Accessibilité, respect de la vie privée, facilité d’utilisation, sécurisation… les arguments en faveur des pièces et des billets de banque sont nombreux. En Europe et dans le reste du monde, tous les pays y sont toujours autant attachés.
Les scénarios dystopiques d’une société sans cash ont pris un peu de plomb dans l’aile. Si certains pays comme en Scandinavie ont poussé le curseur au maximum, l’immense majorité des pays – tous continents confondus – ne semble pas en prendre la direction. Si plusieurs banques centrales sont en train de mettre au point leur monnaie numérique – comme en Europe, au Canada… –, ces mêmes banques centrales ne comptent pas abandonner leur monnaie papier. Bien au contraire. Deux tiers des pays sur la planète refusent même de lancer une version numérique de leur monnaie, selon la Banque des règlements internationaux. Bref, les billets de banque ont encore de beaux jours devant eux.
L’Europe aime payer en cash
D’après Fabio Panetta, membre du board de la Banque centrale européenne et responsable de l’étude SPACE (Study on the payment attitudes of consumers in the euro area), « le paiement en espèces reste le moyen de paiement prédominant au point de vente et pour les paiements de particulier à particulier. Néanmoins, les paiements sans espèces sont en hausse, soutenus par le passage des achats au point de vente aux achats en ligne. Le taux de croissance varie selon les pays et les groupes démographiques ». Selon cette étude, 59% des transactions en Europe se feraient en liquide, contre 34% par carte bancaire. En réalité, le paiement en cash et le paiement en ligne ne sont pas antinomiques, mais complémentaires. Ils n’ont pas la même fonction.
« Le cash est un outil millénaire, apprécié par les populations et qui a fourni toutes les preuves d’un bon fonctionnement, avance Thomas Savare, PDG d’Oberthur Fiduciaire, l’un des principaux fabricants de billets à l’échelle mondiale. Dans ces conditions, envisager un tout-électronique serait un mirage ou alors le meilleur moyen pour courir de graves dangers. Je pense notamment à la protection de la vie privée. Poussé à son extrémité, le paiement électronique constitue une irruption permanente dans la sphère personnelle des individus. C’est déjà le cas concernant les modes de consommation : quand vous êtes tracé grâce à l’électronique, vous croulez rapidement sous les propositions commerciales, la plupart non souhaitées. » Pour ces raisons, les citoyens européens sont en effet très attachés à leurs monnaies nationales, sonnantes, trébuchantes et froissables.
C’est pour cette raison que les banques centrales veillent au grain, pour s’assurer que la monnaie fiduciaire reste accessible au plus grand nombre, partout et tout le temps. À la Banque de France par exemple, la Direction des Activités fiduciaires dispose même d’un groupe de travail dédié à l’accessibilité de la monnaie en liquide. Selon elle, « le maillage du territoire en DAB reste dans l’ensemble inchangé d’une année sur l’autre, depuis 2018, avec un niveau d’accessibilité, qui demeure très satisfaisant : un peu plus de 99% de la population métropolitaine réside en effet soit dans une commune équipée d’au moins un automate, soit dans une commune située à moins de quinze minutes en voiture de la commune équipée la plus proche, et un peu moins de 83% lorsque l’on restreint le temps de trajet à cinq minutes ». Les Européens aiment leur monnaie. Et ont surtout confiance en elle. Et ce même constat est valable aux quatre coins de la planète.
