Journal de l'économie

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L’Europe et les pays musulmans





Le 18 Mai 2021, par Jean-François BOUCHARD

Entre les occidentaux et les musulmans, les sources d’incompréhension sont innombrables.


Voici, par exemple, quelques conseils que vous trouverez sur le site du département d’État [1] américain si vous désirez voyager au Soudan, troisième plus grand pays musulman d’Afrique : rédigez un testament et confirmez les bénéficiaires pour vos contrats d’assurance vie ; discutez d’un plan avec vos proches concernant la garde des enfants et des animaux de compagnie ; assurez-vous de désigner un membre de la famille pour servir de point de contact avec les preneurs d’otages si vous êtes kidnappé ou détenu ; établissez un protocole de preuve de vie, sous forme de questions et réponses spécifiques à poser aux preneurs d’otages pour s’assurer que vous êtes en vie ; enfin, laissez les échantillons d’ADN à votre médecin au cas où votre famille aurait besoin d’y accéder pour identifier votre cadavre.
 
En bref, n’allez jamais au Soudan : vous y mourrez certainement après avoir été enlevé et détenu pendant des mois par des criminels islamistes très malintentionnés à votre égard !
 
Le 17 mai s’ouvrira à Paris une grande conférence internationale sur le Soudan [2] . Car cette ex-dictature islamique dirigée d’une main de fer pendant trente ans par un despote brutal et corrompu s’est engagée sur un chemin périlleux, mais prometteur : revenir à une forme de démocratie participative et redistributive. Dans ce but, le Soudan reçoit aujourd’hui une assistance massive de la part des pays occidentaux et la conférence de Paris est organisée pour inciter le secteur privé à investir au pays des pharaons noirs.
 
Il ne faut pas mésestimer l’importance de cette conférence, parrainée par le Président Macron en personne. L’avenir du Soudan est un enjeu crucial pour les pays développés. Dans l’imaginaire du monde musulman, la seule politique étrangère que les Occidentaux soient capables de conduire vis-à-vis des pays musulmans est une sorte de jeu d’éléphant dans un magasin de porcelaine, comme en Libye, en Irak, en Syrie ou au Sahel. Là-bas, le résultat des supposées « bonnes intentions » occidentales est un chaos incontrôlable. Certes, dans ces pays, l’action des pays développés n’est pas seule à blâmer, loin de là. Pour autant, en application du principe de l’iceberg, elle est la partie la plus visible d’un ensemble de facteurs très complexes qui ont transformé ces pays en pétaudières où règnent la misère et la violence.
 
Au Soudan, la stratégie occidentale est diamétralement opposée aux interventions brutales et maladroites d’Irak ou de Syrie. L’Europe, les États-Unis et les grandes institutions internationales telles le FMI ou la Banque Mondiale se mobilisent pour aider à une transition en douceur vers un monde plus juste. Certes, la situation est complexe et volatile : le Soudan a vécu sous embargo international pendant vingt ans et, dans ce pays, les repères que connaissent les acteurs économiques internationaux n’existent pas. Vous cherchez à savoir si vos éventuels partenaires au Soudan sont fiables et solvables ? Bon courage ! Est-ce que la banque que vous contactez pourra acheminer et rapatrier vos fonds ? Ce sera long ! Tout simplement, vous voulez retirer de l’argent à un distributeur ? Oubliez ! Et chaque jour, lorsque vous tenterez de pénétrer les arcanes d’un pays qui a vécu en marge de la communauté internationale pendant si longtemps, vous serez surpris.
 
Pour autant, cela vaut le coup d’insister. Le Soudan est un pays au potentiel immense : ressources naturelles importantes, secteur agricole productif – le Soudan n’est pas que le désert aride que l’on imagine –, potentiel touristique superbe, population industrieuse, plutôt bien formée et accueillante… Et, contrairement aux préventions alarmantes du département d’État américain, vous pouvez vous promener sans problème dans les rues de Khartoum : personne ne tentera de vous kidnapper et, au contraire, si vous êtes perdu, quelques Soudanais s’approcheront pour proposer amicalement leur aide.
 
