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Frédérique Picard :"j’ai décidé de répertorier les leviers spécifiques qui permettent aux femmes d’oser"





Le 16 Octobre 2019, par Frédérique Picard

Après 15 ans de direction marketing dans de grands groupes internationaux, Frédérique crée son agence en marketing stratégique en 2004. Bretonne, passionnée de voile, elle rêve d‘expédition maritime depuis l’enfance.


Frédérique, vous avez créé Dare Women après un parcours international, quelles ont été vos motivations pour entreprendrecette démarche ? Parlez-nous de votre itinéraire.
 
En 2011 nous larguons les amarres avec mon mari et mes 4 enfants pour une année à la voile autour du monde. Ce sera le tournant de ma vie. Du Maghreb a l’Amérique Centrale en passant par l’Afrique noire, ce voyage où nous nous délestons du superficiel sera marqué par nos rencontres. Particulièrement les femmes, qui dans les contrées les plus reculées et les plus pauvres avancent avec fierté, courage et audace.

L’aventure continuera puisque nous nous installerons 4 ans à Istanbul puis 3 ans à San Diego en Californie.
A Istanbul  je continue à gérer ma société et je m’immerge dans le pays. Je rencontre des figures stanbouilottes, j’accompagne des femmes à se réaliser et je deviens coach.

Puis ce sera la Californie, membre du board de la chambre de commerce franco- américaine je côtoie régulièrement des femmes dans le business. Associée dans une start up je découvre que les femmes californiennes osent se lancer des challenges sans peur et sans complexe.

La prise de risque est pour elle naturelle, c’est presque dans leur ADN.
Partant de ces constats j’ai décidé de répertorier les leviers spécifiques qui permettent aux femmes d’oser et d’en faire profiter le plus grand nombre. DARE WOMEN est né.
 
Votre séjour aux Etats-Unis a été inspirant. Quelle est la place des femmes dans les affaires outre Atlantique?
 
Je parlerai plus de la Californie car les US sont tellement pluriels que les différences entre Etats sont énormes.
La Californie a été le premier Etat à inclure les femmes dans les conseils d‘administration ( loi de 2018) loin derrière la France et la loi Coppe Zimmerman de 2011 !

Malgré l’audace des femmes américaines, la place des femmes aux US n’est pas si bonne qu’on le pense. La montée des nouvelles technologies est en partie responsable puisque seuls 25% des emplois dans l’informatique reviennent aux femmes ( 36% en 1991). Toute l ‘économie est en train de devenir technologique et les entreprises risquent fort d’être de plus en plus inégalitaires.

Les inégalités salariales entre femmes et hommes perdurent, chez Google elles sont même extrêmes par rapport au reste de l’industrie.
Les femmes californiennes font face aux mêmes difficultés que les femmes françaises dans le monde du travail. Ce qui est frappant la bas c’est leur capacité à rebondir, à aller de l’avant, à s’entraider et à ne pas douter. Elles osent tout.
 
Mon séjour en Californie a été extrêmement initiatique.
 
J’ai été frappé la-bas par cette force dégagée par les femmes. Elles savent parfaitement utiliser les bons leviers : utiliser leur network, exercer la sororité, savoir dire non, prendre du temps pour elle, prendre la parole, faire appel à un mentor.
Tout ça elles le font naturellement. Sans  complexe et surtout sans peur ni des regards, ni de l‘échec.

Ce qui est frappant c’est la différence entre elles et nous, françaises.
Les raisons sont plus à chercher du côté de la culture américaine dans son ensemble que d’un fonctionnement particulier des femmes.
Aux US, les normes sociales sont plus ouvertes, c’est la culture du risque qui prime, moins celle des grandes écoles et des études comme chez nous. L’Américain voit un échec comme une expérience et tout problème comme un challenge potentiel.

Que vous soyez hommes ou femmes vous êtes élevés de la même façon avec cette caractéristique de la « Positive attitude » typiquement américaine. Le côté optimiste de l’Américain l’amène à voir ce qu’il a gagné dans le partage et la collaboration. Il est plus dans un «win-win» qui est le résultat de la conquête de l’Ouest, synonyme de liberté et d’abondance. Le Français pour sa part voit d’abord ce qu’il a à perdre.
 
Je pense aussi qu’une des raisons importantes de la posture des femmes aux US et notamment de leur sororité  vient de leur éducation en High school.

Le sport prime aux US avec 2/3 heures de pratiques par jour… et avec une part très importante pour le sport collectif. Elles y apprennent l’esprit d’équipe. En France les sports majoritairement pratiqués par les filles sont individuels ( danse, tennis, équitation..)
 
Aujourd’hui vous mettez « l’audace » en avant, comme un levier de réussite. L’audace est-ce seulement la confiance en soi ?
 
La confiance en soi est effectivement essentielle pour avoir de l‘audace .
Mais le premier ingrédient c’est l ‘estime de soi, c’est ce qui permet de se donner de la valeur. C’est normalement construit enfant avec l’appui de ses parents.

Une fois l’estime de soi ancrée, on peut alors se faire confiance pour avancer. Pour avoir de l’audace, j’ai bien sur besoin de ce socle de confiance sur lequel je vais m’appuyer pour sortir de ma zone de confort. C’est alors que je vais réussir à dépasser mes peurs et mes croyances limitantes.

