Jour 2 – La rusticité, une vertu à redécouvrir en situation dégradée

Jour après jour, tirer des leçons de la crise et mobiliser des ressources pour la dépasser. Tel est l’objet de ce Bréviaire de crise aujourd’hui consacré à la « rusticité », une vertu à explorer pour affronter les conditions dégradées.

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Jour 2 – La rusticité, une vertu à redécouvrir en situation dégradée
Jour 2 – La rusticité, une vertu à redécouvrir en situation dégradée | journaldeleconomie.fr

Nous parlions hier des cyber-risques liés au télétravail, qui inquiètent de nombreuses entreprises. Si ces cyber-risques peuvent être maîtrisés, cette situation semble donner raison à ces structures qui, depuis longtemps, s’exercent à une gestion beaucoup plus radicale de ces situations dégradées : la déconnexion pure et simple. Autrement dit ré-apprendre à travailler sans la technologie, reprendre en main papier et crayon, retrouver d’autres façons de communiquer lors de journées « low tech » pour se préparer à assurer une certaine continuité d’activité au cas où une cyberattaque ou une panne électrique viendrait paralyser l’entreprise. Une pratique qui semblait dérisoire ou inutile à de nombreux managers jusqu’à ce que l’on découvre l’ampleur des dégâts que notre dépendance aux outils technologiques peut provoquer. En cette période de crise sanitaire, la cyberattaque qui avait ciblé le CHU de Rouen en novembre dernier [1], affectant gravement son fonctionnement durant plusieurs heures, est dans toutes les têtes.
 
Dans le jargon militaire, cette faculté à poursuivre ses activités hors des schémas routiniers, dans des situations inconfortables, parfois extrêmes, et à composer avec les moyens du bord dans toutes les circonstances porte un nom : c’est la rusticité. Vertu indispensable à ceux qui ont fait du travail en situation dégradée leur quotidien, ce ressort essentiel de la résilience se révèle utile au plus grand nombre lorsque survient une crise.
 
On pourrait certes se dire qu’une crise dont l’une des principales clés de résolution consiste à « rester chez soi » n’est pas des plus inconfortables, a fortiori si l’on a pu « fuir » vers un logement plus agréable avant la période de confinement comme l’ont fait de nombreux citadins français. La rusticité à mettre en œuvre ici ne ressemble effectivement pas à celle des soldats projetés en pleine jungle ou en plein désert lors d’opérations de guerre. Mais l’esprit est bien là : s’adapter aux circonstances et résister à des contraintes fortes.
 
La nécessité d’anticiper pour respecter au mieux l’exigence de confinement, la dissolution du lien social dans l’isolement et la crainte d’être contaminé, la perte des repères routiniers, l’éloignement des proches… Ces facteurs de pression suscitent déjà chez certaines personnes des attitudes et comportements inadaptés à une prompte résolution de la situation, tels que la violation des interdictions, des consommations irrationnelles ou des angoisses. En cause : une certaine incapacité à supporter les contraintes, et parfois un refus de s’adapter. Autrement dit une difficulté à basculer vers un « mode crise » bien compris, raisonné et sain.
 
Et pour cause, la rusticité est une qualité qui s’éveille et s’entretient. Les professionnels de la crise (militaires, policiers, pompiers, médecins urgentistes…) sont rompus à l’exercice de résistance à la pression, parfois sur une longue durée. Mais la majorité de la population civile est quant à elle démunie, ou du moins très inégale face aux changements de circonstances extrêmes et brutaux. Pourtant, chacun peut tendre à la rusticité en travaillant à la fois sur son corps et son esprit. La résilience des individus et des groupes s’en trouvera certainement accrue.
 
Dans la crise actuelle, les citoyens qui ne sont pas en première ligne dans la gestion de la crise peuvent au moins tirer deux bénéfices essentiels d’une certaine forme de rusticité : la volonté de combattre et l’adaptation aux menaces spécifiques.
 
1. Susciter et cultiver la combativité : Emmanuel Macron ne s’y est pas trompé en martelant que « nous sommes en guerre ». Être à l’aise et bien disposé en situation critique implique une posture combative, une sorte d’envie d’en découdre avec les contraintes et les difficultés qui s’imposent à nous. C’est une condition essentielle de la résolution d’une crise telle que celle que nous vivons : accepter la contrainte du confinement et s’y plier tant que nécessaire, et non la fuir ou la mépriser par peur de l’affronter, défaut de motivation ou mépris du risque. Or c’est l’un des défis les plus difficiles de cette gestion de crise que de découvrir comment susciter l’effort collectif nécessaire.
 
Attention toutefois, car cultiver la combativité ne signifie surtout pas rechercher l’extrémité ou le danger pour le plaisir. Le goût de l’effort n’est pas celui du risque, bien au contraire. Il s’en distingue par sa finalité : c’est accepter une certaine douleur pour en tirer un bénéfice plus grand. Exactement comme on accepte un effort sportif pour en tirer les bénéfices pour sa santé, mais pas au point de risquer une blessure grave et donc contre-productive. Ainsi sommes-nous invités à limiter au maximum nos déplacements à l’extérieur et nos interactions avec autrui, même si cela nous coûte, car la résolution de la crise en dépend.
 
2. Eviter la « déception » des troupes face aux menaces spécifiques : La posture combative n’est pas facile à susciter tant que la menace n’est pas très puissante et directe, mais elle est aussi difficile à tenir sur la durée. Le confinement, initialement annoncé pour quatorze jours en France, a de grandes chances d’être prolongé. Le risque de démoralisation, d’abandon des efforts ou de sur-incident est donc d’autant plus grand qu’une certaine incertitude plane. Sans horizon, il est plus facile de « perdre le nord ».
 
La première des choses à faire est de ré-instaurer des repères temporels, des échéances raisonnables, un rythme. C’est l’enchaînement de petits défis sur des durées raisonnables qui donne le sentiment de progresser vers une sortie de crise. Même si votre activité ne concoure pas directement à la résolution des problèmes sanitaires, voyez-la comme une course de fond pour notre santé collective, à court terme contre le COVID-19, mais aussi à long terme contre les crises futures grâce à la force de résistance à laquelle nous aurons été exercés.
 
Cette faculté à se ré-approprier son environnement spatio-temporel pour ne pas le subir, à le dominer en retrouvant sans cesse ses repères et en recréant des outils pour poursuivre sa mission est la définition-même de la rusticité. Elle est comme un prolongement naturel de l’instinct de survie, de « l’état sauvage », même si les menaces auxquelles nous sommes exposés ne sont pas celles de la jungle ou du maquis.
 
L’information et de communication joue un rôle crucial à cet égard. On peut certes chercher à éviter la propagation d’informations erronées ou de nature à « miner » le moral de la population voire à susciter sa défiance à l’égard des autorités et des règles édictées, mais cela ne remplacera pas l’acquisition des bons réflexes d’autodéfense intellectuelle et morale individuelle.
 
La rusticité, c’est aussi le bon sens, la focalisation de l’esprit vers les choses essentielles et indispensables et un esprit critique indépendant qui ne se laisse pas « séduire » et détourner. C’est donc un rempart contre de nombreuses formes de pollution telles que certaines fausses nouvelles et autres informations manipulées. Or la combativité s’entretient aussi par les victoires contre les sollicitations malveillantes de l’environnement.
 
Valentin Fontan-Moret
Consultant-Formateur en Intelligence économique
 
 

 


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