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Covid, Ukraine, le vivant : nous vivons 3 crises majeures. La plus dangereuse est la 4e





Le 27 Avril 2022, par Philippe Cahen

La Covid, l’Ukraine, le vivant (crise climatique) sont les trois crises majeures d’aujourd’hui. Mais la crise dominante grandit comme un signal faible depuis une dizaine d’années : une pandémie de santé mentale, la détresse psychique ou solastalgie.


Image Pixabay
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La Covid-19
Incontestablement, la Covid-19 aura marqué les années 2020 et 21 en souhaitant que soit la maladie devienne une « mauvaise grippe » banalisée par la vaccination, soit qu’elle disparaisse comme l’ont fait des épidémies de peste ou de choléra.

L’empreinte portée par la Covid sur le monde aura été de deux natures principales : 1. La mondialisation de cette maladie avec des millions de morts ; 2. La démondialisation économique qu’il en résulte, car le « juste à temps » mondial a démontré ses limites. Les prouesses de la recherche qui a mis au point un médicament en moins d’un an auront été vite oubliées. Mais les confinements, la démonstration de la remise en cause des habitudes acquises comme des normalités dans le travail, la santé, l’éducation, les voyages, voire l’alimentation ont démontré un « changement d’époque ».

La « génération Covid », celle qui aura eu « 20 ans » en 2020 aura souffert de pertes d’années de jeunesse, lorsque la génération précédente aura été marquée par les séparations de couples. Le télétravail est devenu une forme soi-disant classique de travail pour ceux qui peuvent le faire, mais l’impact aura été lourd : la « grande démission » américaine qui s’est traduite par près de 47 millions de démissions aux États-Unis sur la fin 2021 s’est transformée en France en une « petite démission » pour quitter les métropoles, améliorer son salaire (l’emploi n’a pas été aussi élevé depuis 10 ans), trouver un travail moins contraignant. Le management d’entreprise souffre avec des salariés volages. Or changer d’époque demande une remise en cause des habitudes acquises donc crée des troubles chez de nombreuses personnes.

En 2022, la maladie n’a pas terminé ses ravages ne serait-ce que pour la Chine qui confine une ville comme Shanghai de 25 millions d’habitants et la moitié de la population chinoise à mi-avril. Pékin s’interroge pour confiner ou pas la capitale. L’impact économique se ressent dans le monde entier : il n’existe plus de délai dans quoi que ce soit : un outillage industriel comme un véhicule de transport peut être à l’arrêt par manque de pièce de rechange.
Quotidiennement, chaque acte industriel devient plus compliqué.

Pendant la Covid, la mort a rôdé, notre moral en a pris un coup et cela ne se termine pas vraiment…

L’Ukraine
La guerre d’Ukraine (cette réflexion est écrite en avril 2022 et la guerre est toujours en cours) est perçue comme une crise majeure par sa violence, sa cruauté, ses qualifications envers l’armée et les dirigeants russes de crimes de guerre, crimes contre l’humanité, voire de génocide. Et puis d’un côté, Poutine solitaire au bout de sa table dictant ses ordres ou injuriant ses généraux, symbolise encore plus la dictature. De l’autre côté, Zelensky, ne se rasant plus, vêtu d’un polo de l’armée et portant un blouson, se filmant au milieu de Kiev assiégée et bombardée et parlant avec son cœur crée un mouvement de sympathie au moins dans les pays occidentaux.

Mais cette guerre a des conséquences profondes dans nos vies. L’inflation des prix alimentaires (en janvier, le café, le jus d’orange, le sucre, le bacon, les céréales et même le coton étaient déjà au plus haut) comme du pétrole avait débuté fin 2021 et impactait les ménages dans leur plus grand nombre, sans compter les ruptures de production mondiale de l’industrie du numérique. Elle ne fait que s’amplifier et va durer sans doute deux saisons agricoles. Selon les pays, elle atteint des taux inconnus depuis 30 ou 40 ans ! Elle se double de rupture de stock dans les rayons alimentaires comme l’huile de colza. En France, alors que les campagnes présidentielle puis législative battent leur plein, les 60 % de Français les plus modestes craignent de tomber dans la pauvreté, non pas par manque de revenus du travail (le taux d’emploi est au plus haut depuis 10 ans), mais par l’impact de l’inflation alimentaire, de transport et de chauffage que les entreprises ont du mal à compenser, car elles-mêmes n’ont pas toujours la possibilité d’ajuster leurs prix de vente sur une inflation par ailleurs irrégulière ne serait-ce sur l’énergie.

Et cette guerre d’Ukraine promet un dérèglement économique et une inflation alimentaire mondiale forte par hausse des prix du blé, du colza, du maïs, du tournesol, de la viande… des prix inconnus depuis 1990 ! Si ce n’était qu’un problème d’inflation, mais c’est aussi un manque de production qui peut voir le retour de la famine ne serait-ce que dans le Sahel central. Et les récoltes 2022 du printemps sont évidemment réduites en Ukraine et sanctionnées en Russie, soit selon les productions 20 à 30 % des quantités mondiales. L’inflation en a pour de longs mois.

Et puis cette guerre lancée comme une opération de police par les Russes s’est traduite par des villes détruites, des massacres, une menace de troisième guerre mondiale. Après une inflation disparue depuis 30 ou 40 ans, c’est la menace d’une guerre disparue depuis 77 ans, donc que nos contemporains ne connaissent que par l’image, pas par la réalité à de rares exceptions.

