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Intelligence Artificielle ou Intelligence économique : le choix de Bercy ?





Le 15 Avril 2019, par Maître Nicolas Lerègle

Bercy a largement communiqué au cours des derniers jours sur le lancement d’un logiciel baptisé « signaux faibles » qui vise à recenser, identifier les entreprises de petite taille, les TPE/PME, qui maillent notre tissu économique, qui pourraient rencontrer des difficultés à même de remettre en cause leur existence.


Intelligence Artificielle ou Intelligence économique : le choix de Bercy ?
C’est une excellente initiative qui, sur le papier et avec l’aide de logiciels d’Intelligence Artificielle, doit permettre de prévenir des défaillances en identifiant des risques, de toutes natures, et en essayant d’y apporter des réponses, financières ou autres, appropriées.
 
En quelques mots tout est dit. Cette analyse prédictive des signaux de fragilité économique de faible intensité est un signal fort adressé aux TPE/PME dans le soutien qu’elles sont en droit d’attendre de l’État.
 
La question que l’on peut se poser est de savoir si ce signal n’est pas justement trop faible, qu’il faille l’accompagner de signaux forts dans un soutien de l’économie qui ne se résumerait pas à des financements d’urgence ou ponctuels.
 
L’Intelligence Artificielle peut-elle être une réponse efficace aux faiblesses actuelles de notre politique d’Intelligence économique ?
 
Là où la Chine, la Russie, le Royaume-Uni et bien évidemment les États-Unis d’Amérique y mettent des moyens conséquents, la France se cherche et ne se trouve pas encore.
Les États-Unis ont axé leurs politiques de développement économique sur un trinôme étroitement imbriqué, d’entreprises, de pouvoirs politiques et de services de renseignements, qui est d’une redoutable efficacité et qui est tout sauf un soft power. BNP Paribas, Alstom, les banques suisses pour ne citer que quelques exemples ont pu mesurer l’efficacité de cette combinaison où, à partir d’erreurs ou de négligences, un droit extra territorialisé, une volonté politique forte et une hégémonie économique assumée s’unissent pour faire passer certaines entreprises ciblées ou secteurs d’activités d’un modus operandi qui leur était propre à un modus vivendi favorable aux intérêts étatsuniens.
 
En ce domaine la France cherche son tempo. Et si la taxe GAFA – dont on ne connaît pas encore les mesures de rétorsion qu’elle ne manquera pas de susciter et qui impacteront certainement son rendement – ou le réveil de certains responsables politiques pour que des « géants » industriels européens se créaient, quitte à tordre le bras de la Commission européenne, sont de bons exemples, mais ce sont encore des exceptions.

En tout état de cause ces actions ne sont pas encore les marqueurs d’une réelle politique d’Intelligence économique, mais plutôt des réponses a posteriori à des états de fait qui apparaissent tout à coup comme problématiques.
Pour un Alain Juillet engagé et qui avait parfaitement compris que l’anglicisme Intelligence signifiait Renseignement se sont ensuite succédé des responsables qui, jusqu’à Jean-Baptiste Carpentier, ont eu du mal à trouver leurs marques et s’insérer dans une logique de continuité qui est souvent un gage d’efficacité.
 
Or ce retard pris par la France sera très difficile à rattraper surtout que cela supposerait une dynamique politique qui n’est pas encore au rendez-vous.
 
L’Intelligence Artificielle, n’en déplaise à ses thuriféraires, ne peut en effet pas tout résoudre. Elle permet de collecter des données importantes, de traiter celles-ci, d’affiner des modèles prédictifs, de proposer une myriade d’hypothèses de travail et de solutions adaptées, mais elle n’est pas dénuée de faiblesse. Bien évidemment, des algorithmes puissants peuvent cartographier des territoires et leurs entreprises, mais ce sont les renseignements de terrain qui permettent de savoir si des atteintes hostiles ou déloyales sont menées contre une entreprise et d’y apporter des réponses concrètes qui ne prennent pas toujours la forme d’un financement. Rien ne peut remplacer une vraie politique d’Intelligence économique qui viendrait épauler toutes les autres formes d’intelligences, artificielles ou non, qui participent à la créativité et au développement de nos secteurs d’activités.
 
Depuis Louis XIV, nous connaissons, grâce à Vauban, l’importance de disposer de « pré carré » qui marque l’empreinte d’un pays, mais plus encore sa force et les limites qui ne doivent pas être franchies par nos ennemis. Il y a 300 ans on érigeait des citadelles de pierre, désuètes aujourd’hui n’oublions pas qu’elles ont rempli leur office pendant 200 ans.

Aujourd’hui il convient de réfléchir de nouveau à ce que peuvent être les citadelles défendant nos entreprises. Le choix de Bercy ne peut pas être uniquement celui de l’Intelligence Artificielle et du tout numérique. Ce serait méconnaître que des algorithmes ne peuvent pas tout voir ni tout prédire et que nous n’avons pas les moyens financiers de rivaliser, en ce domaine, avec le budget que peut y consacrer le seul MIT ou Harvard.

Pour être efficace, une citadelle a besoin de défenseurs et c’est cela que peut apporter l’Intelligence économique. Il lui faut aussi des d’alliés et, de ce point de vue, l’Union européenne, on l’a vu avec sa directive sur le secret des affaires, n’est pas en reste. La démarche de Bercy va évidemment dans le bon sens, mais pour être réellement efficace il faudra qu’elle dépasse un affichage circonstancié pour s’insérer dans une vraie redéfinition d’une politique nationale d’Intelligence économique. Cette dernière ne pourra être confinée au seul Bercy, mais bien élargie, dans un souci d’intelligence collective, à l’ensemble des services de l’État.

Nicolas Lerègle
Avocat à la Cour – Lex Squared
Conférencier en sécurité économique labélisé Euclès

 


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