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Environnement: le Conseil d’Etat oscille entre audace et timidité en matière environnementale





Le 19 Mars 2024, par Frédéric Rose-Dulcina

Par un arrêt du 16 février 2024, le Conseil d’Etat a estimé qu’il y a urgence à démarrer des travaux permettant de traiter des déchets présentant le plus haut de degré de dangerosité. (CE, 16 février 2024, n°489591, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Cette décision n’est guère surprenante au regard de la jurisprudence du Conseil d’Etat. En effet, historiquement, les Juges du Palais-Royal ont toujours été plus timides en matière environnementale que les juges du fond.


Image PxHere
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Le 27 octobre 2023, le Conseil constitutionnel a jugé que ” le législateur, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement, doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard” (Conseil constitutionnel, décision n° 2023-1066, QPC du 27 octobre 2023). Il avait été saisi le 3 août 2023 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L.542-10-1 du Code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.

Sur ce fondement notamment, par une ordonnance de référé rendue le 7 novembre 2023, le Tribunal administratif de Strasbourg avait suspendu un arrêté du 28 septembre 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin a prolongé, pour une durée illimitée, l’autorisation donnée à la société des Mines de Potasse d’Alsace de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux, non radioactifs, sur le territoire de la commune de Wittelsheim (TA Strasbourg, 7 novembre 2023, n°2307183). Selon le TA, la décision susvisée était en effet susceptible de méconnaître l’article 1er de la Charte de l'environnement, qui dispose que “chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé”, éclairé par le septième alinéa de son préambule, selon lequel “afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins”. Cette ordonnance vient d’être annulée par la décision ici commentée du Conseil d’Etat.
 
Saisie de cette ordonnance, le Conseil d'Etat (CE) vient en effet d’estimer que le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg a commis une erreur de droit en écartant comme inopérante l'argumentation qui tendait, en défense, à justifier de l'urgence s'attachant à l'exécution de la décision en cause. En effet, il appartient au juge des référés de se livrer à une appréciation objective, globale et concrète de la situation d'urgence, tenant compte notamment de l'urgence à exécuter la décision litigieuse au regard des intérêts publics invoqués en défense. Le préfet et la société avaient, afin de justifier de l'urgence à exécuter la décision en cause, invoqué les intérêts publics tenant, d'une part, à la prévention de risques d'atteinte à l'environnement et, d'autre part, à la sécurité des agents chargés de ces travaux. Or, selon le CE, d’une part, les déchets contenant du mercure ainsi que les déchets phytosanitaires contenant du zirame, qui constituaient les déchets présentant le plus haut degré de dangerosité pour la nappe phréatique d'Alsace, ont déjà été extraits du site dans le cadre des opérations dites de déstockage partiel effectuées entre 2014 et 2017.

D'autre part, l'option consistant à procéder à un déstockage intégral des déchets qui demeurent enfouis sur le site, dont au demeurant le bénéfice environnemental n'est pas établi par les différentes études réalisées, ne peut désormais plus être envisagée, la durée nécessaire à une telle opération étant supérieure à la période pendant laquelle ce déstockage pourrait être effectué dans des conditions de sécurité suffisantes pour les personnels chargés d'y procéder, compte tenu du risque d'effondrement à brève échéance des galeries souterraines. Enfin, la décision d'autoriser pour une durée illimitée le stockage des déchets sur le site en cause a été prise sur le fondement de plusieurs expertises récentes concluant de manière convergente que cette solution, qui vise, principalement par la construction de barrières de béton et par le remblayage des puits et des galeries vides, à contenir la remontée vers la nappe phréatique d'eau contaminée par les déchets stockés sur le site, constitue aujourd'hui, en l'état des meilleures techniques disponibles, la plus susceptible de préserver l'environnement des atteintes que ce site de stockage de déchets dangereux pourrait entraîner à court, moyen et long termes. Au vu de ces éléments, le Conseil d’Etat a estimé en conséquence qu’il y a urgence à démarrer les travaux permettant de traiter des déchets présentant le plus haut de degré de dangerosité.

Cette décision des Juges du Palais-Royal est une fois de plus très décevante pour tous les défenseurs de l'environnement mais elle n’est guère surprenante, malgré la consécration ces dernières années, de la nécessité de préserver l'environnement notamment par le juge administratif. Par un arrêt en date du 1er décembre 2023 (CE, 1er décembre 2023, n°467331, n°467370), le Conseil d’Etat a ainsi jugé que le projet de centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue (Cigéo) présente une utilité publique. France Nature Environnement s’était ainsi étonnée du caractère “peu compréhensible” de cet arrêt “au vu du dossier, qui comportait selon elle et les autres requérants (trente-deux associations et trente habitants), “des lacunes importantes en matière d’impacts sur la santé et sur l’environnement”. Pendant longtemps, on l’a déjà écrit ici, la plus Haute Juridiction administrative a souvent été accusée de rendre des arrêts qui n'allaient pas dans le sens d'une meilleure protection de l'environnement. Le Conseil d’Etat n'a en effet consacré le droit de vivre dans un environnement sain et équilibré qu’en septembre 2022 (CE, 20 septembre 2022, n°451129, publié au Lebon), plus de 17 ans après une décision du TA de Châlons-en-Champagne qui avait alors été très commentée car elle avait considéré que “le législateur a nécessairement entendu ériger le droit à l'environnement en liberté fondamentale de valeur constitutionnelle” (TA Châlons-en-Champagne, 29 avril 2005, n°0500828).

Frédéric ROSE-DULCINA
Spécialiste en droit public et en RSE
DEA Droit public des affaires
DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
LEX SQUARED AVOCATS
 


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