Des adaptations rendues nécessaires par le contexte
On s’en souvient : un des tout premiers réflexes consécutifs à l’annonce d’un confinement, en mars dernier, a consisté pour les consommateurs à effectuer des stocks de produits de première nécessité (alimentaire, comme les pâtes, le riz, la farine, ou d’hygiène, comme le papier toilette). Comme souvent, la prophétie fut auto-réalisatrice : à craindre la pénurie, on a risqué d’engendrer celle-ci, puisque pendant des jours, des semaines parfois, les rayons concernés par ces produits ont vu leurs stocks baisser de façon considérable, jusqu’à disparaître dans certaines grandes surfaces (1).
S’il est apparu assez rapidement que les difficultés à se fournir en nourriture et autres produits de première nécessité relevait plutôt du fantasme que de la réalité, les contraintes pesant sur la mobilité n’en étaient pas moins indéniables. Dès lors, opter pour un service « clic-and-collect » ou autre « drive » permettait aux consommateurs d’effectuer leurs courses depuis chez eux, puis de limiter les interactions sociales avec les autres clients et les vendeurs dans les magasins, en venant simplement récupérer leur commande, déjà préparée. Les magasins de bricolage tels Leroy Merlin ou Brico Dépôt, dont certains produits sont considérés de « première nécessité », ont très tôt misé sur cette méthode. Poussées à s’adapter également, on recensait au 5 Novembre environ 1400 librairies, soit près de la moitié des espaces de vente de livres du territoire, s’étant converties au « clic-and-collect », alors même qu’elles n’avaient, pour la plupart, jamais pensé opter pour ce service.
La livraison à domicile a été elle aussi singulièrement dynamisée et repensée par les grandes surfaces comme Carrefour. Les restaurants, par ailleurs, ont pu par ce biais maintenir une activité minimale, dont Deliveroo assure qu’elle participe tout autant à les sauver de la faillite que les aides de l’État (2). Uber Eats et les autres plateformes de livraison de repas à domicile ont, en tous les cas, séduit nombre de nouveaux consommateurs qui, probablement, continueront de commander leurs mets préférés par ce biais une fois le confinement passé (3).
Des résultats inégaux
Pour autant, nombre de restaurateurs n’étaient pas préparés à la vente à emporter (4). De même, le « clic-and-collect » ne saurait suffire à compenser les pertes des commerces spécialisés. D’après l’Alliance des Commerces Spécialisés et PROCOS (Conférence de presse du 27 Novembre 2020), ces derniers ont perdu 80 % de leur chiffre d’affaire depuis le début du second confinement (5). Les grandes surfaces elles-mêmes ne s’y retrouvent pas souvent : d’après Michel-Edouard Leclerc, Président du groupe E. Leclerc, qui s’exprimait le 17 Novembre sur LinkedIn Actualités, « le clic-and-collect représentera 10 à 15% des ventes, on n'est pas adaptés, il faut du personnel derrière aussi."
Plus inquiétant semblait être le cri d’alarme poussé par les médecins généralistes à l’aube du second confinement. Inquiets pour leur santé, pour celle des autres ou celle de leur médecin, ou encore anxieux de saturer les cabinets de consultation, les Français ont en effet renoncé, pour une très grande majorité d’entre eux, à se soigner et se faire soigner, avec des conséquences souvent graves, parfois dramatiques, pour leur santé. Même le service Docariv, innovation lyonnaise de service de médecins d’urgence à domicile mis en place en 2018 afin de désengorger les urgences, a enregistré une baisse de 40 % du nombre de ses consultations pendant le confinement, baisse presque similaire à celle remarquée par leurs confrères en cabinets. Ce « cri d’alarme », pourtant, semble ignorer une réalité très instructive pour les commerces et la distribution, puisqu’il ne tient pas compte des chiffres faramineux de l’augmentation des consultations en ligne, auprès des médecins généralistes comme des psychologues, ou encore des psychiatres.
Dès lors, il semblerait que ce soit aux médecins de repenser leurs modèles et de s’orienter vers une forme de fonctionnement hybride. Les professionnels de santé les plus délaissés pendant les périodes de confinement sont sans doute ceux qui, comme les restaurateurs ou libraires se trouvant dans la même situation, ont tardé et tardent encore à mettre en place des solutions alternatives plus adaptées aux périodes incertaines, fluctuantes, mais aussi à la modification et à la diversification des comportements des Français.
