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Agriculture : le printemps européen du ministre Stéphane Travert





Le 11 Avril 2018, par Eric Morin

Le calendrier des mois à venir est bien rempli au ministère de l’Agriculture. Plusieurs dossiers se disputent le haut de la pile, comme la carte des zones défavorisées, la refonte de la PAC, les engrais phosphatés ou encore l’accord de libre-échange avec le Mercosur.



2018 ou le printemps de tous les dangers. Tel pourrait être le titre du film dans lequel le ministre français de l’Agriculture et de l’Alimentation, Stéphane Travert, va tenter de jouer le premier rôle. Un ministre épaulé par son président, Emmanuel Macron, qui tente de lui faciliter un peu la tâche, en montant lui aussi au front pour répondre aux inquiétudes des agriculteurs français. Le 21 février par exemple, plusieurs milliers d’agriculteurs ont manifesté dans toute la France, de peur de voir remettre en cause – comme l’a suggéré le chef de l’Etat en janvier – la Politique agricole commune (PAC). La liste des doléances est longue, certaines d’entre elles restant très mystérieuses pour l’opinion publique. Un effort d’explication s’impose donc.
 
Touche pas à mes zones défavorisées

L’année 2018 a débuté sur ce mot d’ordre des agriculteurs : à l’Elysée, 48 heures avant l’ouverture du 55e Salon de l’agriculture à Paris, ceux-ci ont rencontré le président pour lui demander pourquoi ils n’avaient pas eu la primeur de la nouvelle carte des zones agricoles défavorisées que leur ministre de tutelle, Stéphane Travert, a présenté à Bruxelles. La défiance envers les institutions européennes est montée d’un cran, le ministre s’est quant à lui défendu en rappelant que tous les Etats membres de l’Union devaient remettre leurs travaux avant de les rendre publics. L’exécutif français a tenté d’être rassurant. Travert en tête.

Depuis la clôture du Salon de l’agriculture le 4 mars dernier, le ministre est partout. Ex-membre du Parti socialiste, ce Normand de 48 ans est aujourd’hui en pleine tractation pour imposer sa carte. Celle qui est censée préserver le tissu rural français. Car de ces cartes dépendent les aides européennes allouées à chaque pays, les 27 Etats membres voulant logiquement obtenir une part du gâteau un peu plus grande que l’année précédente. Ces territoires défavorisés – où l’agriculture et l’élevage sont parfois compliqués à maintenir – survivent souvent grâce aux perfusions européennes. En France comme ailleurs. Les paysans français sont donc l’expectative, pour savoir si le découpage présenté par leur gouvernement sera validé. Ou non.

Car leurs représentants, eux, sont sur la défensive, à l’image de Christiane Lambert, la présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui, à l’issue du Salon de l’agriculture, n’a pas caché ses doutes quant à l’écart entre le discours et les faits.  « Depuis le début, nous avons contesté les critères retenus pour définir les zones agricoles défavorisées, explique la représentante du monde agricole. Les mesures que présente le gouvernement ne sont pas suffisantes. Il veut maintenir 80% du soutien la première année, et 20% la deuxième année. Ce n’est pas à la hauteur de ce dont les agriculteurs ont besoin. Il faut des crédits structurants et des solutions concrètes pour aider les agriculteurs à aller vers des cultures à plus forte valeur ajoutée, et à investir afin de compenser les pertes de revenus induites par le changement de zonage. » A l’opposé, des voix appellent à repenser en profondeur notre rapport au secteur primaire, en sortant de la logique de quotas et de prix garantis par la PAC, et en allant vers une reconfiguration technologique de l’agriculture. Pour, à terme, reprendre la main et sortir de la dépendance envers Bruxelles. Une idée qui plaît à l’équipe Macron.
 
Vers une renationalisation de la politique agricole ?

Début mars, le ministre Travert a donc sorti l’artillerie lourde pour rassurer les agriculteurs français. D’abord sur les fonds déjà alloués : « Grâce au rythme soutenu des paiements, tout risque de dégagement d’office à la fin de l’année 2018 est exclu, a assuré le ministre, pour une très large majorité de programmes » du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) qui courent jusqu’en 2020. Ensuite, M. Travert a annoncé les trois phases d’un plan d’investissement sur cinq ans, visant à calmer les inquiétudes du monde agricole. La première disposera d’une enveloppe de trois milliards d’euros pour « la transformation de l’amont agricole et forestier », selon les mots du ministre, « dont un milliard dans un fonds de garantie pour favoriser l’installation des jeunes agriculteurs, et cent millions pour un plan de financement des projets de méthanisation agricole, un secteur très développé en Allemagne ». Stéphane Travert veut aller plus vite : selon lui, l’installation de ce type d’activités – dont le but est la transformation de déchets agricoles en énergie – prend entre 12 et 18 mois outre-Rhin, et parfois jusqu’à sept ans an France. Deuxième phase : l’amélioration de la compétitivité de l’aval agricole, sous forme de prêt aux industries agroalimentaires. Enfin, la troisième phase de 500 millions d’euros visera à « favoriser l’innovation et la structuration des filières agricoles ». De la bonne volonté certes, mais reste à voir si les enveloppes et leur affectation correspondront aux besoins réels.
 
