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Les Arpents du Soleil: un vignoble normand dans la cour des grands





Le 3 Juin 2024, par La Rédaction

Niché en plein coeur de la Normandie, ce vignoble de moins de sept hectares bénéficie de conditions naturelles exceptionnelles : un micro-climat sec, une végétation digne de celle des régions méridionales, et une géologie semblable à celle de la côte de Nuits, en Bourgogne. C’est dans cet écrin de lumière que le domaine des Arpents du Soleil produit des vins tant singuliers que remarquables, et d’ailleurs remarqués: 21 de ses millésimes ont déjà été sélectionnés au guide Hachette. Depuis 2023, le jeune repreneur du domaine, Étienne Fournet, s’enivre du terroir et y apporte sa passion, son audace entrepreneuriale, et la dose de talent qu’il convient de lui reconnaître.


© Les Arpents du Soleil
© Les Arpents du Soleil

Il y a un an, vous repreniez le domaine « Les Arpents du Soleil ». Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui a motivé votre projet entrepreneurial ?

Mon parcours n’était pas directement lié au vin. C’est une conjonction de facteurs et surtout la chance qui m’a permis d’arriver là où je suis. Mon appétence pour la vie rurale m’a amené à faire des études agricoles. Ce qui m’a toujours passionné, c’est le lien entre un produit fini, l’environnement où il est produit et les méthodes de production. Autrement dit le terroir… 
Une fois cette passion trouvée, j’ai expérimenté plusieurs choses : syndicalisme agricole, tourisme gastronomique, organisation d’un salon dédié au cidre puis responsable d’exploitation dans un domaine cidricole. 
Lorsque j’ai su que le Domaine des Arpents du Soleil, à deux pas de chez moi, était en transmission, je n’ai pas hésité un seul instant. 
J’y ai découvert un fondateur - Gérard Samson - passionné et passionnant, une histoire de plusieurs siècles, et un vin absolument exceptionnel. La suite s’est faite naturellement : mettre un fruit en bouteille, je savais faire ; il ne restait plus qu’à apprendre à cultiver la vigne et faire le vin… Tout un programme.
© Les Arpents du Soleil
© Les Arpents du Soleil

On est forcément surpris à l’évocation d’une activité viticole dans la Calvados. Les conditions sont-elles vraiment propices à la culture de la vigne dans cette région ?

Le domaine n’est pas là par hasard. Pour faire un grand terroir viticole il faut 3 éléments : une géologie et un sol d’exception ; un microclimat chaud et sec ; et des pratiques humaines. 
Le domaine est situé dans le Bassin parisien, qui est constitué d’une superposition de dépôts calcaires concentriques. Plus on s’éloigne du centre, plus les couches affleurantes sont anciennes. C’est sur l’une d’entre elles, appelée le Bathonien Supérieur, que se situe le domaine. Cette situation géologique exceptionnelle est due à un effondrement de sol qui a créé une colline exposée sud-est en plein Cœur de la plaine céréalière de Caen ; dans le reste de la Normandie, cette couche est enfouie sous des mètres de sédiments. Or, ce calcaire est le même que celui de la Côte de Nuit en Bourgogne, puisque nous sommes diamétralement opposés à la Bourgogne par rapport au centre du bassin parisien… 
Pour l’aspect climatique, le domaine ne reçoit que 600mm par an - soit moins que les vignobles de Bourgogne. Cela s’explique par la présence, à l’ouest du domaine, du relief de la « Suisse Normande », sur lequel se crée un effet de Foen. En passant par-dessus ce relief, les masses d’air humide refroidissent, créant des précipitations abondantes. En redescendant, l’air s’est déshumidifié et se réchauffe alors d’autant plus vite. Ainsi, arrivé sur la colline, le vent est sec et les nuages peu menaçants.
Quant aux pratiques, le fondateur du domaine s’est formé auprès des plus grands en Bourgogne, en Alsace, et dans la Loire. Il a commencé de manière expérimentale avec 0.5hectare en 1995, lorsqu’il y avait encore des droits de plantation. C’est dans un cadre posé par le ministère de l’agriculture que les bonnes pratiques culturales ont été définies, et les cépages adaptés.

Comment l’idée de cultiver la vigne en Normandie a-t-elle germé ?

L’histoire du domaine remonte en fait à plusieurs siècles. La voie romaine qui sillonnait jadis le secteur passe au pied de la colline. On trouve des traces écrites, remontant au 9èmesiècle, d’un vignoble cultivé par les moines de l’abbaye de Saint-Pierre sur Dives. C’était un vignoble de rente. Le vin produit était destiné au commerce. L’an passé, un historien de l’université de Tours m’a fait part de preuves de la présence du vin des moines de Saint Pierre à la table de Philippe le Bel. D’autres écrits comptables le prouvent : ce vin n’était pas destiné au quidam de l’époque.  
Le fondateur, Gérard Samson avait également découvert une trace plus récente de cette histoire en tombant sur la carte de Cassini (18èmesiècle, cartographe de Louis XV) du secteur et sur laquelle figurait déjà un vignoble. Or, on sait qu’à l’époque, il y avait d’autres vignobles à proximité (Cesny-Aux-Vignes, Vignats…). Mais le nôtre est le seul à y figurer car n’étaient représentés sur ces cartes que les points notables de l’époque. Ce vignoble était donc reconnu. Du moins jusqu’à la révolution, les moines ayant été chassés. La parcelle est alors tombée dans l’oubli.