Le même parallèle pourrait être établi avec le télétravail. Si les Français étaient au moins 5 millions à travailler depuis chez eux lors du premier confinement, ils ne sont plus qu’1,8 million à l’occasion du second confinement (6). Le travail à distance n’est cependant plus seulement préconisé, il est théoriquement obligatoire toutes les fois qu’il est possible. Ce qui était donc « possible » au mois d’Avril dernier ne semble plus l’être aujourd’hui pour 3,2 millions de Français... signe d’une inadaptation de l’entreprise, et/ou de ses salariés, à ce fonctionnement que la numérisation des process a pourtant considérablement favorisé.
Vers des modèles de fonctionnement hybrides
Ce qui semble se dessiner, c’est un besoin accru des commerçants, des restaurateurs, des prestataires de services et des employeurs de procurer des solutions diverses aux consommateurs et aux salariés, selon leurs besoins, leurs envies et les nouveaux modes de vie auxquels ils s’adaptent et s’habituent. Bien avant la pandémie, la coopérative Optic 2000 avait par exemple mis en place un système d’« optique à domicile », grâce auquel l’opticien se déplace chez le particulier, soit que celui-ci ne puisse pas ou qu’il ne souhaite pas se déplacer. Pendant le second confinement, ses clients peuvent donc alternativement se rendre dans les magasins, restés ouverts, ou convenir d’un rendez-vous à domicile avec leur opticien, sur un simple appel. Comme l’explique la direction de la coopérative Optic 2000, « le confinement n’a pas inventé l’isolement, le besoin ou même l’envie de rester chez soi, il a simplement accentué le phénomène. » Et, même si les Français ne vivent pas le confinement de gaieté de cœur, « il faut reconnaître que cette période a démontré certains avantages des services à domicile, et que beaucoup d’entre nous y prennent goût ». La population vieillissante, le soin de plus en plus grand apporté aux personnes à mobilité réduite ou géographiquement isolées, semble aller dans le sens de cette opinion. Pour autant, « bon nombre de clients apprécient toujours de se rendre en boutique et c’est une possibilité que nous ne souhaitons pas leur enlever », complète Optic 2000.
Les entreprises de livraison de repas à domicile pour les seniors, telles Les Menus Services, qui voient la demande augmenter sans cesse ces temps-ci, semblent confirmer cette vision (7). Par-delà le service alimentaire, les seniors paraissent d’ailleurs apprécier de « discuter » un moment, de ressentir un « lien social » sans avoir besoin de sortir, comme d’autres catégories de la population apprécient de flâner dans les magasins ou de se rendre à un drive, comme certains salariés aiment rester chez eux certains jours ou se rendre à leur entreprise, comme on peut apprécier une pizza livrée et dévorée dans son canapé à une sortie au restaurant – ou inversement. Il y a fort à parier que dans bien des secteurs commerciaux et de distribution, l’hybridation des moyens offerts au client sera la clef de l’adaptation des entreprises. Les services de santé, révélateurs dans une certaine mesure de ces évolutions, devront sans doute suivre leur exemple ; à plus forte raison dans un monde qui, à en croire l’ONU, sera sujet à des pandémies de plus en plus fréquentes.
(1) https://www.lefigaro.fr/conso/pates-farine-papier-toilette-les-ressorts-psychologiques-des-achats-de-panique-20200312
(2) https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-livraison-de-repas-a-domicile-a-t-elle-vraiment-permis-de-proteger-38-000-emplois-20201029
(3) https://www.lavoixdunord.fr/853237/article/2020-08-18/applications-de-livraison-de-repas-domicile-gagnants-du-covid
(4) https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/face-au-reconfinement-les-restaurants-s-organisent-pour-la-vente-a-emporter-1603982716
(5) https://www.linkedin.com/company/procos/
(6) https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/vie-entreprise/confinement-detourne-ces-salaries-sont-obliges-daller-au-bureau-alors-quils-pourraient-teletravailler-1261620
(7) https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/services-a-la-personne-et-aide-a-l-enfance/confinement-le-boom-de-la-livraison-de-repas-a-domicile-pour-les-seniors_4166823.html
On s’en souvient : un des tout premiers réflexes consécutifs à l’annonce d’un confinement, en mars dernier, a consisté pour les consommateurs à effectuer des stocks de produits de première nécessité (alimentaire, comme les pâtes, le riz, la farine, ou d’hygiène, comme le papier toilette). Comme souvent, la prophétie fut auto-réalisatrice : à craindre la pénurie, on a risqué d’engendrer celle-ci, puisque pendant des jours, des semaines parfois, les rayons concernés par ces produits ont vu leurs stocks baisser de façon considérable, jusqu’à disparaître dans certaines grandes surfaces (1).
