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David Hury : « Raconter l’envers du décor »





Le 18 Juillet 2017, par La Rédaction

Journaliste, photographe et auteur, David Hury publie cette année son sixième livre et son premier roman, Pentes Douces, aux éditions Riveneuve. Une occasion pour lui de revenir sur deux décennies passées au Proche-Orient et sur le travail d’écriture.


David Hury est journaliste, photographe et auteur. Il vient de publier "Pentes Douces", aux éditions Riveneuve.
David Hury est journaliste, photographe et auteur. Il vient de publier "Pentes Douces", aux éditions Riveneuve.

Vous vous êtes réinstallé à Paris après dix-huit ans passés au Proche-Orient*. En quoi cela a-t-il influencé votre roman Pentes Douces ?

En quittant Beyrouth, je m´étais promis de ne plus écrire sur la région, c’est raté ! Dans Pentes Douces, l’histoire du Liban est omniprésente car elle constitue le pourquoi de la disparition de l’héroïne. L’actualité du monde arabe est aussi à chaque coin de chapitre. Je porte en effet un regard très critique sur la société orientale en général et sur ce que la presse occidentale a trop vite appelé les « printemps arabes ». J’ai moi-même longtemps fait partie de la petite armée de journalistes couvrant l’actualité de la région, je sais comment l’information est fabriquée. Pour Pentes Douces, j’ai tenté d’être plus vrai, sans langue de bois.

Le récit sonne vrai justement. Votre roman est-il en partie autobiographique ?

Pour une petite partie, oui, car j’ai utilisé et transformé des choses qui me sont arrivées. Que ce soit au cours de reportages ou de discussions, ou dans la vie quotidienne. Par exemple, il y a une scène où le narrateur boit son café le matin en discutant avec un ouvrier syrien, à Beyrouth. Cette scène, c’est mot pour mot la discussion que j’ai eu avec Abed, le peintre en bâtiment qui a travaillé chez moi. Il vivait loin de sa famille, de sa femme et de ses filles, voilées de force. Elles étaient restées du côté de Deir ez-Zor, à l’est de la Syrie, vers la frontière irakienne. Lui ne pouvait plus rentrer en Syrie, sa famille était prisonnière de leur région d’origine, à cause des combats. Des familles séparées comme celle-ci, il y en a beaucoup en Syrie. Lui me disait autant détester Daesh que le régime de Bachar el-Assad. Il était très amer, insistant même pour dire que le monde arabe était devenu la poubelle de l’humanité. Ce sont ses propres mots. Ce n’est pas politiquement correct d’écrire ça, mais beaucoup de citoyens du monde arabe pensent la même chose et ont une impression de gâchis vis-à-vis de leur propre histoire.

Et d’un point de vue plus personnel ?

Mis à part les anecdotes politiques ou religieuses, je me suis inspiré de personnes existantes pour façonner mes personnages, et différents passages de l’histoire. L’histoire d’amour par exemple. J’avais envie d’en écrire une, pour la première fois de ma vie. 

Le narrateur poursuit donc une Libanaise nommée Joana. Cette Joana existe dans la vraie vie ?

Joana est un personnage de fiction. Son histoire et ses actions sont sorties de mon imagination. Mais comme pour tout personnage, je me suis nourri d’une personne bien réelle, en la visualisant. Et comme Joana, c’est une femme vraiment hors du commun.

Vous parliez de l’armée de journalistes dont vous faisiez partie. Comment vit-on le Proche-Orient sur le terrain ?

Comme pour le peintre syrien, je vais vous répondre par l’une des scènes racontées par le narrateur. Celle du regard de cette fillette, dans un camp de fortune en plein milieu de la plaine de la Bekaa au Liban. Je faisais un reportage sur les réfugiés, je marchais dans ce camp de tentes plantées dans un champ. Une petite fille m’a fixé du regard. J’ai monté mon appareil à hauteur d’œil, je l’ai photographiée. Elle n’a pas bougé, et moi, je me suis senti très bizarre, un peu coupable. Son regard semblait me dire que, quoi que je fasse, quoi que j’écrive dans les journaux, sa vie ne changerait pas, la mienne non plus. J’ai eu envie d’utiliser cette scène pour raconter l’envers du décor, raconter nos interrogations en tant que journalistes sur le terrain, sur la façon de témoigner, sur l’utilité et/ou la futilité de notre métier. Est-ce que mes articles à l’époque ont changé quelque chose : évidemment que non.

