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Gérard Chaliand : " Le savoir de la peau "





Le 7 Mars 2022, par Bertrand Coty interview

Gérard Chaliand, né le 15 février 1934 à Etterbeek, région de Bruxelles-Capitale, est un géostratège et homme de lettres français. Il est spécialiste des relations internationales et stratégiques, des conflits armés et surtout des conflits irréguliers.


Gérard Chaliand, vous publiez aux éditions de l’Archipel : « Le savoir de la peau ». Vous avez été observateur participant aux guérillas d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Qu’avez-vous appris sur l’Homme ?
 
Au terme de près d’une vingtaine de guérillas et de conflits irréguliers, que répondre à une question aussi générale et difficile ?
J’ai appris qu’une des motivations essentielles des groupes ethniques et/ou religieux était l’humiliation et que ce facteur ne peut pas être négligé. C’est très souvent ce qui permet la mobilisation et qui sous-tend la volonté de combattre.
L’idéologie joue dans tous ces groupes un rôle essentiel jusqu’à l’aveuglement parfois, mais permet aussi de renforcer la volonté dans la durée.
Cela peut, selon les cas, mener à combattre pour sa société (défendre sa patrie, son indépendance) ou a exercer un contrôle totalitaire...
 
Un engagement comme le vôtre vous paraît-il possible dans le contexte des conflits actuels ?
 
Un engagement comme celui que j’ai pu connaitre est devenu plus compliqué aujourd’hui.
Jadis à la période dite de la décolonisation, on pouvait en plus d’être un observateur, être un participant dans une certaine mesure, vous étiez accepté comme un témoin bienveillant.
 
Aujourd’hui où l’on est étroitement défini sur des critères identitaires, la distance est nette avec bien des luttes refermées sur elles -mêmes. Mais bien sûr reste des espaces où l'on peut tout en conservant son esprit critique avoir de la sympathie pour telle ou telle cause.
Mais l’époque des compagnonnages s’est considérablement amenuisée. La distanciation est beaucoup plus manifeste. cela n’empêche pas de faire un travail sérieux pour rendre compte de l’état des lieux.
 
Vous enseignez à Harvard, Berkeley, UCLA, ainsi qu’à l’ENA et à l’École de guerre. Outre la géopolitique quel message adressez-vous à vos étudiants ?

 
J’essaye de les éveiller à la lucidité, à l’examen critique. À faire la différence entre les déclarations et les actes (un écart considérable) A se méfier du prêt à penser, de la propagande - la notre comprise - de la manipulation. J’insiste sur l’importance du terrain du savoir culturel concernant les sociétés autres et de la capacité à comprendre la perception de l’Autre et je rappelle l’impotence des rapports de forces et de la cruauté de l’histoire pour les vaincus.
 
À la lumière de votre expérience, comment percevez-vous notre monde aujourd’hui et quel changement majeur vous frappe ?
 
Le monde de demain sera, pour nous européen plus âpre. Nous assistons à un changement très profond : De l’hégémonie absolue de l’Occident (et de l’Europe à au 19e siècle de 1789 à, 1914) nos abordons nous européens depuis 1945 et les États-Unis depuis 2OO7-2OO8 un indiscutable déclin. A la fois sur le plan démographique et sur le plan politique et même sur le plan militaire, nous n’encaissons plus les pertes de soldats volontaires et notre arrière (l’opinion publique) est devenue plus fragile que nos combattants. Cela pose le problème de la dimension sociale de la stratégie. Un fait nouveau.
 
Nous nous sommes braqués sur le terrorisme jihadiste (beaucoup de bruit et peu de résultats sauf médiatique où nos propres médias nous ont rendus anxieux en relayant à l’excès la propagande de l’adversaire) ce qui nous a dans une large mesure masqué la recomposition en cours. Avec la Chine et les États d’Asie : Inde, Turquie, Iran, sans compter la Russie qui veulent une transformation de l’équilibre assuré hier encore par les États-Unis.
 
Un changement considérable en cours où nous Européens sur le plan militaire et politique nous pesons peu. Trivialement cela veut dire que c’est fini de se la couler douce à l’ombre du parapluie américain.

 




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