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Examen de la proposition de loi sénatoriale portant création d’un programme national d’intelligence économique





Le 29 Juin 2021, par Olivier de Maison Rouge

Madame la Sénatrice Marie-Noëlle LIENEMANN, a été à l’origine d’une proposition de loi (PPL) portant création d’un programme national d’intelligence économique, enregistrée le 25 mars 2021 à la Présidence du Sénat. Ce faisant, elle remet clairement l’intelligence économique sur le devant de la scène, longtemps éclipsée par les seules questions de sécurité économique.


Examen de la proposition de loi sénatoriale portant création d’un programme national d’intelligence économique
De mémoire de praticien, aucune initiative parlementaire de la sorte n’avait encore vu le jour, ce qui déjà traduit à ce stade une avancée significative sur le terrain du droit de l’intelligence économique, à l’exception de la loi sur le secret des affaires, destinée à protéger les informations stratégiques, dont nous avons été une cheville ouvrière.
 
À travers cette dernière tentative, c’est une véritable politique publique d’intelligence économique qui s’en trouverait instituée, renforçant ainsi les précédents travaux en la matière de Bernard Carayon, ancien député et actuel maire de Lavaur (Tarn).
 
Nous ne pouvons que nous satisfaire d’un tel élan et nous associer au débat ce qui s’est d’ores et déjà traduit par une première audition.
 
Il ressort de ces échanges préliminaires un dialogue sincèrement constructif avec Madame la Sénatrice. Au-delà de l’ancrage politique de cette dernière, le texte se veut réellement transpartisan et devrait associer toutes les couleurs politiques et forces vives libres et de bonne foi.
 
Le texte aurait d’ailleurs pu se trouver dans le droit fil du rapport du député Raphaël Gauvain sur la souveraineté juridique de juin 2019, s’il n’avait pas été cristallisé à tort par la question du legal privilege dont l’arbre aura malheureusement caché la forêt, à savoir la réforme de la loi de blocage.
 
Une définition légale et opposable
 
Au titre des suggestions ressorties de nos échanges avec l’ancienne ministre du Logement, un premier point s’impose : la nécessité d’inscrire dans la Loi la définition de l’intelligence économique, longtemps méconnue ou mal interprétée par de nombreux acteurs professionnels, faute d’étalon opposable.
 
À cet égard, l’exposé des motifs mentionne :
 
« L’intelligence économique est une approche des affaires fondées sur le recueil et la protection des informations indispensables au succès des entreprises. Elle repose sur une veille concurrentielle constante dans les domaines susceptibles d’impacter les résultats de l’entreprise (marketing, juridique, technique, technologique, normes…) ; sur le recoupement d’informations accessibles en source ouverte croisé avec des informations sensibles ; enfin sur leur analyse afin de permettre au décideur de prendre les meilleures décisions pour son organisation ».
 
Nous ne contredirons pas cette conception à laquelle nous adhérons sans réserve.
 
Elle rejoint en cela les termes du Rapport MARTRE (1994), où l’intelligence économique se trouve définie comme :
 
« l’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l’entreprise, dans les meilleures conditions de qualité, de délais et de coûts. L’information utile est celle dont ont besoin les différents niveaux de décision  de l’entreprise ou de la collectivité, pour élaborer et mettre en œuvre de façon cohérente la stratégie et les tactiques nécessaires à l’atteinte des objectifs définis par l’entreprise dans le but d’améliorer sa position dans son environnement concurrentiel. Ces actions, au sein de l’entreprise, s’ordonnent autour d’un cycle ininterrompu, générateur d’une vision partagée des objectifs de l’entreprise. »
 
L’approche n’est donc pas contestable, elle reste cependant à se trouver juridiquement traduite.
 
Dans un souci de clarification et d’harmonisation toujours nécessaires en droit il conviendra dès lors d’en reprendre les termes de manière solennelle dans la Loi afin de sanctuariser ce concept, et avancer une seule et même définition opposable à tous les acteurs publics qu’ils cessent enfin d’évoquer un savoir-faire prétendument « gazeux » comme parfois déclaré dans certaines sphères de l’Etat.
 