Des solutions technologiques d’avant-garde
Les fabricants de billets de banque veillent au grain, eux aussi. Qu’elles soient américaines ou européennes, les principales entreprises de ce secteur répondent en permanence aux appels d’offres des banques centrales, en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. Elles rivalisent toutes en termes d’avancées technologiques pour rendre leurs billets plus résistants et plus inviolables, afin de garder une longueur d’avance sur les faux-monnayeurs et afin de rassurer les utilisateurs. Les contextes de doute peuvent en effet prendre de nombreuses formes. On l’a vu par exemple lors de la crise sanitaire de 2020, au début de laquelle les rumeurs sur les billets de banque – transmetteurs du COVID – sont allées bon train. Alors qu’il n’en était rien. « C’est l’un des grands paradoxes de cette crise sanitaire, surtout par rapport aux rumeurs sur la propagation du virus : l’utilisation et la circulation de cash ont augmenté dans des proportions importantes pendant toute la période d’essor de la pandémie, poursuit Thomas Savare d’Oberthur. L’Histoire montre que, en période de crise, le cash est encore davantage perçu comme un refuge ; c’est un moyen de protection des valeurs, au moment où une certaine défiance peut s’installer vis-à-vis d’un système bancaire jugé fragile. Crise ou pas, l’attachement des populations au cash continue de traverser les époques. »
Pour séduire les banques centrales lors des négociations pour le renouvellement de leurs billets, ces fabricants mettent tous en avant leurs dernières innovations, susceptibles de répondre aux exigences de très grands marchés, comme l’Inde par exemple. Comme chez Oberthur, les Allemands de Papierfabrik Louisenthal GmbH ont développé de nouveaux processus de sécurisation des billets. Dr. Alfred Kraxenberger, le directeur R&D de Louisenthal, garde ses secrets de fabrication bien cachés, mais met en avant certains dispositifs, tels que « le fil de sécurité qui doit également offrir suffisamment d’options pour l’intégration du design et l’individualisation vers des motifs et des thèmes spécifiques à chaque pays ». La miniaturisation des dispositifs de sécurité est aujourd’hui impressionnante. Et très difficilement réplicable. Principal partenaire de Louisenthal, le géant allemand G+D a par exemple mis au point la technologie First – un code inscrit au laser – que l’œil humain est incapable de discerner : seule une machine à infrarouge peut lire ledit code.
« Nous proposons des solutions complètes pour une gestion sécurisée des espèces de bout en bout, assure Ralf Wintergerst, PDG de G+D. Cela signifie que G+D conçoit et produit des billets de banque, des supports de sécurité et des solutions de protection contre la contrefaçon, hautement sécurisées. Notre portefeuille comprend également des systèmes de traitement de billets de banque dans différentes catégories de performances et des solutions complètes pour les centres de trésorerie et la circulation monétaire. » Chez Oberthur Fiduciaire, les équipes de recherche et développement proposent également des dispositifs révolutionnaires pour sécuriser les billets, devenus de véritables trésors de haute technologie. « Oberthur est réputé pour intégrer dans ses billets de banque des éléments de sécurité de pointe lors du processus de production, souligne Thomas Savare, le PDG de l’entreprise française. Parmi ceux-ci, citons la solution Relief, la génération innovante de fils 3D, le fil à changement de couleur Pulsar qui intègre une micro-optique ingénieuse, ou encore l’élément de sécurité fluorescent réversible Avalon. Ces éléments sont régulièrement mis à jour et retravaillés. Nous consacrons chaque année un budget conséquent à la recherche et au développement. Que ce soit dans le papier, les techniques d’impression, les encres ou les éléments de sécurité, nos différents domaines d’activité ne cessent de progresser technologiquement. »
Pour les fabricants comme pour les banques centrales européennes, américaines, africaines ou asiatiques, tous ces éléments constituent des arguments de poids, et rassurent les utilisateurs quotidiens que nous sommes tous. Les partisans d’une société sans cash ne gagneront probablement pas la partie. Comme le dit Bill Maurer, professeur d’anthropologie à l’Université de Californie, un monde sans monnaie papier serait « terrible » : « Lorsque je vous remets un billet de 20 dollars, aucune donnée n’est saisie par quiconque à partir de cette transaction… c’est une chose privée relativement anonyme, alors que toutes les formes de paiement numériques génèrent des traces de données ». A cet égard, le cash a encore de beaux jours devant lui.