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A qui appartient la règlementation de l'usage des pesticides en France : l'Etat ou le Maire ?





Le 18 Novembre 2019, par Frédéric Rosa-Dulcina

Par deux ordonnances du 8 novembre 2019, le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a admis qu’un maire puisse, au titre de ses pouvoirs de police générale, réglementer l’usage de pesticides sur sa commune quand des préoccupations de santé publique le justifient. Ces ordonnances vont à rebours d'autres décisions de justice récentes ayant invalidé des arrêtés municipaux anti-pesticides.


Dans la première espèce [1], le maire de Sceaux avait interdit, par un arrêté du 20 mai 2019, l’utilisation du glyphosate et d’autres substances chimiques sur le territoire de sa commune.
 
Dans la seconde espèce [2] , le maire de Gennevilliers avait, par un arrêté du 13 juin 2019, interdit l’utilisation de pesticides pour l’entretien de certains espaces de son territoire.
 
Dans les deux cas, le préfet des Hauts-de-Seine, en sa qualité de représentant de l'Etat, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise de suspendre ces décisions municipales.

Comme les autres tribunaux amenés avant lui à se pencher sur la question, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise affirme dans un considérant de principe « que la police spéciale relative à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques a été attribuée au ministre de l’agriculture ».
 
Mais, il ajoute que « s’il appartient au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale qu’en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières ».

Or, dans les deux affaires, ce juge estime qu’« il ne saurait être sérieusement contesté que les produits dont l’utilisation est interdite par l’arrêté en litige, qui font l’objet d’interdictions partielles mentionnées à l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime précité, constituent un danger grave pour les populations exposées, notamment celles mentionnées au I de ce même article et définies à l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 ou celles présentes à proximité des espaces et lieux mentionnés à l’article L. 253-7-1 du même code ».

Dès lors, dans la première espèce, eu égard à la présomption suffisamment établie de dangerosité et de persistance dans le temps des effets néfastes pour la santé publique et l’environnement des produits que l’arrêté attaqué interdit et compte tenu de l’importance des populations vulnérables sur son territoire (enfants accueillis dans huit crèches, huit écoles, deux collèges et quatre lycées mais aussi personnes âgées résidant notamment dans les quatre établissements de santé situés sur ce territoire), le juge considère que le maire de Sceaux a pu à bon droit considérer que les habitants de celle-ci étaient exposés à un danger grave justifiant qu’il prescrive les mesures contestées.
 
Pour la seconde espèce, compte tenu de la pollution considérable du fait des infrastructures majeures de transport et de l’importance des populations vulnérables sur son territoire (treize écoles, trois collèges et un lycée et établissement de santé spécialisé en rééducation fonctionnelle) et de la présomption suffisamment établie de dangerosité de ces pesticides, le juge admet que le maire de la commune de Gennevilliers a pu à bon droit considérer que les habitants de celle-ci étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’il prescrive les mesures contestées.
 
L'Etat a déjà précisé qu'il entendait faire appel de ces deux ordonnances qui constituent un réel revirement au regard d'autres décisions récentes du juge administratif.
 
En effet, le 25 octobre 2019, le Tribunal administratif de Rennes [3]  a jugé que le "ministre de l'Agriculure est chargé de la police administrative des produits pharmaceutiques" et que le maire d'une commune ne peut "en aucun cas s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale par l'édiction d'une réglementation locale". Dans cette affaire, le maire de Langouet (Ille-et-Vilaine) voulait interdire tout épandage à moins de 150 mètres des habitations.
 
Cette première décision au fond rendue au niveau national faisait suite à diverses ordonnances de référé allant dans le même sens [4]
 
Les décisions susvisées du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise restent donc fragiles même s'il est vrai, pour être complet, qu'une décision en référé - passée inaperçue - avait entrouvert la porte en septembre 2019 en précisant qu'un maire peut, en cas de danger grave ou imminent et par exception, réglementer au titre de ses pouvoirs de police générale l'utilisation des pesticides sur le territoire de la commune [5].
 
On le voit, le débat de l'usage des pesticides est complexe et sans cesse renouvelé. D'autres épisodes judiciaires sont donc assurément à venir. A moins que les pouvoirs législatif et exécutif ne se décident d'intervenir afin de trancher de manière ferme ce débat et d'éviter ainsi que le pouvoir judiciaire ne continue de se déchirer à coups de décisions de justice contradictoires.
 
Frédéric Rosa-Dulcina
LEX SQUARED AVOCATS
 
 
[1] TA Cergy-Pontoise, 8 novembre 2009, n° 1912600
[2] TA Cergy-Pontoise, 8 novembre 2009, n° 1912597
[3] TA Rennes, 25 octobre 2019, n°1904029
[4] TA Besançon, 16 septembre 2019, n°1901464, n°1901465 ; TA Rennes, 27 août 2019, n° 1904033
[5] TA Versailles, 20 septembre 2019, n°1906708


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