L’audace c’est sortir volontairement de sa zone de confort. Ne pas confondre avec le courage, qui est lui nécessaire pour affronter des situations  difficiles non recherchées ( la maladie par exemple, les obstacles imprévus ).
 
Etre audacieux, c’est oser faire différemment, oser l’innovation voir la transgression, c’est surtout oser passer à l’action. L’audacieux crée de l’adversité afin de s‘en servir comme tremplin.
 
Bonne nouvelle l’audace n’est pas innée. Personne ne naît audacieux. Elle s’apprend pas à pas, elle ne se décrète pas. C’est en s’inspirant et en travaillant sur des leviers spécifiques que l’audace se construit.
 
Vous organisez vos programmes autour de voyages et de rencontres de personnalités féminines à l’International. En quoi ces rencontres éclairent vos participantes ?
 
Les voyages que j’organise ont pour objectif de rencontrer des femmes particulièrement audacieuses. Elles ont par leur parcours hors du commun, toutes, accompli un chemin exceptionnel.
A Beyrouth par exemple, elles sont passées de l’autre côté de la peur. Ce sont des femmes élevées dans un pays patriarcal, qui a connu la guerre et qui est aujourd’hui en grande difficulté économique.

Que ce soit Sarah, entrepreneuse sociale qui emploie des prisonnières, May, devenue ministre et victime d’un grave attentat, Maryam, entrepreneuse dans ce camp palestinien où elle est née il y a 45 ans, ou encore Aline, élue entrepreneuse de l’année en 2015, toutes avec leur histoire, nous inspirent. C’est avec une grande simplicité qu’elles nous transmettent cet espoir que oui, tout est possible quand on est audacieuses.
 
A Beyrouth ces femmes allument une étincelle, celle qui va permettre aux participants, à leur retour, de passer à l’action en se disant que oui, réellement tout est possible pour elles aussi.
 
Les  entreprises doivent-elles être exclusivement «méritocratiques» ? Comment voyez-vous le rôle social de l’entreprise et quel style managérial appliqueriez-vous à vos collaborateurs?
 
Il est évident que l’idéal serait d ‘être « méritocratique » mais cela nécessite un monde parfait, hors il ne l‘est pas.
 
Légiférer sur une plus grande participation des femmes dans les organes de décision tels que les Conseils d ‘Administration est un passage obligé.
L’index de la parité avec les contrôles mis en place est aussi une mesure qui, de mon point de vue, va faire avancer la mixité.
On est encore aujourd’hui à des taux de femmes dans les comex très faibles ( 18 % dans les PME et 8 % dans les entreprises de plus de 500 personnes - source Etude KPMG 2019 ).
 
Une étude d‘Harvard Kennedy School met par ailleurs en avant la force des préjugés vs la réalité des faits .

Il est nécessaire que les entreprises considèrent l’inégalité hommes femmes comme n’importe quel autre problème économique. C’est avec des données chiffrées et non plus seulement des observations que les solutions seront adéquates et efficaces. On pourra alors mesurer l’impact des solutions.
 
L’entreprise doit absolument avoir un rôle dans la promotion du travail des femmes. Aux Us hommes et femmes pratiquent la flexibilité du travail, c’est une piste que nous devons explorer en France.
Un chef d ‘entreprise me confiait dernièrement sa crainte d’embaucher des jeunes femmes en raison du risque de congé maternité. Le poids financier porté par l’entreprise pendant le congé maternité s'il était supporté par l‘Etat, lui permettrait d’embaucher plus de femmes.
Au delà des mesures opérationnelles, l’aide apportée aux femmes dans leur parcours professionnel doit être un élément clé d’une politique RH aboutie et pas seulement un effet d’annonce purement cosmétique, ce qui est encore beaucoup le cas.

Le « gender gap » par exemple apparaît lors des premières années professionnelles.  Je vois beaucoup de jeunes femmes qui découvrent à cette période de leur vie une différence de traitement entre collègues selon leur genre, des propos sexistes ou déplacés, des rivalités de femmes etc. Elles sont assez démunies et n’ont pas d’outils pour affronter ces situations.

Les entreprises pourraient par des programmes d’intégration appropriés, par des programmes d ‘accompagnement, une mise en place de mentoring,  accélerer une intégration positive et efficace.

C’est ce que nous proposons aux entreprises dans le parcours Dare.
Au cours de leur carrière , il est également typique en France de voir les femmes hésiter devant une progression, un changement de poste, mettant en doute leur légitimité. C’est un manque d’audace caractérisé propre aux femmes .
 
Quel mot voudriez-vous adresser directement à nos lectrices et pourquoi ? 
 
Nous somme à une période cruciale pour les femmes, l‘économie entière devient technologique et les femmes y sont minoritaires.
 
Mesdame, élevez vos filles en leur ouvrant le champ des possibles, aucune carrière n’est impossible aux femmes. Et surtout aidez vous pour nous élever toutes ensemble.
 
Je partagerai juste cette phrase de Ronald Whright qui est mon mantra depuis des années : «  Lorsque tu as plusieurs choix devant toi et que tu n’arrives pas à te décider, prends toujours le chemin qui demande le plus d’audace »
 



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