Journal de l'économie

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D’Athènes à Rome, la monnaie, vecteur de progrès (2/5)

Notre série sur l'histoire de la monnaie





Le 21 Octobre 2014, par

(Partenariat éditorial)


Crédit : JDE / Ingimage
Crédit : JDE / Ingimage
Preuve que l’invention de la monnaie s’inscrit dans un mouvement plus général de progrès, c’est au sein de la démocratie athénienne qu’est élaboré le premier système monétaire complet reposant sur la création et la diffusion de pièces de monnaies. Les historiens grecs eux-mêmes en attribuent toutefois la paternité aux Lydiens, un peuple situé en Asie mineure sur le territoire de l’actuelle Turquie.
 
Au VIIe siècle avant Jésus-Christ, conscients de l’attrait croissant pour l’or et l’argent utilisés par les marchands pour régler leurs transactions, les rois lydiens ont vite compris le profit qu’ils pourraient tirer de l’électrum, un alliage naturel d’or et d’argent, présent en grande quantité dans leur sol et leurs cours d’eau. Ils sont ainsi les premiers à fondre des lingots de petites tailles garantis par un sceau et qui deviendront progressivement, pour des raisons pratiques, des pièces de monnaies.
 
Aujourd’hui encore, le rôle prépondérant joué par les Lydiens dans l’histoire de la monnaie est profondément inscrit dans notre imaginaire collectif comme en témoignent les expressions populaires « toucher le pactole » ou « riche comme Crésus ». Le Pactole est en effet le fleuve dans le limon duquel les Lydiens prélevaient l’électrum, tandis que Crésus est le premier roi lydien à être parvenu à séparer l’or et l’argent présent dans cet alliage, permettant ainsi la naissance d’un système monétaire bimétallique.
 
Ce sont les marchands lydiens qui contribuèrent à répandre l’usage de la monnaie dans le monde. La rapidité d’adoption des pièces de monnaies par Athènes s’explique notamment par l’importance vitale du commerce pour la cité. Comme l’écrit Philippe Simmonot, « il fallait qu'Athènes elle-même exporte notamment ses céramiques décorées pour payer le blé qu'elle importait en grande quantité pour se nourrir. Au IVe siècle, ces importations représentaient régulièrement la moitié du grain consommé dans la cité » (1).
 
Toutefois un plus vaste faisceau de considérations explique le succès de la monnaie. « La propagation en Grèce de la frappe de pièces de monnaie ne s’explique pas seulement selon des motivations de profit, de commodité relative, ou d’influence du commerce étranger […]. Dès le VIe siècle, la naissance du droit, des poids et mesures, et de la démocratie en Grèce ne sont pas neutres par rapport à l’extension rapide de l’usage des pièces d’argent », explique Vincent Lannoye (2).
 
Si les historiens et les philosophes grecs tels Hérodote ou Platon expriment, comme on le sait, un certain mépris pour l’argent et mettent en garde contre le péril de la cupidité, il n’en reste pas moins que « l’usage de la pièce de monnaie était adéquat pour accompagner la transition d’une économie de redistribution royale vers une économie de marché démocratique ». Preuve de ce lien, « numisma », le terme grec pour désigner la monnaie provient de « nomos » utilisé pour désigner les règles et les lois – ce qui explique le terme actuel de « numismatique ». État de droit, libertés et monnaie vont donc de concert. Et s’il fallait encore une preuve pour étayer de ce constat, elle est donnée par Sparte : l’autoritaire et militariste cité a en effet été l’une des dernières du monde grec à recourir aux pièces de monnaie.
 
C’est cependant l’adoption du système monétaire grec par les Romains qui offrira à l’usage des pièces de monnaies un essor décisif. Ce mouvement n’est pas surprenant, Rome s’inspirant en de nombreux domaines de la Grèce. En contact depuis ses débuts avec les commerçants grecs, Rome imite aussi la Grèce en matière monétaire. Preuve de l’importance accordée d’emblée à cette activité, le premier atelier de fabrication de pièces de monnaie a été installé, au IIIe siècle avant JC, sur le Capitole à proximité du temple de Junon Moneta. Les mots modernes monnaie, moneda, money proviennent de cette localisation originelle.
 
La formidable expansion de l’empire romain permettra à la monnaie romaine de devenir durant plusieurs siècles la monnaie commune du monde occidental et méditerranéen. Ici encore l’étymologie en porte la trace, le « dinar » arabe actuel trouvant sa dénomination dans le dinarus romain qui est également à l’origine de notre « denier ». Dans les immenses territoires conquis par Rome, les pièces de monnaies servent aussi à asseoir le prestige du pouvoir impérial. Sur les pièces romaines, le côté face ou « avers » représente presque toujours l’effigie de l’empereur en fonction à l’époque de la frappe de la monnaie tandis que le côté pile ou « revers » évoque les victoires militaires ou les magnificences de l’Empire.
 
Le mouvement est double : la monnaie participe du prestige de l’Empire tandis que le prestige de l’Empire renforce la confiance dans sa monnaie. Si bien que c’est sous l’Empire romain que sont mises en circulation de grandes quantités de pièces de monnaie dépourvues de valeur intrinsèque puisque ne comprenant pas d’or ou d’argent : les pièces de « billon ». Ainsi du célèbre sesterce qui, après avoir été fabriqué en argent l’a été en simple laiton. Les pièces de billon peuvent être considérées comme les ancêtres de nos pièces de monnaie actuelles. En effet, alors que les pièces en or et en argent représentent encore peu ou prou des « bien intermédiaires », en raison de leur valeur intrinsèque, les pièces de billons n’ont qu’une valeur faciale.
 
L’Antiquité est aussi la période durant laquelle s’engage un combat jamais éteint contre les faux-monnayeurs qui risquent de mettre en péril la confiance sans laquelle la monnaie ne peut remplir son rôle économique et social. À travers des phénomènes comme l’inflation ou la fausse-monnaie, l’Antiquité est aussi le moment historique au cours duquel les hommes découvrent que la monnaie n’est pas un bien comme un autre et que si elle ne doit pas être vénérée, elle mérite, en revanche, une attention particulière. En effet, autant une bonne monnaie est facteur de stabilité et de prospérité, une monnaie altérée entraîne nécessairement de graves troubles économiques, politiques et sociaux.
 
Reste que, comme le note Vincent Lannoye, malgré ces inévitables aléas, dans l’Antiquité, « la monnaie a plutôt favorisé le commerce des biens et la diffusion des techniques qui a contribué à l’éclosion de la civilisation jusqu’à la floraison de la Pax Romana ». Une bonne monnaie suscitant la confiance est un puissant vecteur de progrès.
 
 
(1) Vingt et un siècles d'économie, par Philippe Simonnot, Les Belles Lettres, 2002, 200 p.
(2) L'Histoire de la Monnaie pour Comprendre l'Économie, par Vincent Lannoye, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2011, 452 p.


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