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L’esprit guerrier des soignants nous sauvera,





Le 23 Mars 2020, par Landry RICHARD

Landry RICHARD , a été sapeur-pompier professionnel pendant près de 20 ans, spécialiste NRBC, il est officier de réserve de la Gendarmerie Nationale. Après être intervenu au Népal en 2015 et en Equateur en 2016 où il a dirigé des détachements d’intervention à la suite des tremblements de terre, il intègre le MBA spécialisé Management de la Sécurité de la Gendarmerie Nationale pour se spécialiser dans les questions de la sûreté et le développement de la performance des équipes d’intervention spécialisées. Expert de l’optimisation des potentiels et dans les risques industriels, il dirige désormais la sûreté d’une grande entreprise du CAC 40.


Aux âmes de combattants, soignants, pompiers, forces de l’ordre
 
Nous voici cette fois confrontés à quelque chose que nous ne connaissions pas, quelque chose auquel nous, spécialistes de la gestion des crises, acteurs de terrain ne nous étions pas préparés.
 
Nous tirons notre force de ce savoir-faire qui fait de nous des spécialistes de la gestion du pire. Toute l’année nous nous entraînons, dans toutes les conditions, envisageant tous les scénarios, toutes les possibilités. Nos vies professionnelles sont construites autour de cette évaluation des possibles, de l’anticipation et c’est parfois incompréhensible pour le commun des mortels, mais il nous arrive même parfois d’espérer ces interventions remarquables où nous allons pouvoir mettre en œuvre notre savoir-faire.
 
Pour la majorité d’entre nous, avec un peu d’expérience nous avons tout vu, tout expérimenté, le meilleur comme le pire. Nous avons vu ce que l’humanité pouvait avoir de plus magnifique, mais également de plus abject. Et même s’il n’est pas vrai de dire que l’on peut se préparer à tout, nous sommes préparés à faire face à bien des situations. Celle de l’affrontement contre une pandémie, est pour le moins inédite, et personne ne s’y était préparé.
 
Des combattants
 
« Certains, plus rares, ceux que j’aime le mieux ont un air calme et un regard tranquille qui se pose sur le mien, sans que l’effort y transparaisse. C’est là le comble de l’art : ce sont les as. Ceux-là ont depuis longtemps mesuré toute l’étendue du risque et du sacrifice : ils ont fait la Somme, la Champagne ou l’Argonne ; ils ont acquis une maîtrise qui leur permet d’être eux-mêmes en toutes circonstances, et les épreuves répétées n’ont pas tari la source de dévouement qui est en eux. »
« Paul Tezenal Du Montcel s’adressant à ses hommes avant l’offensive sur l’Aisne »
 
Le Président de la République dans son discours aux Français du 16 mars 2020 a parlé à plusieurs reprises d’état de guerre, d’un combat, contre le coronavirus. Cet état de guerre sanitaire ressemblera dans quelque temps à ces surprises sociétales des guerres de 1914 et 1939 pour lesquelles les augures n’avaient pas fait sursauter le plus grand nombre, jusqu’à ce que la réalité vienne frapper les foyers.
 
Soignants, pompiers, forces de l’ordre, chercheurs, mais également les acteurs du maintien de notre système de vie : alimentation, transports, commerces de première nécessité sont devenus les soldats de ce combat, les guerriers de cette bataille inédite et depuis cette date (le 16 mars 2020), la population française est confinée dans le but de stopper la propagation du virus. Un combat qu’il faut mener depuis chez soi, en ne sortant pas, de nombreux panneaux humoristiques parle de guerre sur canapé.
 
Toutefois, la réalité de la situation nationale et mondiale, fait état chaque jour d’une aggravation de la situation, plus les scientifiques en apprennent sur cet ennemi, plus ils nous alertent qu’il est bien plus dangereux que nous le pensions. L’ennemi était comparé à une grippe il y a quelques semaines, aujourd’hui les médias nous montrent les milliers de morts et la surcharge des services de réanimation dans tout le pays. Les mesures de confinement, même si elles ne sont pas la suppression de la liberté individuelle sont tout de même pour beaucoup des facteurs générateurs de stress. Les études récentes sur les effets du confinement en Chine, montrent sans surprise des niveaux d’anxiété très élevés, une régulation émotionnelle difficile (beaucoup de colère ressentie) et de nombreux cas de stress post-traumatique quand le confinement dépasse les 10 jours.
 
