Commençons par le plus rapide, le rassurant. Bercé dans mon enfance par un discours martelé quant à la force de l’armée Rouge qui n’aurait eu besoin que de quelques jours pour rallier Paris – justifiant une capacité de dissuasion nucléaire – les difficultés rencontrées pour faire les 150 km reliant Kiev à la frontière biélorusse battent en brèche cette affirmation. L’armée russe alterne à la fois le plus moderne en termes aéronautiques ou maritimes et le plus classique pour ses chars d’assaut et sa logistique. Elle a un pied dans le XXIe siècle et un autre aux temps médiévaux pratiquant sièges de villes et massacres de civils sans réelle volonté de discriminer le combattant du non combattant. Au demeurant, il est assez intéressant de constater que la prise d’une ville aujourd’hui comme hier obéit aux mêmes techniques, règles et contraintes. Bombarder, affamer, isoler… rien ne se perd, rien ne se crée en ce domaine, on transforme juste les moyens. Donc on peut être rassuré, si Poutine avait comme velléités de venir visiter Paris comme Hitler en 1940 la possibilité de le faire de façon militairement conventionnelle est assez limitée.
Maintenant cet aspect rassurant comporte les inquiétantes facettes de la fuite en avant propre au dictateur stratège en situation d’échec.
L’analyse sémantique des propos de Poutine et de ses affidés n’est point propice à la légèreté. La guerre se veut totale, la négociation s’apparente à une reddition inconditionnelle préalable, l’invasion est une libération que les libérés ignorent, la notion de frappes chirurgicales doit être prise au sens quasi médical du terme en visant les hôpitaux, les centres de soins, les convois sanitaires, les abris…nnLes récentes déclarations du porte-parole de Poutine évoquant sans fard l’usage de l’arme nucléaire en cas de besoin n’est pas non plus une boutade. L’armée russe dispose d’armes tactiques permettant des frappes aux effets circonscrits à quelques centaines de mètres de diamètre par rapport au point d’impact. Dire que la France a officiellement renoncé à la bombe à neutrons, il serait peut-être temps d’en produire quelques-unes !
L’expérience récente de l’intervention russe en Syrie a montré que le recours aux armes, pourtant prohibées, chimiques n’était pas un tabou.
Après tout Poutine veut récupérer de la terre et des ressources, la population locale qu’elle soit morte ou vive ne doit pas avoir beaucoup de valeur à ses yeux, en cela il est le digne successeur de Staline et de son Holodomor (génocide par la faim) en Ukraine dans les années 1932/1933.
Soyons direct, dans la situation actuelle la responsabilité des occidentaux et de l’OTAN est nulle au-delà de gesticulations politiques usuelles en la matière. Les propos de quelques-uns de nos candidats à la présidentielle cherchant à dédouaner Poutine sont uniquement là pour masquer des compromissions passées et une attirance toujours actuelle pour ce qui est perçu comme un « homme fort » dont il se serait rêver le pendant français. On notera que ce tr (um) pisme poutinien est partagé tant à (l’extrême) gauche qu’à (l’extrême) droite. L’extrémisme est donc leur point commun il convient de s’en méfier.
Cette guerre en Ukraine a aussi toutes les allures d’une « partie de chasse » telle celle scénarisée et imagée par Christin et Bilal. Les informations montrant les prises de décision de Poutine devant un aréopage de dignitaires plus apeurés que confiants, la recherche d’un assentiment dans une ambiance froide et monumentale, les liens troubles entre une nomenklatura en place et des oligarques enrichis et peut-être bientôt traqués, la volonté affichée d’éliminer physiquement un chef d’État étranger, l’annonce de purge (purification) dans l’appareil d’État, la mise en avant d’armes miracles qui vont changer la donne… À ce tableau ne manque plus qu’une révolution de palais ou un putsch des généraux. Peut-être plus envisageables que jamais, les dictateurs en échec comme semble l’être Poutine au regard de la non atteinte des buts de guerre affichés sont généralement en sursis.
Cette guerre et la communication qui l’entoure doit aussi nous rappeler que les dictateurs annoncent généralement leurs intentions et que leur maintien au pouvoir est leur priorité. Poutine ne fait pas exception à cette règle. Il a clairement indiqué que ses intentions étaient d’éliminer le président ukrainien, de rétablir une puissance impériale pour la Russie, d’écarter par tous moyens ceux qui s’opposeraient à ce dessein, y compris par l’arme nucléaire et que si la Russie devait être détruite elle entrainerait avec elle le reste du monde. Rien de neuf si on se remémore l’époque nazie, celle d’une guerre totale en quête d’une solution finale pour éliminer leurs ennemis et, en cas d’échec, d’anéantissement du pays qui, pas plus que ses habitants, ne mériteraient de survivre.
Cette guerre est donc aussi un pur reflet de la « loi de Godwin » qui postule que « plus une discussion en ligne se prolonge, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de un ». La discussion qui s’est engagée entre l’Ukraine et la Russie depuis les accords (peu respectés) de Minsk en 2014 s’est prolongée de façon exacerbée jusqu’en février 2022 où le nazisme s’est invité dans l’échange comme si tout cela n’était qu’une boucle de discussion entre excités complotistes sur Telegram.
Une boucle qui entraine aujourd’hui près de 10 millions de réfugiés, des milliers de morts et un prix de l’essence et du gaz qui agite le spectre du retour des gilets jaunes. Le prix de la paix risque d’être élevé.