S’il est apparu assez rapidement que les difficultés à se fournir en nourriture et autres produits de première nécessité relevait plutôt du fantasme que de la réalité, les contraintes pesant sur la mobilité n’en étaient pas moins indéniables. Dès lors, opter pour un service « clic-and-collect » ou autre « drive » permettait aux consommateurs d’effectuer leurs courses depuis chez eux, puis de limiter les interactions sociales avec les autres clients et les vendeurs dans les magasins, en venant simplement récupérer leur commande, déjà préparée. Les magasins de bricolage tels Leroy Merlin ou Brico Dépôt, dont certains produits sont considérés de « première nécessité », ont très tôt misé sur cette méthode. Poussées à s’adapter également, on recensait au 5 Novembre environ 1400 librairies, soit près de la moitié des espaces de vente de livres du territoire, s’étant converties au « clic-and-collect », alors même qu’elles n’avaient, pour la plupart, jamais pensé opter pour ce service.
La livraison à domicile a été elle aussi singulièrement dynamisée et repensée par les grandes surfaces comme Carrefour. Les restaurants, par ailleurs, ont pu par ce biais maintenir une activité minimale, dont Deliveroo assure qu’elle participe tout autant à les sauver de la faillite que les aides de l’État (2). Uber Eats et les autres plateformes de livraison de repas à domicile ont, en tous les cas, séduit nombre de nouveaux consommateurs qui, probablement, continueront de commander leurs mets préférés par ce biais une fois le confinement passé (3).
Des résultats inégaux
Pour autant, nombre de restaurateurs n’étaient pas préparés à la vente à emporter (4). De même, le « clic-and-collect » ne saurait suffire à compenser les pertes des commerces spécialisés. D’après l’Alliance des Commerces Spécialisés et PROCOS (Conférence de presse du 27 Novembre 2020), ces derniers ont perdu 80 % de leur chiffre d’affaire depuis le début du second confinement (5). Les grandes surfaces elles-mêmes ne s’y retrouvent pas souvent : d’après Michel-Edouard Leclerc, Président du groupe E. Leclerc, qui s’exprimait le 17 Novembre sur LinkedIn Actualités, « le clic-and-collect représentera 10 à 15% des ventes, on n'est pas adaptés, il faut du personnel derrière aussi."
Plus inquiétant semblait être le cri d’alarme poussé par les médecins généralistes à l’aube du second confinement. Inquiets pour leur santé, pour celle des autres ou celle de leur médecin, ou encore anxieux de saturer les cabinets de consultation, les Français ont en effet renoncé, pour une très grande majorité d’entre eux, à se soigner et se faire soigner, avec des conséquences souvent graves, parfois dramatiques, pour leur santé. Même le service Docariv, innovation lyonnaise de service de médecins d’urgence à domicile mis en place en 2018 afin de désengorger les urgences, a enregistré une baisse de 40 % du nombre de ses consultations pendant le confinement, baisse presque similaire à celle remarquée par leurs confrères en cabinets. Ce « cri d’alarme », pourtant, semble ignorer une réalité très instructive pour les commerces et la distribution, puisqu’il ne tient pas compte des chiffres faramineux de l’augmentation des consultations en ligne, auprès des médecins généralistes comme des psychologues, ou encore des psychiatres.
Dès lors, il semblerait que ce soit aux médecins de repenser leurs modèles et de s’orienter vers une forme de fonctionnement hybride. Les professionnels de santé les plus délaissés pendant les périodes de confinement sont sans doute ceux qui, comme les restaurateurs ou libraires se trouvant dans la même situation, ont tardé et tardent encore à mettre en place des solutions alternatives plus adaptées aux périodes incertaines, fluctuantes, mais aussi à la modification et à la diversification des comportements des Français.