Vous avez débuté votre carrière dans le cidre. Est-ce si différent du monde du vin ? Si oui, en quoi ?

J’aime bien la métaphore du pianiste. Je dis souvent que j’ai appris à jouer du piano dans le cidre et que désormais je joue de l’orgue. En effet c’est assez similaire, le répertoire est simplement différent et il y a des subtilités propres à l’un que l’autre ne possède pas - et réciproquement ; mais l’approche est la même : on cultive un fruit que l’on transforme, surveille et que l’on finit par mettre en bouteille. La différence majeure réside dans une culture de la vigne nettement plus exigeante que celle du pommier. Le soin que l’on porte à la vigne fait toute la différence. Un jour, un grand vigneron m’avait dit : « la vigne fait 80% du travail ; les 20% restants, c’est de ne pas faire d’ânerie ». 

Que représente l’activité viticole en Normandie ?

La Normandie a, comme toutes les régions de France, un passé viticole. Il y a entre le Xème et le XIVème siècle, ce que l’on appelle le petit optimum médiéval. Un réchauffement d’environ 2°C sur la zone atlantique Nord. Les récoltes abondantes à cette période sont l’une des causes de l’expansion de la civilisation médiévale.
Cette période est aussi marquée par une migration de la vigne vers les contrées septentrionales. On peut donc imaginer la Normandie couverte de vignobles de plus ou moins grande importance à cette époque. À partir de 1350, on entre dans le petit âge glaciaire. Il ne reste alors de la vigne que sur certains coteaux, là où elle est en mesure de faire du fruit. Il semble d’ailleurs que la culture du cidre se développe à partir des années 1400 dans la région.
Aujourd’hui toutefois, la vigne est abondamment replantée. C’est plutôt un aspect réglementaire qui en constitue le moteur, et non le réchauffement - bien qu’il aide à une certaine forme d’optimisme pour les porteurs de projet. Depuis 2015, les droits de plantation sont en effet levés, ce qui permet de planter ce que l’on veut, où l’on veut. 
Face à la multiplication des projets professionnels et familiaux, il existe une association des vignerons de Normandie qui fait un remarquable travail de fédération et d’aide technique aux néo-vignerons. C’est en se regroupant que l’on parviendra à faire exister les vins de Normandie dans l’offre traditionnelle. 

Parlez-nous plus en détail de votre domaine. Quels types de cépages cultivez-vous ? Quelle gamme de vins proposez-vous ?

D’un demi-hectare planté en 1995, le domaine est passé à6,6 hectares en 2015. Nous cultivons la moitié en pinot-noir, l’autre en cépages blancs. 
Notre pinot-noir est vraiment très beau. Il s’exprime sur des notes de cerise amarena et une jolie bouche poivrée. C’est plutôt un vin de garde, son optimum est atteint à partir de 5 ans de bouteille mais il se garde sans problème jusqu’à 15 ans. Il représente la moitié des volumes. Depuis quelques années, nous réalisons une micro-cuvée de macération de grappes entières avec les plus belles grappes mais cela ne constitue que 600 bouteilles par an. C’est, à l'aveugle, typé Grenache de Châteauneuf du Pape avec la delicatesse d’un pinot noir… Un nectar uniquement disponible au domaine. 
Les blancs sont au nombre de trois. Notre cépage le plus abondant est l’Auxerrois. Peu connu et venant de Lorraine, il est surtout planté en Alsace - notamment pour réaliser des crémants. Chez nous, l’Auxerrois est un vin riche, solaire, puissant avec un équilibre umami et une finale épicée. C’est assez déconcertant, il fait un très beau vin avec les cuisines du monde. Nous avons également du pinot gris. Depuis 2018, les vignes ont dû atteindre une profondeur suffisante pour en faire chaque année un concurrent sérieux à de beaux terroirs renommés, à en juger par les récompenses reçues au guide Hachette… Enfin, nous réalisons un assemblage sur une base de Chardonnay (80%) fermenté et élevé en barrique. Un beau voyage gustatif, à travers un équilibre très subtil entre le gras, l’acidulé, et le boisé. 
Toutes ces cuvées représentent environ 225 hectolitres par an, soit 40 000 bouteilles, car nous embouteillons principalement en bouteilles de 50Cl. Cela va changer petit à petit car le marché demande plus de 75Cl.

C’est donc une production assez confidentielle de vins d’exception. Quels sont vos marchés et vos circuits de distribution ?

