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Intelligence artificielle : quels défis pour la propriété intellectuelle ?





Le 11 Mai 2023, par Eric Przyswa et Olivier Buisine

Nous détaillerons dans quelle mesure l’intelligence artificielle impacte les droits de propriété intellectuelle et quels sont les défis juridiques pour s’orienter vers une situation plus stable et sécurisée.


Eric Przyswa et Olivier Buisine
Eric Przyswa et Olivier Buisine
Un contexte instable

Un constat s’impose : avec l’intelligence artificielle, les citoyens doivent désormais s’habituer à composer avec un nouveau concept dont les contours sont toutefois incertains et encore très discutés. En particulier avec des conséquences en termes d’atteinte à la vie privée ou des questionnements sur les rapports entre les individus.

Des enjeux complexes de propriété intellectuelle

Dans un tel contexte, la propriété intellectuelle, déjà chahutée par l’émergence du numérique, n’échappera pas à une forte adaptation. Selon l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), l’IA interroge la gestion de droits de propriété intellectuelle sur trois plans :

- la protection de l’outil
L’outil est susceptible d’être protégé dans son ensemble par le brevet ou au travers de ses différentes composantes. Dans ce dernier cas, la stratégie de protection de l’outil IA doit être établie en amont afin d’adopter la protection la plus appropriée et de ne « fermer aucune porte ».

- la protection des produits de l’IA
Se pose ici surtout la question des droits d’auteur liés à l’IA. C’est le cas des créations générées par une IA, et non des créations assistées par elle, qui est véritablement délicat à traiter en termes de PI. Les créations générées par l’IA créent sur ce point une situation inédite, car elles ne sont pas associées directement à une personne physique. C’est ainsi que des projets législatifs s’orientent pour la reconnaissance d’une personnalité juridique spécifique aux robots comme la mise en place d’un droit spécial consacré aux œuvres dont l’IA est à l’origine.

- la collecte des données d’apprentissage
L’accès licite aux données est stratégique notamment pour les données personnelles protégées. Mais se pose aussi l’enjeu de la nature même de ces données. Sont-elles en libre accès ? Sont-elles protégées par un droit d’auteur ou droit voisin ?
Un certain nombre de questions liées à cette problématique des données émergent et c’est la réponse en amont à de telles questions adaptée aux enjeux de PI qui permettra de déterminer les moyens juridiques à mobiliser.

Dans un tel environnement, le contrat sera stratégique pour venir en complément du droit en vigueur, voire pallier ses insuffisances. Le contrat permettra ainsi d’organiser la protection de l’IA en définissant le rôle de chaque intervenant dans le projet, en répartissant les droits entre eux et en assurant l’effectivité de la confidentialité. Bref, le remplacement des avocats par l’IA n’est paradoxalement pas pour demain.

Un cadre européen en construction

S’il est vrai que le droit précède rarement les évolutions de la société civile, un rapport d’information du Sénat a déjà été publié le 30 mars 2023, accompagné d’une proposition de résolutions visant à promouvoir le déploiement d’une intelligence artificielle conforme aux valeurs européennes.

Mais un cadre juridique adapté, et en particulier la mise en place d’un droit d’auteur pour une œuvre d’IA, ne pourra prendre tout son sens qu’à une échelle européenne. L’Union européenne a sur ce point un rôle moteur et a pris un certain nombre d’initiatives stratégiques pour positionner l’Europe comme une référence internationale.

Deux règlements, le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) adoptés respectivement en septembre et octobre 2022, visent notamment à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants d’internet et corriger les déséquilibres de leur domination sur le marché numérique européen en particulier dans la lutte contre la diffusion de contenus illicites ou de produits illégaux.

Un règlement IA est par ailleurs en cours d’élaboration au sein des institutions européennes. L’adoption en séance plénière au sein du Parlement européen devrait avoir lieu mi-juin. Un trilogue (négociations interinstitutionnelles) s’engagera alors, avec l’objectif d’une entrée en vigueur d’ici à la fin de l’année 2023. L’objectif est de mettre en place un cadre juridique sécurisé, afin de stimuler les investissements, mais aussi l’innovation dans l’IA. Un cadre d’évaluation graduée des risques liés à l’IA est en effet un des axes forts du projet. Compte tenu de préoccupations légitimes en matière de droits humains, le texte étend ainsi aux acteurs privés l’interdiction d’utiliser l’IA à des fins de notation sociale.

En conclusion, le contrôle de l’IA (ou son absence de contrôle) constitue un danger, mais c’est peut-être aussi et surtout une opportunité pour l’Union européenne de se démarquer d’autres modèles dans le monde multipolaire qui se dessine. Construire un nouveau modèle de technologie éthique en phase avec nos valeurs démocratiques, c’est certainement là l’enjeu majeur à venir de l’IA en Europe.

- Eric Przyswa est consultant en affaires publiques et management dans le secteur du numérique, de l’industrie et des risques (risk05). Il est aussi impliqué dans des travaux éditoriaux qualitatifs. Il a été par le passé chercheur à Mines ParisTech et consultant marketing. Formation : Docteur en gestion, Dauphine et Sciences Po Paris. https://www.risk-05.com

- Olivier Buisine, Praticien de l’insolvabilité pendant plus de dix ans, Olivier BUISINE est consultant au sein du cabinet de conseil REGULATE, spécialisé dans les affaires publiques et la gouvernance d’entreprises. Titulaire d’un doctorat en droit, Olivier BUISINE est également l’auteur de nombreuses publications dans des revues et journaux spécialisés. https://www.regulate-consultants.com


 



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