Shadow cabinets : Ces cabinets fantômes ou contre-gouvernements ne sont-ils que des émanations ombrageuses ?
Shadow – entre l’ombre et la vigilance : Peut-être en avez-vous entendu parler de ces ‘shadow cabinets’ à l’anglaise – ou cabinets fantômes – aussi appelés contre-gouvernements en France. Ce gouvernement d’opposition ‘structuré’ institué en Angleterre vers 1910 au cœur même du régime parlementaire britannique relève du système de Westminster. Dans les pays appliquant le système de Westminster, le cabinet fantôme comprend les députés d’un parti d’opposition qui, sous la conduite de leur chef, forment un contre-gouvernement parallèle à celui du gouvernement élu. Dans son principe, chaque membre du cabinet fantôme désigné – ou ministre fantôme – est chargé d’un portefeuille et de surveiller en miroir les actions et menées du ministre de la majorité aux affaires.
Une erreur d’interprétation sémantique : n’est pas fantomatique qui croit.
Mais si le terme ‘shadow’ incarne pour le grand public une connotation ‘ombrageuse’ ou ‘fantomatique’, il possède un double sens en cela qu’il exprime aussi l’action de surveiller ou de suivre : une vigilance de l’ombre en charge de nourrir l’action parlementaire, prévenir ou dénoncer les abus. Un cabinet fantôme peut aussi être renforcé d’un certain nombre d’experts chargés d’autres dossiers considérés comme stratégiques.
Dans un cadre politique démocratique et constitutionnel, ce système de ‘garde-fou’ assumé et officiel permet d’accroître la crédibilité de l’opposition tout en alimentant le processus démocratique dans ses principes. Au-delà des aspects purement politiques de cette émanation contradictoire, le contre-gouvernement prépare aussi l’alternance en investissant d’avance un véritable ‘gouvernement en préparation’.
La logique exogène : Comprendre son environnement, connaître ses adversaires et les menaces réelles ou probables de son écosystème sont une des conditions premières pour assurer sa préservation.
Il est un fait rarement assumé par les directions générales : tout dirigeant doit être en mesure de pouvoir évaluer la nature de ses atouts et de ses fragilités de manière précise. Ces variables sont toujours conditionnées par son environnement d’influence, généralement exogène. De nombreuses matrices existent qui cartographient ici les forces et les faiblesses, menaces et opportunités et là, les facteurs d’influence et d’attractivité vs facteurs de croissance ou de maturité.
Les habiles guerriers forgent leur invincibilité en sachant que les vulnérabilités de l’adversaire sont indépendantes de sa volonté. Il s’ensuit que les habiles stratèges instruits des moyens qui assurent les succès savent que ceux-ci ne garantissent pas les victoires, c’est pourquoi il est dit : on peut connaître les moyens de la victoire sans pour autant en garantir l’issue. (Sun Tzu – Chapitre IV)nnIci, tout est avant tout une question de connaissance de soi, d’objectifs clairs, d’un périmètre identifié (espace), d’une cartographie précise (temps de parcours), de moyens de progression afin de gagner en vitesse et opérer par surprise. Tout se prépare en amont, mais cette préparation à deux visages : exogène pour la partie visible et endogène dans sa planification. Dans l’ombre se préparent donc les manœuvres et les victoires, mais quels sont les facteurs organisationnels et matriciels qui pourraient améliorer leur issue ?
La logique endogène : La doctrine des ‘in-house shadow cabinets’ : La naissance d’une puissante contre-tendance bureaucratique non partisane au service des meilleures gouvernances stratégiques
« Outre l’économie d’un engagement fratricide, la guerre se mène avant tout dans les arcanes du ‘temple ancestral’ – sorte de comité stratégique – où se décident les actions. En devinant les desseins de l’autre et en anticipant tous ses mouvements, armé d’une juste connaissance de soi, on pare ainsi aux conjectures les plus funestes. Inhiber l’adversaire et le paralyser en l’affaiblissant par des techniques de biais et des stratagèmes de divisions devient un art subtil face aux risques d’une guerre frontale et d’un gâchis humain et matériel inutile. » (Jérôme Gabriel – Décryptage stratégique de la pensée Sun Tzu – M&D)nnCe court paragraphe du Sun Tzu illustre deux aspects de la pensée stratégique en matière de gouvernance efficace. Si être renseigné sur les aspects exogènes de son écosystème est un prérequis à toute manœuvre, ces dernières ne doivent jamais être le produit de ces seuls éléments. Il en va de la compréhension et de l’expérience des chefs dans la conduite de l’action juste, car : apprendre n’est pas comprendre.