Le caractère singulier d’un vignoble en Normandie est un atout considérable. La région est bien pourvue en sites touristiques et donc en clients potentiels. Fort de cet avantage, Gérard Samson a développé un accueil oeno-touristique important. D’avril à octobre, nous faisons environ 2 500 tickets.  Il y a les visites libres suivies d’une simple dégustation. C’est souvent assez rapide et c’est un public de réguliers ou d’avertis. Il y a aussi les visites guidées payantes suivies d’une dégustation assez poussée. Le public est plutôt « néophyte-intéressé ». 
Le reste de la production est quasiment exclusivement vendu à des professionnels en Normandie, au premier rang desquels les restaurateurs. C’est une clientèle indispensable. Nombreux sont les clients qui viennent ensuite nous voir après nous avoir découverts dans un restaurant. 
Depuis la dernière extension du vignoble, en 2015, la production a tendance à être plus abondante que les volumes commercialisés. C’est un avantage, car cela nous permet de vendre des vins prêts à boire, avec environ 3 ans de bouteille. 
La conversion bio est également un atout pour entrer dans les réseaux spécialisés. Nous aurons terminé la conversion biologique dans 3 ans.

Dites-nous en davantage sur votre mode de production…

La qualité est notre maître-mot, car nos vins sont dans le segment des produits premiums. Nous effectuons un maximum de tâches à la main :la taille, le tirage des bois, l’ébourgeonnage, l’épamprage, le palissage et la vendange…
Nous somme résolument engagés dans une démarche d'amélioration continue de la qualité. La prochaine étape est donc la conversion bio et l’approche biodynamique, pour une labellisation en 2027. S’en suivra une série d’investissements importants sur tous ces petits détails qui permettent d’aller chercher toujours plus de finesse et de singularité : vendanges en caissettes, thermorégulation, un deuxième pressoir pneumatique, élevages en amphores…Il y a un tel potentiel créatif dans le vin que je ne pense pas pouvoir en faire le tour !

Comment vous y prenez-vous pour faire connaître vos vins ?

Pendant longtemps, le Domaine a fait office d’exception. Pas facile de vendre du vin de Normandie ! Mon prédécesseur a fait un travail remarquable durant une trentaine d’années, et j’en cueille aujourd’hui le fruit. Il est parti d'une page blanche et a créé un vignoble qui surprend par sa singularité et sa qualité. Mais faire connaître nos vins au-delà des frontières normandes reste un véritable défi, même si nous sommes régulièrement cités dans la presse nationale généraliste ou spécialisée.
C’est pour cela que nous participons de plus en plus à des rencontres professionnelles comme les salons(salon d'Angers, ou Wine-Paris par exemple). 

Comment la profession, au sens large, accueille-t-elle une production si singulière ?

On entend beaucoup parler du réchauffement climatique et de son impact sur les vignobles. Des champenois qui investissent en Belgique, des vignobles britanniques qualitatifs… Cette lame de fond prépare les esprits à accepter l'idée de vins au nord de la Loire. 
Parmi les confrères et les sommeliers, il y a toujours des curieux, des sceptiques, et des traditionalistes mais dans la plupart des cas, la dégustation à l'aveugle force l'objectivité ! Et comme la curiosité ne se boit pas, j’ai la prétention de croire qu'il y a plus que de l'originalité dans nos vins.

Quels sont vos projets, vos ambitions, vos espoirs ?

Outre notre souci d’amélioration continue de la qualité, j’aspire à faire connaître plus largement nos vins et notre terroir, partout où il existe une véritable appétence pour la nouveauté et la singularité. Je crois que ce terroir mérite d'être classé et protégé. Cela impliquerait plusieurs années de travail mais une définition des terroirs de Normandie va s'imposer. Il faudra donc les reconnaître, les protéger via des IGP puis des AOC et, qui sait, peut-être un jour les classer.
Nous espérons également nous tourner de plus en plus vers l’exportation car l’image du vin français est excellente hors de nos frontières, et nous serions fiers de participer à ce rayonnement.
Après d’autres pays européens, notamment nos voisins Belges et Britanniques réceptifs à l’idée d’un vin normand, peut-être exporterons-nous Outre-Atlantique un jour. L’avenir est riche de surprises !

Êtes-vous confronté aux effets du changement climatique ? Comment intégrez-vous les enjeux du développement durable ?

Le réchauffement est réel. Pour le domaine les effets sont ambivalents. 
Nous avons la chance de bénéficier d’un terroir exceptionnel qui nous permet d’obtenir une belle maturité, avec ou sans réchauffement climatique. Mais il est vrai que celui-ci joue plutôt en faveur de la qualité, et écarte le risque de vendanges médiocres.
En revanche, un réchauffement significatif se traduira par des difficultés de production - sachant que nos pinots gris titrent déjà à 14.5°. 
Par exemple, il faisait 34°C le 3 octobre dernier, en pleine campagne de vendanges. Nous avons par conséquent commencé à adapter les méthodes, avec par exemple des vendanges matinales ou du stockage de vendange au froid.
C'est donc aussi par conviction que j'ai entamé la conversion bio, afin de limiter l’impact de notre activité. Je réfléchis bien sûr à bien d'autres pistes comme la traction animale, l'utilisation de bouteilles de consigne et enfin - quand le moment sera venu - l'export avec des moyens dits doux comme le transport à voile.
© Les Arpents du Soleil
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