Le même parallèle pourrait être établi avec le télétravail. Si les Français étaient au moins 5 millions à travailler depuis chez eux lors du premier confinement, ils ne sont plus qu’1,8 million à l’occasion du second confinement (6). Le travail à distance n’est cependant plus seulement préconisé, il est théoriquement obligatoire toutes les fois qu’il est possible. Ce qui était donc « possible » au mois d’Avril dernier ne semble plus l’être aujourd’hui pour 3,2 millions de Français... signe d’une inadaptation de l’entreprise, et/ou de ses salariés, à ce fonctionnement que la numérisation des process a pourtant considérablement favorisé.
Vers des modèles de fonctionnement hybrides
Ce qui semble se dessiner, c’est un besoin accru des commerçants, des restaurateurs, des prestataires de services et des employeurs de procurer des solutions diverses aux consommateurs et aux salariés, selon leurs besoins, leurs envies et les nouveaux modes de vie auxquels ils s’adaptent et s’habituent. Bien avant la pandémie, la coopérative Optic 2000 avait par exemple mis en place un système d’« optique à domicile », grâce auquel l’opticien se déplace chez le particulier, soit que celui-ci ne puisse pas ou qu’il ne souhaite pas se déplacer. Pendant le second confinement, ses clients peuvent donc alternativement se rendre dans les magasins, restés ouverts, ou convenir d’un rendez-vous à domicile avec leur opticien, sur un simple appel. Comme l’explique la direction de la coopérative Optic 2000, « le confinement n’a pas inventé l’isolement, le besoin ou même l’envie de rester chez soi, il a simplement accentué le phénomène. » Et, même si les Français ne vivent pas le confinement de gaieté de cœur, « il faut reconnaître que cette période a démontré certains avantages des services à domicile, et que beaucoup d’entre nous y prennent goût ». La population vieillissante, le soin de plus en plus grand apporté aux personnes à mobilité réduite ou géographiquement isolées, semble aller dans le sens de cette opinion. Pour autant, « bon nombre de clients apprécient toujours de se rendre en boutique et c’est une possibilité que nous ne souhaitons pas leur enlever », complète Optic 2000.
Les entreprises de livraison de repas à domicile pour les seniors, telles Les Menus Services, qui voient la demande augmenter sans cesse ces temps-ci, semblent confirmer cette vision (7). Par-delà le service alimentaire, les seniors paraissent d’ailleurs apprécier de « discuter » un moment, de ressentir un « lien social » sans avoir besoin de sortir, comme d’autres catégories de la population apprécient de flâner dans les magasins ou de se rendre à un drive, comme certains salariés aiment rester chez eux certains jours ou se rendre à leur entreprise, comme on peut apprécier une pizza livrée et dévorée dans son canapé à une sortie au restaurant – ou inversement. Il y a fort à parier que dans bien des secteurs commerciaux et de distribution, l’hybridation des moyens offerts au client sera la clef de l’adaptation des entreprises. Les services de santé, révélateurs dans une certaine mesure de ces évolutions, devront sans doute suivre leur exemple ; à plus forte raison dans un monde qui, à en croire l’ONU, sera sujet à des pandémies de plus en plus fréquentes.
(1) https://www.lefigaro.fr/conso/pates-farine-papier-toilette-les-ressorts-psychologiques-des-achats-de-panique-20200312
(2) https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-livraison-de-repas-a-domicile-a-t-elle-vraiment-permis-de-proteger-38-000-emplois-20201029
(3) https://www.lavoixdunord.fr/853237/article/2020-08-18/applications-de-livraison-de-repas-domicile-gagnants-du-covid
(4) https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/face-au-reconfinement-les-restaurants-s-organisent-pour-la-vente-a-emporter-1603982716
(5) https://www.linkedin.com/company/procos/
(6) https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/vie-entreprise/confinement-detourne-ces-salaries-sont-obliges-daller-au-bureau-alors-quils-pourraient-teletravailler-1261620
(7) https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/services-a-la-personne-et-aide-a-l-enfance/confinement-le-boom-de-la-livraison-de-repas-a-domicile-pour-les-seniors_4166823.html