Journal de l'économie

Envoyer à un ami
Version imprimable

Botticelli, artiste et designer au musée Jacquemart André





Le 1 Octobre 2021, par Christine de Langle


Figure allégorique dite La Belle Simonetta, vers 1485, tempera et huile sur bois de peuplier, Francfort-sur-le-Main, Städel Museum, CC BY-SA 4.0 Städel Museum, Frankfurt
Figure allégorique dite La Belle Simonetta, vers 1485, tempera et huile sur bois de peuplier, Francfort-sur-le-Main, Städel Museum, CC BY-SA 4.0 Städel Museum, Frankfurt
La reprise des vernissages

La reprise des expositions en France marque le retour des prêts internationaux et des voyages des œuvres. Il faut se réjouir des prêts accordés au musée Jacquemart André (National Gallery de Londres, le Rijksmuseum d’Amsterdam, les Musées et Bibliothèques du Vatican, le musée des Offices de Florence, la Gemäldegalerie de Berlin, etc.) au moment où certains musées sont obligés d’annuler des expositions au vu des incertitudes liées au transport des œuvres d’Europe aux États-Unis, telle l’exposition sur le Baroque génois prévue fin septembre à la National Gallery de Washington.

Les prêts accordés par la Russie à la France pour la présentation de la collection Morosov à la Fondation Louis Vuitton ont fait quant à eux l’objet d’intenses tractations qui montrent que la diplomatie culturelle n’est pas un vain mot.
 
Le musée Jacquemart André

Par une publicité bien orchestrée et un titre accrocheur, les visiteurs se pressent dans les petites salles d’exposition du musée. Parcours toujours un peu inconfortable par ces allers-retours, tant pour les commissaires d’exposition que pour les visiteurs, mais c’est toujours un bonheur d’entrer dans cet hôtel particulier conçu par deux mécènes passionnés, Édouard André et Nelly Jacquemart, pour l’exposition de leurs fabuleuses collections. Cette nouvelle exposition s’enrichit de la visite des collections permanentes situées au même niveau et consacrées à la peinture italienne de la Renaissance avec en prime une Vierge à l’Enfant et une Fuite en Égypte de Botticelli que nombre de visiteurs oublient d’admirer

Le Jugement de Pâris, vers 1482-1485, tempera sur bois, 81 x 197 cm, Venise, Fondazione Giorgio Cini, Galleria di Palazzo Cini, Venezia  © Fondazione Giorgio Cini
Le Jugement de Pâris, vers 1482-1485, tempera sur bois, 81 x 197 cm, Venise, Fondazione Giorgio Cini, Galleria di Palazzo Cini, Venezia © Fondazione Giorgio Cini
Un atelier florentin

Formé à Florence dans l’atelier du peintre Filippo Lippi, puis dans celui de Verrocchio où il croise Léonard de Vinci, Alessandro Filipepi connu sous le nom de Sandro Botticelli « le petit tonneau » (1445-1510)  apprend à maîtriser l’art de la fresque et de la peinture de chevalet. Ses premières œuvres montrent à partir d’un thème apprécié, la Vierge à l’Enfant, une liberté et une grâce nouvelles face aux modèles de son maître  (La Madone au livre). Bientôt à la tête de son atelier, il travaille avec de nombreux assistants dont le fils de son maître, le jeune et brillant Filippino Lippi. Dans les conventions qui régissent les ateliers de la Renaissance, au maître la conception de l’œuvre et aux assistants son exécution supervisée par le maître qui se réserve les visages et la touche finale.

Bousculant notre conception d’œuvre « originale », tout ce qui sort de l’atelier est vendu comme un authentique Botticelli. Revoyons de même notre idée de la copie. C’est à l’époque un exercice d’apprentissage pour les assistants et une stratégie commerciale (une œuvre appréciée est convoitée par plusieurs clients qui en désirent une copie). Portraits, scènes mythologiques ou grands retables d’église, l’atelier de Botticelli peut répondre à tout.
 

Venus pudica, vers 1485-1490, huile sur toile, Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie, Photo © BPK, Berlin, Dist.RMN-Grand Palais / Jörg P. Anders
Venus pudica, vers 1485-1490, huile sur toile, Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie, Photo © BPK, Berlin, Dist.RMN-Grand Palais / Jörg P. Anders
Un artiste designer à la Renaissance

Botticelli a un génie particulier pour varier à l’infini un thème et le faire traduire sur différents supports : tapisserie, broderie, ou marqueterie. Peinture, fresque et arts appliqués sont considérés comme autant de diversifications possibles et permettent de répondre aux nombreuses commandes de mécènes florentins autour des Médicis et de Laurent le Magnifique qui créent une ambiance ultra-compétitive pour les artistes.

