Journal de l'économie

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L’avenir de l’Europe passe par la Culture





Le 22 Février 2019, par Franck Staub

Les élections européennes de mai 2019 seront décisives pour l’avenir de l’Union européenne qui garantit la paix sur le continent depuis plus de 70 ans. Le rejet de l’Union, exprimé sous diverses formes, n’a jamais été aussi fort. Et le souffle historique à l’origine du traité de Rome et du projet politique européen se perd au fil des années.


Franck Staub
Franck Staub
La montée généralisée du populisme, dont les exemples sont si nombreux, est proportionnelle au sentiment que l’Europe est incapable de répondre aux immenses défis auxquels nos sociétés sont confrontées. Pour beaucoup de nos concitoyens, l’Europe n’inspire plus que la défiance.
 
Ce désenchantement plonge ses racines dans un double déficit : un déficit de démocratie et un déficit de sens. Le débat qui va précéder les prochaines échéances électorales doit apporter des réponses à ce double déficit.
 
La défiance vis-à-vis de l’Union tient pour partie à la complexité, et par voie de conséquence à l’opacité, du processus de prise de décision communautaire. Les citoyens se sentent perdus devant des institutions européennes qui ne sont plus comprises : le parlement européen existe, mais n’a pas l’initiative des lois, la commission paraît omnipotente alors qu’elle est bien souvent impuissante, quant aux réunions du Conseil, elles s’apparentent le plus souvent à des sommets de la dernière chance au cours desquels, dans le secret des arcanes, se décide le sort des peuples et ce, en dehors du tout contrôle démocratique. L’Union européenne qui affiche une ambition étatique conserve le fonctionnement d’une organisation internationale et cette ambiguïté est à l’origine d’un malentendu générateur de frustration. Une partie du rejet de l’Europe vient aussi de la nature de ses interventions : elle est encore trop souvent perçue comme une entité qui s’affaire à sur-règlementer l’accessoire en créant de la contrainte au lieu d’ouvrir le champ des possibles et de protéger. Pour nombre de citoyens européens, l’Europe est d’une certaine manière devenue une « fédération à l’envers », s’occupant du détail et négligeant les grands projets.  
 
Il est donc vital pour l’Europe de réformer le fonctionnement des institutions, et notamment de renforcer le rôle du Parlement européen, mais aussi d’apporter une nouvelle définition au principe de subsidiarité ; pour survivre à la vague populiste, l’Union doit concentrer ses missions sur ce que les États ne peuvent réaliser.
 
Pour répondre au déficit de sens, l’Europe doit également développer la fraternité entre les citoyens européens, par le biais de la culture et du patrimoine.
 
Nos œuvres d’art, nos sites archéologiques, nos châteaux médiévaux, nos cathédrales, nos traditions et nos savoir-faire artisanaux relèvent de notre patrimoine commun façonné par des siècles d’échanges commerciaux, de guerres et de migrations. Ils constituent une richesse hors du commun : dans l’Union, près de 8 millions d’emplois sont directement ou indirectement liés au patrimoine et, avec 453 sites inscrits, l’Europe, en tant que région, représente près de la moitié de la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
 
Les Européens le savent et c’est d’ailleurs le principal enseignement que l’on peut tirer d’une enquête Eurobaromètre publiée en décembre 2017. 8 Européens sur 10 pensent que le patrimoine culturel est important non seulement pour eux, individuellement, mais aussi pour leur communauté, leur région, leur pays et l’Union européenne dans son ensemble. Une large majorité est fière du patrimoine culturel, qu’il s’agisse de celui de sa propre région ou de son propre pays ou de celui d’un autre pays européen. Les trois quarts des Européens estiment que les États membres et l’UE devraient allouer davantage de ressources à la protection du patrimoine culturel européen.
 
L’Europe ne fait pas rien dans le domaine culturel : l’accord historique entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen trouvé le 13 février 2019 s’agissant de la directive européenne « droit d’auteur » constitue une avancée majeure pour les créateurs. En outre, des voix se font entendre, à commencer par celle du Président de la République Emmanuel Macron, pour que soient créées des universités européennes ou un Erasmus des Apprentis. Il n’en reste pas moins que la politique culturelle communautaire est aujourd’hui essentiellement dédiée au financement de réseaux paneuropéens destinés à tisser des liens de solidarité entre opérateurs culturels ou au soutien d’un nombre limité de projets et dispositifs transverses. La ratification de la Convention UNESCO sur la Diversité culturelle (2005) ou la mise en place d’un mécanisme financier de garantie en faveur des secteurs de la culture et de la création (2016) sont essentielles mais sont-elles suffisantes pour définir une stratégie commune ? De fait, l’Europe foisonne d’initiatives, mais il n’existe pas à proprement parler de vraie politique culturelle au niveau européen. Et pour cause, la culture définie comme un champ d’action communautaire n’a pas de pilote ! Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’existe pas de direction générale dédiée à la culture. La compétence culturelle est confiée pour partie à l’Agence exécutive « Éducation, audiovisuel et culture » (EACEA) qui gère les fonds destinés à l’éducation, au sport, à la citoyenneté, au volontariat, à l’audiovisuel et… à la culture. Et pour une autre part à la direction générale « Éducation, Jeunesse, Sport et…Culture » qui n’a qu’une compétence d’appui aux initiatives locales.
 
D’un côté donc la culture est considérée au plus haut niveau comme primordiale pour la cause européenne, de l’autre personne n’en est vraiment responsable. La création d’une direction générale ou d’une Agence dédiée exclusivement à la culture dotée d’un budget adapté à ses ambitions et d’un cadre juridique favorable devrait s’imposer.
 
L’UE pourrait d’ailleurs s’inspirer de l’action qu’elle mène avec succès dans le domaine spatial pour imaginer la future gouvernance culturelle de l’Europe ; l’Agence Spatiale Européenne réussit bel et bien à donner du sens au projet européen et a prouvé son efficacité. Il est grand temps de créer son pendant culturel doté d’une voix, d’un visage et de projets fédérateurs pour protéger notre patrimoine commun, soutenir nos créateurs, développer une diplomatie de la culture et faire naître des pôles européens de la création.
 
Sans projet culturel européen, et en se contentant uniquement d’une union des intérêts économiques, financiers, il ne peut y avoir d’identité européenne ni de solidarité entre européens et donc d’avenir pour l’Europe.

A propos de l'auteur 

Secrétaire général d’une organisation professionnelle, Franck Staub est membre de la commission des Affaires européennes et internationales du conseil économique, social et environnemental de la Région Île-de-France. Il plaide pour la création d’une vraie stratégie culturelle au niveau européen portée par une gouvernance calquée sur le modèle de l’Agence spatiale européenne. 


 




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