La situation en Syrie vous a marqué ?

Comme cela a marqué les pays d’accueil des réfugiés. Entre 2012 et 2014, j’ai fait de nombreux reportages sur les réfugiés syriens présents au Liban. Selon des chiffres officieux, ils ont été jusqu’à deux millions pour un pays de trois millions et demi d’habitants. Imaginez : c’est comme s’il y avait eu 35 millions de réfugiés qui se seraient installés en France ! J’avoue que je suis estomaqué par ces polémiques franco-françaises, sachant que le gouvernement a choisi d’accueillir 24000 personnes. Une goutte d’eau dans l’océan ! Et j’entends encore certaines personnes parler d’invasion ! Soyons sérieux, il faut remettre les choses à leur place. Et ça, je ne me gêne pas pour le faire. Les Français n’ont pas la moindre idée du drame syrien.

L’histoire libanaise est également très présente dans le récit. Sur quoi vous êtes-vous appuyé pour le background de votre héroïne ?

Sans en dire trop ici car cela reste le cœur de l’histoire, j’ai utilisé un élément de l’histoire de la guerre du Liban, dans les années 86-87. J’imagine malheureusement que de nombreux lecteurs libanais – les plus jeunes en tout cas – ne sauront pas de quoi je parle. J’ai longtemps donné des cours à l’université à Beyrouth, et j’ai toujours été frappé par l’ignorance des jeunes sur leur propre histoire. Au Liban, l’histoire contemporaine n’a pas été imprimée noir sur blanc dans les manuels scolaires. L’histoire officielle du pays s’arrête en 1943 avec l’indépendance du pays. Trente ans après ça, le pays a subi quinze ans d’une guerre dite civile, suivis d’une politique de ni vainqueur ni vaincu, et d’une loi d’amnistie catastrophique. Résultat : le pays est resté bloqué dans une faille spatio-temporelle, les leaders d’il y a 30 ou 40 ans sont encore au pouvoir puisqu’ils se sont auto-amnistié. Cette dimension du monde arabe – la non-écriture ou la réécriture de l’histoire – est très importante pour le comprendre. Au Caire par exemple existe un musée célébrant la victoire égyptienne lors la guerre du Kippour en 1973, alors que nos manuels d’histoire parlent d’une victoire d’Israël. Tout est une question de regard et de survie politique des régimes. 

Côté politique, vous n’hésitez pas à être très critique à l’égard du Hezbollah…

C’est mon droit et mon histoire. Là aussi, tout est une question de regard. Au Liban, ce parti est appelé « résistance » par une partie de la population. Or, si je prends un dictionnaire, c’est avant tout une milice, selon la définition de ce mot. Mais si vous dites « milice », vous êtes catalogué comme « collaborateur d’Israël ». C’est absurde, mais c’est comme ça. Dans mon roman, je replace simplement cette entité, à la fois parti politique et milice armée, pour ce qu’elle est : un mystificateur efficace, aujourd’hui au pouvoir à Beyrouth. Par exemple, elle se présente aux yeux du monde arabe comme la seule et unique résistance libanaise face à Israël. Historiquement, c’est faux. Ce sont d’abord les laïcs et les communistes qui se sont opposés militairement à Israël au début des années 80, mais le Hezbollah a réussi à le faire oublier. Moi, je crois profondément à l’importance de l’histoire avec un grand H.

Quittons cet Orient compliqué pour revenir à votre roman. Vous avez choisi une mise en abyme comme principe narratif, l’histoire dans l’histoire. Ne serait-ce pas une solution de facilité ?

Pas vraiment ! Là encore, j’ai choisi de raconter l’envers du décor. Le narrateur écrit lui-même un roman dont l’action est suspendue au sort de la femme qu’il traque. J’ai voulu expliquer comment se passe le procédé d’écriture, même si chaque auteur a ses propres tics, ses propres doutes, sa propre démarche. J’ai raconté la mienne. J’ai raconté l’écriture, puis la sacro-sainte réécriture, cette étape sans limite, sans fin. Heureusement qu’un jour mon éditeur m’a appelé pour me dire « stop, on doit envoyer la maquette à l’imprimerie ! ». Sans cela, je crois que j’y serais encore !
 
*David Hury a, entre autres, été correspondant pour La Croix, Le Soir, Ouest-France et 20 Minutes, basé à Beyrouth.

David Hury, Pentes Douces, Ed. Riveneuve, Paris (252 pages, 22€)
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