Temps long, temps court : Voulons-nous plus d’innovation ou une meilleure qualité de vie ?

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Temps long, temps court : Voulons-nous plus d’innovation ou une meilleure qualité de vie ?
Temps long, temps court : Voulons-nous plus d’innovation ou une meilleure qualité de vie ? - © journaldeleconomie.fr

Nous avons décrit comment le monde est entré dans 2020-2050, les Trente Terribles (journaldeleconomie.fr), la tenaille entre ceux qui veulent sauver la Terre des méfaits de l’Homme et ceux qui veulent sauver l’Homme sur la Terre. Nous allons décrire pourquoi les Français entrent dans cette tenaille depuis environ une vingtaine d’années. Les signaux faibles se sont multipliés comme autant de signaux d’alarme après les Trente Glorieuses, la France a plongé dans les Trente Insouciantes.

Depuis une cinquantaine d’années, la France vit sur sa générosité : le chômage (à 90% sous Giscard) compense financièrement le travail perdu, les immigrés rassemblent leurs familles sans contraintes ne serait-ce de langue (sous Giscard), l’âge de la retraite est largement avancé (sous Mitterrand), les 35 heures sont imposées sans baisse de salaire (sous Jospin)…nnEt dans le même temps, la France développe une administration pléthorique qui fait qu’un médecin hospitalier ou un agriculteur passe le tiers de sa journée à remplir des documents administratifs, ou qu’un enseignant a face à lui quasi un demi-administratif contre un quart dans les pays comparables pour ne citer que 3 exemples d’anciennes fiertés de la France (santé, agriculture, enseignement). La gestion de la France devient de plus en plus tendue d’autant que l’endettement progresse rapidement. Ce résumé explique une hypersensibilité des Français à toute défaillance, car les marges de manœuvre ont disparu. La rupture de confiance se développe devant l’incompréhension. Les Droits l’emportent sur les Devoirs et depuis deux ou trois décennies, l’Individu l’emporte sur la Collectivité pour ne pas dire sur la Nation, un mot quasi disparu.

Or les temps de Giscard à Jospin ont disparu. Les attentats terroristes de 2015, les Gilets jaunes de 2018-19, les longues grèves des transports de 2019, la Covid-19, la guerre d’Ukraine, les sécheresses et canicules, les manques de la moutarde (un condiment indispensable) à l’électricité (l’une des moins chères d’Europe),… fatiguent la résistance de la société. Cet empilement accéléré de crises accentue une crainte collective d’effondrement, effondrement de la société, effondrement personnel, la solastalgie. https://www.journaldeleconomie.fr/Covid-Ukraine-le-vivant-nous-vivons-3-crises-majeures-La-plus-dangereuse-est-la-4e_a11157.html.

Parallèlement à ces incompréhensions et ces effondrements qui emmènent une grande part des Français dans la fragilité, notre monde s’accélère par la technologie, le numérique. L’information est instantanée, mondiale, le commerce via internet efface le temps voire l’économise, le travail est bouleversé comme la santé, la communication entre membres d’une même tribu est instantanée et gratuite… À tel point que le temps devient une denrée rare. Le temps de travail diminué libère un temps producteur de revenus ou passions choisis (économie circulaire, bricolage, artisanat…) et une économie de « temps libre » dont André Henry fut le ministre de 1981 à 1983 (jeunesse et sport et tourisme). Moins de travail a déclenché une forte activité autre. Le travail devient secondaire.

Une tenaille des Français s’est créée : un manche est la fragilité, l’autre est la forte activité.

La fragilité de l’anxiété, de l’impatience, de l’effondrement, trouve une réponse dans des formes d’engagements. La religion étant devenue secondaire en nombre de pratiquants, c’est dans le sport et l’environnement que le plus grand nombre se retrouve. Le sport est joué ou pratiqué sous toutes ses formes, c’est aussi les paris sportifs dont les records sont battus sur internet. L’environnement prend des formes diverses, soit de pratique, soit d’engagement militant. Dans ce dernier cas, les réseaux sociaux sont des accélérateurs permanents, mais fugaces sur les sujets.  nnLa forte activité est l’autre manche de la tenaille. Ce manche va des résilients aux hyperactifs. Il faut pour beaucoup faire, agir, utiliser son temps « libre ». Là aussi le sport et le militantisme sont présents, mais plus avec des objectifs, car il faut comme au travail se réaliser. Il faut voyager, voir des films, des artistes, des expositions, des amis. L’économie du temps, les entreprises capteuses de temps sont là pour assouvir ces besoins. Ces deux manches touchent toutes les catégories de population, toutes les tranches d’âge sur les dix ou vingt dernières années.

Dans le temps présent, depuis 2019-2020, avec l’accélération des crises et avec la perte de pouvoir d’achat liée à l’inflation depuis plus d’un an, l’axe de ces deux manches, donc les points communs, est la crainte de devenir des citoyens de seconde zone : le pouvoir d’achat est l’achat du pouvoir. C’est aussi la crainte d’un potentiel déclassement dont le responsable est l’immigré (terme générique qui désigne dans le langage commun l’étranger), le chômeur, le profiteur. Cet axe central prend aujourd’hui de plus en plus de poids.

Les Français dans la tenaille des Trente Terribles

Les Trente Insouciantes ont installé les Français dans une sorte de… paradis artificiel. Les crises successives sont un traumatisme. La pandémie a accéléré la perte de la motivation du travail. Certains subissent un effondrement psychologique, d’autres sont résilients, voire très actifs. Ils se retrouvent partagés dans ce qui semble dominer les Trente Terribles, 2020-2050, sauver la Terre des méfaits de l’Homme, sauver l’Homme sur la Terre.

Le point commun de cette évolution sociale des dernières années et des Trente Terribles enclenchées est l’éclatement social face auquel nous sommes démunis. De chaque question ou attente, nous guettons la réponse immédiate de la technologie ou de l’administration que beaucoup contestent. Or le moindre dysfonctionnement exaspère la fragilité sans pour autant apporter de réponse de substitution.

Les innovations du CES de Las Vegas vont dans ce sens : la révolution numérique n’étonne plus, elle est mêmes trop lente, car en fait, on est gourmand d’innovations. En revanche, plus elle avance, plus le dérèglement climatique progresse dans un raccourci audacieux. En France, certains voudraient que l’innovation, donc son impact climatique, soit soumise à référendum – mais peut-on voter pour quelque chose dont on n’a pas la pratique – quand d’autres reconnaissent l’innovation tout en lui demandant de diminuer son impact sur un objectif climatique par son apport, sa réparabilité, sa recyclabilité. Je repars en plongée…
 

Philippe Cahen
Conférencier prospectivistennDernier livre : « Méthode & Pratiques de la prospective par les signaux faibles », éd. Kawa

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