faisaient circuler une figurine dans un cercueil, en rappelant aux convives présents, « regardes celui-là, et puis bois et prends du plaisir ; car, une fois mort, tu seras comme lui ». Le film « la grande bouffe » de Marc Ferreri (1973) en a été une forte illustration, ce qui a pu choquer à sa sortie par son synopsis on ne peut plus cyrénaïque. Mais le propos n’est-il pas cet engagement des participants à ce repas, engagés dans une fuite en avant gargantuesque où la nourriture, de plaisir initial, se mue progressivement en chemin vers une issue fatale.
Alors oui, évidemment, ce « « mangeons et buvons » et là pour rappeler que demain nous serons tous morts, mais loin d’y déceler une incitation déprimante au jeûne et à la sobriété il faut au contraire y voir un engagement à se souvenir que le Temps ne suspend pas son vol et que « les rapides délices des plus beaux de nos jours » doivent être savourés au moment où ils se présentent.
L’engagement, qu’il soit individuel ou collectif, repose sur la conception de chacun de la trace qu’il souhaite laisser à la collectivité, à sa famille voire simplement à lui-même. La joie et le plaisir que peuvent dispenser une approche épicurienne de l’engagement se partagent et se propagent et, là aussi, c’est un engagement qui peut être pris.