Pour reprendre l’inspiration et les mots du colonel Michal Goya dans « Sous le feu [1] », il faut noter qu’il existe des individus naturellement doués pour le champ de bataille, bien que la plupart des hommes ne soient pas des combattants nés. Dans le panel de « ceux qui nous protègent », je voudrais regarder de plus près celles et ceux qui ont fait le choix de ce sacrifice, de ce sacerdoce qui consiste à faire don de soi, au risque de se faire soi-même contaminer et de contaminer ses proches.
 
Parce que personne n’est préparé à faire ce genre de sacrifice, personne n’est préparé à faire face à la mort constamment, dans cet enfer du tri des victimes, de « perdre » son patient après lui avoir parlé plus tôt dans la journée, et même si à force, ça passe… Je dois dire que ce que j’aime le plus chez ceux qui nous protègent, c’est sûrement cette authenticité de l’âme. Une sorte de spontanéité de l’esprit, un accès au cœur sans obstacle, dénué des filtres que forge le cumul des années de vie sur l’être. 
 
L’âme des soignants, pompiers et des acteurs de notre sécurité est continuellement rabotée par la vision de ce que le monde peut proposer de plus terrible, la vieillesse, la maladie et la mort, du pire au pire. Cela est vrai aussi pour d’autres, dans d’autres mesures, tous ceux qui voient, tous ceux qui savent.
 
« Il n’y connaît que dalle ! Il a pas fait le merdier, il en a pas le regard. Le regard à l’horizon. Un Marine a ça quand il a fait du merdier trop longtemps. C’est comme… c’est comme s’il avait vu plus loin… J’ai ce regard moi, et tu l’auras aussi. »
Full Metal Jacket

L’individu dans le combat
 
L’arme première est l’individu lui-même et l’estimation qu’il fait de sa capacité à influer sur les événements. Cette estimation est basée sur la confiance qu’il a en l’évaluation de ses propres capacités à faire face à travers sa compétence individuelle et collective, en ses moyens matériels et en l’organisation du service auquel il appartient (compétence de la hiérarchie, règles de management, facteurs motivationnels).
 
Ainsi, on remarquera que plus un individu est compétent au sein des services de soin, de secours ou de protection, plus il sera solide moralement et enclin à s’engager dans des combats difficiles.
 
Les moyens de protection ou la certitude d’être secouru efficacement en cas de besoin renforcent le sentiment de sécurité individuel et collectif. La bonne disponibilité des Équipements de Protection Individuels (masques, gants, lunettes, combinaisons… est rassurante lorsqu’elle est certifiée. Comme le soulignait Ardant du Picq, « Une armure, en diminuant de moitié l’action matérielle à subir, diminue de moitié l’action morale [la peur] à dominer. »
 
La possibilité d’agir. C’est l’élément le plus important. Le fait de se rendre acteur d’une cause d’action, altruiste s’il en est donne à l’intervenant une raison de placer son mode de pensée dans l’action et réduit considérablement la bascule vers le stress. Nous, responsables de service, le constatons déjà après quelques jours de confinement, les agents les plus stressés sont ceux qui sont mis en « réserve ». L’impossibilité d’agir leur donne la sensation d’être inutiles, des lions en cage. Plus fort encore que l’attente ou la peur du combat, cette attente est insupportable. Cette angoisse est démultipliée par le libre cours laissé à l’imagination. « L’impatience qui mord aux entrailles, la fureur qui crispe le soldat contre ce qui l’arrête, le frénétique besoin d’action, de mouvement, l’horreur de recevoir la mort sans bouger, sans se battre contre elle [2] . »
En définitive, l’intervenant, le soignant doit se sentir fort, capable d’agir et avec le sentiment intime d’avoir de bonnes chances de s’en sortir.
 
« Aligner des hommes compétents ne suffit pas, il faut les “coudre ensemble”
Général Étienne MacDonald à Wagram
 
La cohésion des petites unités est le facteur principal de la réussite. L’estime ou l’affection procure un sentiment de puissance et donc de sécurité remarquable. Plus une équipe est soudée, unie, plus elle est en capacité à faire face à l’adversité. Le management doit bien comprendre cette réalité, cette règle sociologique non écrite, car c’est une réalité, l’envie d’aller au combat vient du fait que nos camarades, nos amis y vont également. On ne laisse pas tomber ses amis, et l’émulation se crée dans l’adversité.
 
Ce principe de camaraderie est renforcé par l’interdépendance des rôles dans le combat. L’organisation des services de santé, de secours ou de sécurité est parfaitement rodée en France, et nous pouvons nous réjouir que cela participe à générer solidarité et confiance mutuelle au sein des équipes où les rôles et les compétences de chacun, mais également les faiblesses, sont reconnues ou anticipés par tous.
 