Le vivant
La crise du vivant est celle des êtres vivants, faune (dont les humains) comme flore, créée par le dérèglement climatique dont l’Homme est grandement responsable. Or le GIEC a publié début avril à la suite d’un rapport de début mars un rapport très alarmiste sur le climat qui peut se résumer ainsi : l’humanité bat annuellement des records de production de gaz à effet de serre (GES) qui contribuent à élever la température du globe. Il faut rapidement corriger cette funeste tendance. L’Inde et le Pakistan sont aujourd’hui frappés par des canicules de 40 à 50 °C.

Le mode de vie que nous connaissons depuis quelques siècles (y compris le petit refroidissement du tournant des XVIII-XIXe siècle. est donc remis en cause d’autant que l’accélération de la hausse des températures porte l’horizon non pas à la fin du siècle mais à 30 voire 10 ans. Baisser la production de GES est une urgence avec pour priorité absolue baisser la consommation d’énergie carbone et en second modifier notre alimentation (revenir à notre alimentation de première moitié de XXe siècle).

Une forme de fatalité rend les populations des pays les plus pauvres pour premières victimes, celles des pays développés comme dernières victimes. Dans cette abstraction pour tout un chacun, il faut comprendre que le niveau des mers va monter (concrètement, faut-il déménager ?), les pics de chaleur à 40/50 °C vont se banaliser (comment vivre avec ?), plusieurs espèces d’animaux et de plantes ne résisteront pas à ces chaleurs même en se déplaçant, certains espaces vont devenir des déserts, nous serons en manque d’eau et sous menace d’incendies gigantesques, etc.

Selon les experts du Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophes (UNDRR), avril 2022, le nombre de catastrophes naturelles devrait bondir de 40 % entre 2015 et 2030, les vagues de chaleur extrême seront trois fois plus importantes de 2001 à 2030, il y aura 30 % de sécheresses supplémentaires.

Ce que certains appellent un discours alarmiste est pourtant une réalité que hors les scientifiques il est difficile à admettre : nous ne sommes pas invincibles ! Mais chacun peut constater par exemple que dans les Alpes, la présence de conifères monte annuellement de 30 mètres et que les glaciers rétrécissent, donc l’eau manque en aval. Il fait de plus en plus chaud. Comme la grenouille dans la casserole qui se sent toujours bien dans l’eau de plus en plus chaude…

Cette crise va impacter chacun d’entre nous. Déjà de nombreuses entreprises visent la neutralité carbone pour elles-mêmes et donc leurs fournisseurs. Et bientôt les employés. Aller travailler en vélo ou en covoiturage contribuera à cette neutralité carbone. Le comportement de frugalité énergétique va entrer dans nos comportements de manière invasive, chacun – entreprise comme particulier - va avoir un capital carbone qui va se réduire dans le temps et impacter sur sa vie. Nous finirons par prendre conscience et agir contre la crise du vivant.

La pandémie de santé mentale
L’expression est brutale, mais réaliste. Nous vivons - nous avons vécu – comme des enfants gâtés, inconscients, depuis 70 ans. En quelques mois, tout a changé sur les plans de la santé, de la consommation, de l’alimentation, du vivant… par la Covid, la guerre d’Ukraine, la crise du vivant, du climat. Nous l’avons constaté, chaque crise impacte sur notre mental et rien n’indique un retour au temps passé, au « bon vieux temps »… car aucune crise des trois crises n’est terminée. Et il faut l’admettre, le monde rêvé début 2020 n’existe plus. Il faut tout reprendre à zéro ou presque.

Il faut inventer notre futur qui est notre présent immédiat. Déjà la consommation baisse au niveau de novembre 2018, les premiers Gilets jaunes (source Insee). 2021 avait été euphorique, 2022 sera en berne. Et la période d’incertitude sera lourde et longue, au moins jusque fin 2023. La nostalgie grandissante est l’un des marqueurs de notre temps. La campagne présidentielle passée en a été une expression caricaturale. Il ne s’est pas agi de préparer le futur, mais de réparer le passé. Même les écologistes n’ont pas eu le courage d’alerter sur la hausse vertigineuse – supérieure au numérique – de la consommation d’énergie de la climatisation et de la ventilation des bâtiments, voire des piscines privées du second pays au monde par habitant ! Quant à ceux qui ont quitté les métropoles pour vivre « mieux » à la campagne ou dans les petites villes, ils commencent déjà à comprendre qu’ils vont vivre avec moins, car la voiture indispensable est pompeuse de budget, le chauffage bien plus cher qu’en ville.

Tout ce qui avait été imaginé, rêvé, s’effondre. C’est la solastalgie, l’effondrement psychologique d’un idéal inatteignable, car dépassé. Les enfants gâtés doivent retomber les pieds sur terre sous des contraintes indépendantes du souhait individuel. C’est la crise la plus dangereuse, elle touche à l’humeur, au mental, voire à l’espoir ou l’absence d’espoir. Et elle peut toucher chacun de nous.

Philippe Cahen
Conférencier prospectiviste
Dernier livre : « Méthode & Pratiques de la prospective par les signaux faibles », éd. Kawa


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