C’est tout l’intérêt de l’exposition : nous faire découvrir la richesse de création d’un maître et les ressources de son atelier dans un environnement politique et religieux propre à Florence dans cette deuxième moitié du Quattrocento. Le règne du flamboyant Laurent le Magnifique s’achève avec la République de Savonarole et la vision apocalyptique et tourmentée du moine dominicain. La question de son influence sur l’œuvre du peintre reste posée quand on voit la douceur qui se dégage du Christ en croix de Prato. Cette simplicité et ce dépouillement ne doivent rien à une contrainte religieuse nouvelle, mais sont l’expression d’une évolution. A quelques siècles de là, le couturier et designer Yves Saint Laurent  cherchera lui aussi « l’épure ».

La question de la beauté

Qu’est-ce que la beauté ? C’est la question posée aux visiteurs devant Le Jugement de Pâris, nouveau type de peinture créée à la demande des Médicis, « les Mythologies » auxquelles appartiennent La Naissance de Vénus ou Le Printemps restés à Florence.

Désormais, définir la beauté n’est plus le privilège des dieux. Aux mortels de la qualifier. C’est ce que fait Botticelli avec une peinture « humaniste ».  C’est ce nouvel art de peindre défini en 1435 dans le De Pictura du peintre et théoricien Alberti : raconter une histoire claire, représenter le mouvement et rendre compréhensible l’expression des figures. Ignorant volontairement les variations lumineuses de la peinture flamande et la perspective aérienne chère à Léonard de Vinci, Botticelli est le champion de la ligne qui cerne les personnes et qui exalte la surface du tableau. C’est cette ligne qui donne à ses œuvres cette séduction et cette grâce qui sera remise à l’honneur par les préraphaélites à la fin du XIXe siècle.

On retrouve cette séduction de la ligne dans les contours ondulants de la Vénus pudique ou chez celle qu’on surnomme La Belle Simonetta. Cette ligne dévoile une science du dessin admirable dans sa précision. Un dessin qui imite la nature, mais ne cherche jamais à donner l’illusion de la réalité. À ce titre, c’est un art ornemental, un art qui orne le monde. Orner la nature pour la faire accéder à la culture, c’est un devoir pour l’artiste qui participe ainsi à la construction de la beauté du monde voulue par la puissance et l’énergie des Médicis. Pourquoi aller voir cette exposition, c’est peut-être un espoir pour notre monde de la post-histoire et de la post-vérité, en quête d’énergie créatrice. Avant d’entrer dans la post-beauté, les visiteurs du musée Jacquemart André viennent boire à la source et se désaltérer de beauté.
 
 
Exposition du 10 septembre 2021 au 24 janvier 2022
 
Christine de Langle
Madone au livre, vers 1482-1483, tempera sur bois, Milan, Museo Poldi Pezzoli © Museo Poldi Pezzoli – fotodarte
Madone au livre, vers 1482-1483, tempera sur bois, Milan, Museo Poldi Pezzoli © Museo Poldi Pezzoli – fotodarte


France | International | Mémoire des familles, généalogie, héraldique | Entreprises | Management | Lifestyle | Blogs de la rédaction | Divers | Native Advertising | Juris | Art & Culture | Prospective | Immobilier, Achats et Ethique des affaires | Intelligence et sécurité économique - "Les carnets de Vauban"



Les entretiens du JDE

Tarek El Kahodi, président de l'ONG LIFE : "L’environnement est un sujet humanitaire quand on parle d’accès à l’eau" (2/2)

Tarek El Kahodi, président de l'ONG LIFE : "Il faut savoir prendre de la hauteur pour être réellement efficace dans des situations d’urgence" (1/2)

Jean-Marie Baron : "Le fils du Gouverneur"

Les irrégularisables

Les régularisables

Aude de Kerros : "L'Art caché enfin dévoilé"

Robert Salmon : « Voyages insolites en contrées spirituelles »

Antoine Arjakovsky : "Pour sortir de la guerre"











Rss
Twitter
Facebook