Une erreur à ne pas commettre

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’US Army avait mis en place avec ses soldats un principe “fordiste” faisant en sorte d’avoir des unités interchangeables. Il n’existait alors que trois types de divisions [infanterie, blindée et aéroportée] et celles-ci sont alimentées en hommes sur le modèle des chaînes de montage. Les soldats étaient formés en fonction des besoins estimés a priori puis affectés individuellement dans les unités pour compenser directement les déficits.
 
Cette politique s’est avérée désastreuse. Les besoins en fantassins étaient très en deçà de ce qui fut nécessaire et les unités d’infanterie étant constamment sur la brèche n’avaient que rarement le temps d’intégrer les nouveaux qui arrivaient sans cesse. Leur faible compétence, leur manque de lien tactique et l’absence d’esprit de corps en faisaient des maillons très faibles de leurs unités. Cela avait finalement pour effet d’affaiblir les unités plutôt que de les renforcer. Inversement, les Allemands disposaient eux, de bataillons de remplacement divisionnaires entraînés et formés ensemble, régionalement.
 
Dans cette crise sanitaire, cette erreur est à ne pas commettre et c’est le risque que nous prenons avec les réservistes. Aujourd’hui en attente, ils auraient pour vocation de renforcer sporadiquement les unités où des personnels seraient malades. Pour les services de réanimation, les réserves sanitaires ont cette même problématique et la stratégie consistant à attendre le besoin avant le déclenchement pourrait avoir un effet relativement négatif en termes d’efficacité.
 
La réalité fait que ce sont aujourd’hui des casernes de pompiers entières qui commencent à être mises en quarantaine. Le choix stratégique doit-être finement réfléchi.

 L’espoir de victoire

C’est dans le domaine sportif ce que l’on appelle le renforcement positif. Enchaîner des microvictoires dans le but de renforcer la confiance en soi et l’habitude de la victoire. Sur une expérience sociale, les membres de deux groupes répondent à un questionnaire identique. Arbitrairement, on déclare à un groupe qu’il a obtenu une moyenne de 7 bonnes réponses sur 10 et à l’autre qu’il a obtenu le résultat inverse. On s’aperçoit alors que, dans une deuxième série de questions, le premier fait généralement mieux que la première fois et le second moins bien. La victoire, même petite, apporte la confiance et facilite la venue d’autres victoires plus importantes. Inversement, selon la formule d’Ardant du Picq “l’homme se rebute et appréhende le danger dans tout effort où il n’entrevoit pas de chance de succès”.
 
Ces microvictoires que génèrent ces vies sauvées dans les services de soin constituent un facteur essentiel du moral et donc, en retour, de l’efficacité tactique. Plutôt que d’applaudir les soignants, la première des victoires stratégiques reste celle du respect du confinement. Le temps de la reconnaissance viendra à son tour, mais il y a bien d’autres choses à faire avant.
 
 Les valeurs

“C’est un vieux proverbe que celui-ci : un gladiateur se décide dans l’arène”
Sénèque
 
Lorsque l’on mène un combat quel qu’il soit, la valeur de la cause pour laquelle on se bat, a une importance considérable.
 
Pour le soignant, le pompier le policier, le gendarme ou le militaire, ce qui représente la partie la plus solide dans l’élaboration de ses pensées sociales, c’est l’idéologie constituée de ses valeurs. Cette base qui est la partie la plus solidement ancrée en chacun de nous, est la plus difficilement modifiable.
 
C’est au combat que vont se confronter les valeurs individuelles des intervenants à celle de la cause qu’ils défendent. L’élan collectif mobilisant l’ensemble de l’humanité dans cette guerre contre le COVID 19, rappelle qu’une troupe ne peut être efficace et solide si elle n’a pas le soutien populaire. Il faut alors saluer dans cet esprit guerrier que la plupart des soignants mettent un point d’honneur individuel, riche d’une noblesse intérieure et d’une intelligence du cœur faite d’altruisme authentique, à servir l’ensemble de l’humanité à travers l’exercice de leur travail.
 
Ces combattants sont d’ores et déjà les héros de toute l’humanité.

Landry RICHARD est l'auteur de "Dans la tête de ceux qui nous protègent " paru chez VA EDITIONS
 
[1] GOYA M. (2014), « Sous le feu », Broché
[2] Charles-Maurice Chenu, op. cit., pp. 227-228.




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