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Contrôler la vérité dans une société est-ce contrôler le pouvoir?





Le 9 Juillet 2021, par Lauria Zenou

Ancien journaliste et professeur au sein de l'Institut Catholique de Rennes, Gaël Chesné est l'auteur de l'Ouvrage "Le Contrôle de la Vérité" paru chez VA Editions. Contrôler la vérité serait un véritable enjeu de pouvoir mais il est complexe et dangereux à manier. Partant de son analyse philosophique mais aussi historique de ce "pâle objet du désir", Gaël Chesné a accepté de décrypter avec nous cet outil de contrôle.


Cette problématique vous intéresse? Ecoutez le Podcast VA-DE MECUM sur l'ouvrage de Gaël Chesné


[Louis XV ou Akhenaton, les dirigeants se doivent de contrôler leur environnement s’ils veulent rester au pouvoir. Avoir la main sur la mystique dominante, cela n'a rien d'évidant mais cette donnée est essentielle à leur prospérité. 

La vérité peut perdurer jusqu’à ce que d’autres vérités, d’autres mystiques, d’autres fictions levées par d’autres forces, l’interrompent. Et une vérité succède à une autre, comme une mystique succède à une autre et une force à une autre.]


Dans votre ouvrage « Le Contrôle de la Vérité », vous vous servez d’un grand nombre d’anecdotes et de faits historiques pour illustrer vos propos. Le contrôle des vérités a-t-il toujours été d’actualité ?

C’est une constante historique. Tout pouvoir cherche à contrôler la vérité, à conformer le réel selon ses interprétations, ses idées. Au XVIIe siècle, Richelieu écrivait directement dans la Gazette, le premier périodique français, pour justifier la politique de Louis XIII. Au XIXe siècle, Napoléon censurait les journaux rapportant des nouvelles qui ne concourraient pas à sa gloire personnelle. La république n’y fait pas exception. C’est le même objet de désir que nous retrouvons, par exemple, au travers de la loi de lutte contre la manipulation de l’information, dite loi contre les fausses nouvelles, du 22 décembre 2018, par laquelle l’État met en moyens la justice pour décider si une information est juste ou ne l’est pas, si une enquête est valide ou ne l’est pas, si un média est fiable ou ne l’est pas, si la vérité est ou n’est pas.

Les faits étant soumis aux interprétations, pensez-vous qu’il puisse exister un sujet autour duquel chacun pourrait percevoir la même vérité ?

Bien sûr. Songeons par exemple à la perception en France de l’identité des vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale. D’après l’enquête dirigée par l’Ifop, en 1945, les sondés répondirent à 57% l’URSS et à 20% les États-Unis ; en 2004, ils répondirent à 58% les États-Unis et à 20% l’URSS. En soixante-neuf ans, l’opinion s’était inversée : ce qu’elle tenait pour vrai en 1945 ne l’était plus en 2004. Les vingt millions de morts russes avaient été dépassés par les trois cent mille morts américains ; les batailles de Stalingrad, Moscou et Leningrad avaient été dépassées par le débarquement de Normandie. En soixante-neuf ans, la machine de guerre hollywoodienne avait réécrit une nouvelle vérité. Napoléon disait : « l’histoire est un conte sur lequel tout le monde s’accorde ». Voilà un conte autour duquel chacun s’entend aujourd’hui.

Pensez-vous que le vrai et le réel doivent être distingués ?

Oui, je le pense, car ils sont trop souvent confondus. La réalité désigne « ce qui est ». Tandis que la vérité correspond à « ce qui est dit de ce qui est ». Il est impératif d’entendre cette distinction, car elle nous dit d’emblée que la vérité est une construction. C’est le mot célèbre de Nietzsche : « il n’y a pas de vérité [au sens, il n’y a pas LA vérité], il n’y a que des interprétations ». Le contrôle de la vérité correspond donc au contrôle du discours : de ce qui est vrai et de ce qui ne l’est pas, de ce que l’on peut dire et de ce que l’on ne peut pas dire.

Contrôler la vérité dans une société est-ce la mener à sa perte ou est-ce chercher à la préserver ?

Le contrôle de la vérité est, sur un plan philosophique et historique, une chose tout à fait logique, un objet du désir parfaitement naturel. Est-ce à dire que c’est un péril ou une chance ? C’est une question de point de vue. La logique étant toujours la persévérance. Certes Richelieu et Napoléon étaient dans une logique de contrôle, mais ils avaient fait de la France une puissance de premier plan. Il me semble que l’on peut parler d’effet néfaste dès lors que, en démocratie notamment, l’on réduit la possibilité du doute, de la contestation, dès lors que l’on la pluralité des voix et des réflexions, qu’elles soient pertinentes ou aberrantes, dès lors que l’on empêche la connaissance et la compréhension du réel.



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