Pour ce faire, la matière pourrait se trouver consacrée sous la définition suivante tirée du décret n° 2013-759 du 22 août 2013 - aujourd’hui abrogé - comme suit :
« L’intelligence économique vise à collecter, analyser, diffuser et protéger l’information économique stratégique. Outil d’aide à la décision, au profit de l’ensemble des acteurs économiques (entreprises, établissements de recherche, ministères, régions), elle se décline en plusieurs axes :
– Un volet pédagogique, permettant de sensibiliser les acteurs concernés sur les objectifs et les méthodes de l’intelligence économique ;
– Un volet anticipation et accompagnement des évolutions, notamment par la veille stratégique, afin de permettre à ces acteurs de prendre les meilleures décisions ;
– Un volet sécurité économique, à travers la prévention des risques, notamment immatériels (savoir-faire, réputation, etc.) ;
– Un volet travail d’influence de long terme sur l’environnement économique, comme par exemple les régulations internationales de toutes natures, techniques ou de gouvernance, afin de créer un environnement favorable aux orientations choisies »[1].
 
Intelligence économique, stratégique et juridique
 
Par ailleurs, une autre disposition de la PPL doit attirer tout particulièrement l’attention du juriste.
 
En effet, l’article 8 de la proposition de loi précise :
 
Il est mis à disposition des acteurs privés ou publics des outils qui leur permettront de connaître l’environnement juridique international dont ils sont tributaires afin de connaître les risques et les opportunités potentielles, d’agir sur leurs évolutions et de disposer des informations et des droits nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre les instruments juridiques aptes à réaliser leurs objectifs stratégiques.
 
Selon l’auteur de la PPL cette approche relève de l’intelligence juridique (article 2), de manière à prétendre assurer une veille juridique active, notamment en regard des textes et règlementations à portée extraterritoriale et la traduction juridique des risques associés.
 
Nous nous félicitons bien évidemment d’une telle affirmation que nous avons longtemps cherché à développer et instiller dans tous les corps privés et publics. Nous n’avions pas ménagé notre peine pour alerter sur les questions d’extraterritorialité.
 
Plus précisément, pour le Parlementaire : « ce que nous considérons comme intelligence juridique [est] une veille juridique sur le droit positif et surtout une veille sur les futures évolutions anticipables, le suivi de signaux faibles en matière juridique pour qu’à la fois les pouvoirs publics et les acteurs économiques puissent davantage participer à l’élaboration de ces mêmes normes et pas seulement les appliquer. Cela est en soi est une dimension importante de la guerre économique. »
 
En d’autres termes, le législateur évoque le principe d’anticipation et d’association des acteurs économiques à l’élaboration de la Loi.
 
À ce titre, nous avions précédemment soulevé que le droit se propose de mobiliser au profit de l’entreprise une réflexion juridique adéquate pour se protéger utilement contre les atteintes et les actes de malveillance et plus généralement pour maîtriser les risques juridiques contemporains liés aux marchés et à son environnement commercial et industriel [2]. Nous nous associons donc à cette préoccupation majeure.
 
Désormais, il appartient au Parlement de se saisir de cette proposition de loi. Cela étant, en raison du calendrier électoral à venir, et du peu de temps restant à la mandature actuelle, il est peu probable que le texte soit adopté. Il est à craindre qu’il se perde – comme tant d’autres – dans les limbes parlementaires une fois encore.
 
 
Par Olivier de MAISON ROUGE
Avocat – Docteur en droit
Coprésident de la commission Renseignement et sécurité économiques (ACE)
 
[1] Conseil des ministres, communication min., 29 mai 2013.
[2] https://www.veillemag.com/Manifeste-pour-l-Intelligence-juridique-et-strategique-par-Olivier-de-Maison-Rouge_a4128.html


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