Journal de l'économie

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L’abondance, jusque quand





Le 7 Avril 2021, par Philippe Cahen

La période Covid sera perçue comme un accélérateur de l’Histoire. L’une des questions fondamentales de cette accélération est portée par l’abondance. Abondance de biens et de services ; de l’industrie, du commerce, de la consommation.


Image Pixabay
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Et l’Homme créa l’échange

À l’origine – dès l’Antiquité, l’artisan ou le producteur (agriculteur, pêcheur, chasseur…) vendait le fruit de son travail. Peut-être a-t-il troqué, un temps, mais le système n’a pas permis de tout troquer. Le chef troquait en effet son autorité (un bien immatériel) contre la sécurité physique assurée par ses soumis. La multiplication des échanges — disons au Moyen-âge — a développé le commerce entre le producteur et l’acheteur final. Le commerce est alors l’activité d’acheter un bien ou un service et de le revendre.

La Révolution industrielle a développé les villes, les transports, le pouvoir d’achat et donc les commerces sédentaires. Ces commerces se sont fait concurrence et ont franchi des étapes de sophistications : les grands magasins, les magasins populaires, les supermarchés et les hypermarchés, les centres commerciaux, les chaines de magasins. Dans le même temps, la fabrication de produits est passée de l’artisanat à des fabrications répétitives, des produits diversifiés, en séries de plus en plus longues, des produits d’utilité rare, superficielle. Le prix d’un produit est passé de son utilité, à son imaginaire lorsque les biens essentiels ont été satisfaits avec des revenus en adéquation. Ainsi s’est développée l’abondance.

Depuis une trentaine d’années, tout s’est accéléré, emballé

La révolution urbaine a été emportée par deux révolutions accélérées par l’entrée de la Chine dans l’OMC (1986-2001) : celle de l’abondance et celle du temps. Nous allons rester ici à la révolution de l’abondance.

La Révolution industrielle a développé les villes. La voiture a renforcé ce mouvement dès les années 50. Aujourd’hui, on considère la France à 80 % urbaine. Le monde est à 54 % urbain. Le monde agricole et de la pêche satisfont encore les minoritaires ruraux. Pour les majoritaires urbains, ce monde est celui de la production de masse et depuis une trentaine d’année, de la surabondance. On ne meut plus de faim aujourd’hui (exception faite de cette période Covid) et le tiers de la production est perdue et jetée, on meurt d’obésité, de trop manger, de mal manger.

Et le monde hors des humains meurt sous les déchets (sur terre comme en mer) et de pollution des villes et des fleuves dont une grande partie a servi à fabriquer ces déchets.

La révolution de l’abondance

La révolution de l’abondance est le fruit de la baisse du coût de l’énergie — par surabondance d’énergie dont on a oublié qu’elle pût manquer (peak of Hubbert), de la croissance des sciences et des techniques — par surabondance des universitaires, chercheurs et innovateurs dans le monde entier, de la production — par surabondance des sites de production ultramodernes déplacés dans des lieux de production à faible coût de main-d’œuvre, par la baisse du coût des transports — par surabondance de porte-conteneurs, d’avions et de camions, et donc de l’augmentation mondiale du pouvoir d’achat (on vit plus âgé, avec plus de pouvoir d’achat pour au moins 80 % des Terriens) et de la baisse de valeur des produits (acheter un steak de bœuf se comptait en France en heures de travail, à présent environ 30 minutes, les vêtements coûtent environ dix fois moins cher qu’il y a trente ans, etc.). Les services sont de moins en moins chers — et de plus en plus nombreux — que ce soient les télécommunications, les transports, les hôtels, les loisirs…

Cette surabondance fait perdre les sens

On mange trop et trop mal, nos armoires sont pleines de vêtements trop peu mis (il y a une trentaine d’années le budget des ménages en textile était de 15 %, aujourd’hui il se rapproche de 5 % pour plus d’achats !), nos meubles sont faits de colle et de particules de bois à défaut d’être en plastique moulé et ont une durée de vie brève, nos appareils se cumulent inutilement… Oh bien sûr, ces propos sont indécents pour bien des personnes, ans doute 20 % des Français qui n’ont pas le nécessaire à vivre correctement !

Dans un monde d’argent facile — la « planche à billets » tourne dans le monde entier, les déficits des États atteignent des sommets jamais atteints, certaines entreprises croulent sous les liquidités et d’autres valorisent leurs pertes par des levées de fonds — dans ce monde d’argent facile la surabondance fait perdre les références, les sens. Et malgré les avertissements sur les bulles financières pour certains, et sur la pollution pour d’autres, rien n’y change.

Une idée pour ralentir la surabondance

Aucun signe ne traduit une recherche de ralentissement de cet emballement sauf par les tenants de la décroissance autoritaire. Or l’Homme est en permanence à la recherche de l’amélioration de sa vie. Il est impossible de lui demander de ne pas créer. Laisser passer ce temps c’est continuer le monde d’avant dans un monde d’après, un monde sur sur-surabondance. Dès lors, comment ralentir cette surabondance afin qu’il s’interroge sur celle-ci ? Commençons par les produits et profitons de ce temps ralenti par la Covid !

Concernant les produits, puisque la taxe carbone ne se met pas en place, il y a une solution : faisons payer le coût de recyclage du produit sur son lieu de consommation. Non pas une « contribution » de quelques centimes, mais des euros sur les produits achetés neufs, mais une « taxe abondance » : un euro par pièce de vêtement, cinq euros par pièce de meuble, etc. Pour une pièce textile vendue 50 €, c’est peu. Pour une pièce textile vendue 5 € (ce qui est le prix moyen dans de nombreuses enseignes), c’est beaucoup. Si cela peut faire consommer moins de pièces textiles et éventuellement de durée de vie plus longue, c’est mieux. Si cela peut favorise la seconde vie des produits (ce qui se développe aujourd’hui) c’est bien !

L’important est la prise de conscience du consommateur. Puisqu’un produit (et aussi un service) n’a plus de valeur et est donc acheté sans limites alors que sa production est consommatrice de matières premières dont la quantité est limitée sur Terre et sa production et sa destruction développent diverses formes de pollutions, il faut limiter sa production par la limitation de sa consommation.

Nous sommes des enfants gâtés par la surabondance. Il faut comprendre que ce luxe — car c’est un luxe — doit devenir raisonnable. Et comme l’enfant gâté ne raisonne pas, une petite taxe abondance aidera à prendre conscience… d’autorité !
 

Je repars en plongée…

Philippe Cahen
Conférencier prospectiviste
Dernier livre : « Méthode & Pratiques de la prospective par les signaux faibles  », éd. Kawa


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