C’est d’autant plus méritoire si l’on se penche sur les conditions de vie des Soudanais. On estime que 65 % de la population vit sous le seuil de pauvreté (une augmentation spectaculaire par rapport à 45 % estimée en 2015), avec un nombre important de personnes vivant dans l’extrême pauvreté. Dans le classement mondial de l’Indice de développement humain, le Soudan est 168e sur 189. 20 % de la population active est au chômage, le chômage des femmes étant près de deux fois supérieur à celui des hommes. La situation humanitaire au Soudan reste grave et complexe, avec des besoins vitaux aigus dans la région du Darfour, du Nil Bleu et du Kordofan. Sur une population de 40 millions, 9 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire, dont 3 millions au Darfour. De plus, par tradition, le Soudan accueille des réfugiés depuis des décennies : actuellement, un million de réfugiés et de demandeurs d’asile, principalement d’Érythrée, de Syrie, du Yémen, du Tchad et un grand nombre du Soudan du Sud.
 

Rien n’est donc simple, et la situation économique n’aide pas vraiment. Il ne faut pas se leurrer, le Soudan est confronté à une situation macroéconomique et financière profondément détériorée, qui alimente les craintes d’un effondrement économique de la transition démocratique. Le PIB se contracte de 2 à 3 % par an depuis trois ans. Ce choc a entraîné une dégradation significative des comptes publics. Financièrement étouffé par les sanctions américaines, et en défaut sur sa dette souveraine, le pays n’avait d’autre choix que de monétiser le déficit, alimentant une inflation qui, malgré une amélioration en 2019 à 50 % contre 63 % en 2018, a culminé à 141 % en 2020 et reste aujourd’hui à des niveaux insoutenables pour l’économie.
 
Tout investisseur un peu avisé devrait donc fuir à toutes jambes. Il aurait cependant tort, car il faut savoir aller au-delà des simples indicateurs économiques. Le Soudan est aujourd’hui un défi critique pour les pays occidentaux dans leurs rapports avec le monde musulman. Ceux-ci doivent impérativement démontrer leur capacité à accompagner une transition démocratique décidée spontanément par une ex-dictature islamique. Nous savons aujourd’hui qu’imposer la démocratie par les bombes ne fonctionne jamais. Alors, est-ce que l’imposer par la prospérité économique peut marcher ? Peut-être. Et même, certainement.
 
De toute façon, si les actions d’assistance paisibles et amicales ne fonctionnent pas au Soudan, les pays développés n’auront plus d’alternative. L’échec n’est donc pas permis. L’Europe, les États-Unis, le FMI, la Banque Mondiale mettent en œuvre des ressources financières et techniques inégalées au Soudan. Ils font parfois preuve d’une imagination remarquable, comme l’attribution mensuelle à des millions de familles d’une assistance financière afin de permettre une libération des prix du pain, autrefois subventionnés : ainsi, un marché libre commence à fonctionner sans faire souffrir la population. Car des mouvements sociaux de la faim pourraient inévitablement compromettre la transition. Et ce n’est qu’un exemple parmi maints autres.
 
Le monde islamique et les pays occidentaux sont condamnés à vivre ensemble. L’Union européenne et les autres partenaires du monde développé mettront sur la table tous les moyens nécessaires pour aider à la réussite de cette transition soudanaise douce, non violente et prospère. Personne ne veut porter la responsabilité d’un échec. Il n’y aura donc pas d’échec.
 
C’est pourquoi, en confiance – tout en surveillant prudemment ses risques – il faut investir au Soudan !
 
 
Jean-François Bouchard
Expert international en stabilité financière
Auteur de « Conspirations ? La face cachée de la construction européenne », VA éditions, mai 2021
 
 
[2] https://event.medefinternational.fr/forum-des-affaires-france-soudan-france-sudan-business-forum-g832



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