Glyphosate, le dossier inflammable

Les dossiers ne manquent donc pas sur le bureau du ministre. L’altercation entre un agriculteur et le président Macron, lors du Salon porte de Versailles, au sujet du glyphosate, a fait l’ouverture de tous les journaux télévisés. L’autorisation de ce désherbant, renouvelée par Bruxelles en novembre 2017 pour une période de cinq ans et ramenée à trois ans par le ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot, passe mal auprès des agriculteurs français. Car même si cela n’est pas populaire, eux en ont besoin. En janvier, le président Macron a pris la mesure de la grogne paysanne et a assuré que le gouvernement « n’imposerait jamais de sortie du glyphosate s’il n’y a pas d’alternative ». Au sein du gouvernement, Stéphane Travert a joué sa partition sur la prolongation de l’utilisation du pesticide de Monsanto, si décrié par l’opinion publique mais incontournable pour l’industrie agroalimentaire. « Malgré le vote de Bruxelles, la France reste déterminée à sortir du glyphosate en moins de cinq ans, a appuyé le ministre. Nous travaillons de concert avec tous les acteurs pour trouver des alternatives crédibles. » Plus facile à dire qu’à faire.
 
La géopolitique s’invite au calendrier

Autres produits incontournables pour les agricultures française et européenne : les engrais phosphatés. Là, le ministre français va devoir jouer sur un terrain beaucoup plus complexe. L’Europe est en train de changer sa réglementation concernant ses importations d’engrais phosphatés. La bataille s’annonce âpre, les enjeux sont énormes : ils touchent au taux de cadmium contenu dans ces produits. En 2017, la Commission de Bruxelles a proposé un texte visant à abaisser le taux de cadmium autorisé dans les engrais phosphatés à 60mg/kg immédiatement, à 40mg en 2021, puis à 20mg en 2030. L’objectif affiché : favoriser l’utilisation d’engrais organiques et réduire la dépendance de l’Europe aux importations de phosphate naturel, matière première des engrais traditionnels dont l’industrie agroalimentaire ne peut évidemment pas se passer.

Dans les coulisses, la guerre du cadmium a donc commencé, sur fond de débat sanitaire. Pourtant, selon l’Union des industries de la fertilisation (Unifa), la présence de cadmium ne pose aucun problème de santé publique : « En dehors de quelques expositions professionnelles ou accidentelles, les doses de cadmium diffuses dans l’air ou l’alimentation, et donc absorbées par l’homme dans la vie courante, sont très inférieures aux seuils de toxicité préconisés par l’OMS. » Principales sources alimentaires de cadmium en concentration ? Le cacao, et les fruits de mer. Autant dire que les agriculteurs français comprendraient mal de telles restrictions.
Pointée du doigt par l’Eurodéputé polonais Jaroslaw Wałęsa, la Russie pourrait être la grande bénéficiaire d’un tel texte, profitant d’un quasi-monopole sur les exportations vers l’Europe, son phosphate présentant naturellement un taux de cadmium inférieur aux phosphates concurrents, à commencer par celui venant du Maroc. Les ministres européens, Stéphane Travert en tête, devront prendre en compte ce que des députés européens appellent déjà « un chantage russe », afin de préserver la concurrence sur ce secteur. La Commission du commerce international va d’ailleurs dans ce sens. Elle prévient des conséquences qu’un monopole russe sur les engrais engendrerait : « La Commission de Bruxelles doit s’assurer que les fournisseurs étrangers qui livrent des matières premières et des engrais à l’Union européenne n’abusent pas de leur position de force sur le marché en réduisant l’accès de l’industrie européen aux matières premières et en rendant ses produits finis non concurrentiels. »
 
Le Mercosur ne rassure pas les éleveurs

Changeons à présent de zone géographique avec le dernier dossier en haut de la pile : l’accord de libre-échange en cours de négociation avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay). Cette nouvelle version de l’accord touche tous les secteurs commerciaux et s’annonce plutôt profitable aux pays européens, Allemagne, France et Italie en tête. En France, certains secteurs se frottent déjà les mains, comme l’automobile avec Peugeot, d’autres ont peur d’une concurrence déloyale, comme la filière bovine. Toujours au Salon de l’agriculture fin février, les éleveurs français ont fait entendre leur voix aux cris de « Non à la grande braderie ! », « Malbouffe importée, pas question ! » ou encore « Le Mercosur ne passera pas ! » Le Mercosur passera, encore faut-il là aussi que les autorités françaises négocient avec habileté, et que l’effort d’explication soit bien mené. Le ministre a donc du pain sur la planche.



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