La condition préalable : Identifier ses forces par ses vulnérabilités
Ce sont avant tout les connaissances de ses propres faiblesses qui conditionnent la nature réelle de ses forces. Pour les stratèges militaires, on ne doit jamais entreprendre une entreprise à risque sans avoir à minima procédé à identifier ses propres vulnérabilités relatives, car la force d’un groupe se mesure toujours aux forces et aux faiblesses identifiées d’un autre alors que les victoires se définissent par la capacité à savoir exploiter les failles de ses adversaires. Le nombre seul n’est pas garant de succès.
Pour l’entrepreneur stratège, identifier les desseins et les capacités réelles de ses concurrents permet de cartographier opportunités et dangers, mais ne garantit pas la juste décision stratégique. Adapter ses politiques et ses manœuvres demande parfois à modifier les hiérarchies de gouvernance traditionnellement basées sur les comités de direction (ou exécutifs) ou pour les sociétés les plus grandes sur leurs conseils d’administration.
C’est à ce stade qu’intervient un ‘empêcheur de tourner en rond’ : le comité stratégique. S’il n’est pas configuré comme un ‘cabinet fantôme’ dans sa génétique politique, il doit porter en lui ces mêmes gènes contradictoires qui agissent directement sur les décisions stratégiques de l’entreprise. Les qualités de ses membres à sortir des hiérarchies traditionnelles et à se déparer de la bienséance protocolaire lui confèrent cette capacité d’autocritique qui bien trop souvent manque aux directions ‘politiques’. La guerre, dans ses nombreuses variantes économiques et financières n’est pas une affaire de chorégraphie promotionnelle ni celle d’un ballet rituel. La conquête d’espaces opportuns s’effectue bien en amont au cœur d’une structure dont les membres sont sollicités pour leur esprit critique, non partisan et sans l’influence d’idéologies dogmatiques. Les vraies révolutions se font en silence.
Débusquer le diable dans les détails : une politique contradictoire afin de consolider les failles.
Développer l’esprit critique en entreprise a longtemps été l’apanage de syndicats dont la vocation première n’a jamais été de guider les orientations de croissance exogènes des entreprises. La pratique d’un comité stratégique investi d’une double fonction ‘de vigilance’ et de prévention porte une responsabilité critique pour toute gouvernance d’entreprise. La criticité bienveillante oppose deux postures bien identifiées en termes financiers : investissements préventifs vs coûts curatifs. Le péché d’orgueil d’un seul homme n’a aucune place ici, car c’est le collectif qui est engagé face aux risques et c’est bien dans la qualité d’investissements préventifs que l’on minimise l’impact des menaces.
C’est précisément sous cette forme d’organisation que les meilleures gouvernances consolident leurs stratégies bien en amont de leurs menées opérationnelles. Chaque décision majeure fait l’objet d’une étape de « déconstruction constructive », chaque projet est passé au crible d’une batterie de tests critiques afin d’en valider ses meilleurs atouts et ses vulnérabilités. Car, ce qui n’apparaît pas au commun, c’est qu’un succès puisse se gagner avant même que la moindre manœuvre ne soit envisagée.
Ceux qui possèdent la compréhension de ces combinaisons de forces dans les préparations maîtrisent l’art de vaincre ‘en secret’. Au cœur même des meilleurs comités stratégiques, les ombres de la vigilance parent aux éventualités les plus improbables parce qu’elles savent que les plus grands risques pour une entreprise sont dans l’impréparation, la précipitation et l’ignorance : ces ennemis intérieurs qui portent toujours le coup fatal.