Journal de l'économie

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2016 un passé pas si lointain





Le 10 Novembre 2020, par Nicolas Lerègle

Les élections présidentielles qui viennent de se dérouler aux États-Unis ont été intéressantes à plus d’un titre.


Image Pixabay
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Si D. Trump a manifestement été battu, il convient de se rappeler qu’il y a quatre ans, perdant le vote populaire, ce qu’il a toujours eu en travers de la gorge, il avait cependant été élu ce dont il se rengorgeait bruyamment. Il est vrai qu’il avait alors prouvé que l’on pouvait, sans expérience politique, mais fort d’une notoriété médiatique s’imposer comme le représentant d’un parti (les Républicains), remporter une élection (au mode de scrutin pas toujours évident à comprendre pour nous français, mais seul le résultat compte) et se maintenir au pouvoir avec le nombrilisme et l’égocentrisme comme seules boussoles politiques et la loyauté à sa seule personne comme unique conception de l’intérêt général.

Même s’il y a toujours une part romanesque on ne peut que conseiller la vision de la série – en quatre épisodes – the Comey Rule qui retrace les actions de J. Comey à la tête du FBI et surtout, dans les deux derniers épisodes, ses relations avec D Trump, président élu, avant que celui-ci ne le vire quelques jours après sa prise de fonction. Il est assez édifiant de constater que tout était prévisible.

Maintenant si cette période 2016 est intéressante c’est qu’elle marque un tournant dans le rapport au politique aux États-Unis comme ailleurs.
En Ukraine le président Zelensky est venu directement de son one-man-show pour s’installer au pouvoir, en ce sens l’animateur de « the Apprentice » a parfaitement su sentir que l’air du temps était propice à un renouvellement des élites politiques y compris par des voies insoupçonnées.

En France on se rappelle Coluche à la fin des années 70, on a oublié Pierre Dac qui avait envisagé de se présenter avant que d’être recadré par les gaullistes et on oubliera bien vite Jean-Marie Bigard récemment. Mais l’intrusion de personnalités de la société civile sans aucune expérience politique a été matérialisée par l’élection d’E. Macron. Certes un banquier d’affaires n’est pas un comique troupier et un CV de premier de la classe est encore préféré aux tréteaux des théâtres, mais le pli a été pris. Il a ses attraits, on évite des lignées de hauts fonctionnaires qui semblent découvrir chaque matin le monde réel qui les entoure et s’ingénient à donner raison à Bourdieu. Il a aussi ses inconvénients, un État n’est justement pas une entreprise et pour qu’il soit bien géré la composante « opinion publique » est primordiale et le bon sens ou la simple logique situationnelle ne suffisent pas à faire adhérer cette dernière à une stratégie politique. Depuis quelques mois nous avons eu l’occasion de le constater régulièrement.

Ronald Reagan ou Arnold Schwarzenegger avaient été des précurseurs que l’on pouvait penser sans lendemain, car trop « californiens » pour être transposables ailleurs. Or, cette arrivée de politiciens qui ne se revendiquent pas comme tels, mais qui aspirent pourtant à concourir aux mêmes élections, peut être très déstabilisante. Elle nécessite, en tout cas, une adaptation des discours et des compréhensions pour développer en réponse ou en proposition des éléments de langage qui, eux aussi, vont devoir être très disruptifs au regard de nos habitudes encore récentes et présentes.

Imaginons que pendant un match de football les joueurs d’une équipe se mettent, sans être arrêtés, à prendre le ballon en main les règles du jeu en seraient irrémédiablement faussées.  Ceux qui s’y risqueraient pourraient gagner la partie, mais il est certain ensuite que tous les autres participants utiliseraient les mêmes artifices pour recomposer un nouvel espace de confrontation doté de règles communes. Dans mon exemple cela a débouché sur la création du rugby qui, cela n’aura échappé à personne, est assez éloigné du football.

On peut se demander si en 2016 aux États-Unis, en 2017 en France, en 2019 en Ukraine un joueur n’a pas ramassé le ballon à la main, provoquant la sidération de ses adversaires et une forme d’adhésion de la part des spectateurs/électeurs lassés par des habitudes bien ancrées ayant fini par rendre monotones et prévisibles les joutes électorales.
Les barrières à l’entrée du pouvoir politique que sont en France, l’ENA, X, la haute fonction publique ont sauté par la grâce de Twitter, d’Instagram, de Facebook et d’Internet, autant de relais d’influence accessibles à tous et pouvant faire ou défaire une réputation en quelque temps. Les influenceurs qu’étaient les journalistes, artistes et intellectuels ont dû laisser une partie de leur place aux vedettes de la téléréalité, aux « peoples » et autres animateurs de sites qui revendiquent une audience parfois supérieure à celle de médias télévisés et qui ne se privent pas d’avoir un avis sur tout et rien.

Comme de surcroit ces mêmes relais d’influence ne se privent pas de véhiculer vérités et mensonges avec la même assurance il devient de plus en plus difficile de discerner ne vrai du faux, la réalité du complot, l’intérêt général de l’intérêt particulier.

En fait en 2016 nous sommes entrés dans une nouvelle époque qui nécessite d’être bien mieux armés que les acteurs des générations et années précédentes. La bonne foi, la sincérité, les convictions ne constituent plus les viatiques de la reconnaissance populaire et de sa légitimité à en être le représentant.

2016 un passé pas si lointain, aux États-Unis le résultat de la présidentielle montre que le temps d’avant était peut-être un bon vieux temps qu’il conviendrait de remettre au goût du jour. Il ne faut pas s’illusionner sur ce point, ce qui a été initié est un mouvement de fond porté par des technologies toujours en progrès pour comprendre nos motivations et nous séduire au moment d’un vote. Elles vont donc être utilisées massivement – en les parant de toutes les vertus démocratiques – avec des évolutions permanentes qui nécessiteront de constantes adaptations.

Il va donc être important pour les citoyens autant que pour les élus, les candidats, mais aussi les acteurs de la société civile, entreprises, associations ou autres de s’y préparer à peine d’être balayés par des changements de règles devenant la norme.  L’odeur du sang et celle du pain ont, de tout temps, été des appâts à l’adhésion populaire, ne pas l’oublier et se doter d’une panoplie d’armes pour y répondre va donc être une nécessité pour gagner ce que l’on aspire à obtenir, une élection comme une part de marché.
 


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