Journal de l'économie

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L’immédiateté et la viralité de l’information ont provoqué des changements radicaux dans nos comportements





Le 2 Mars 2020, par Valéry Mainjot

Valery Mainjot est le cofondateur de CIKISI, logiciel de collecte de données sur Internet. Ancien officier d’infanterie Paracommando et des Forces Spéciales de l’armée belge, il est Ingénieur Civil Polytechnicien diplômé de l’Ecole Royale Militaire et Executive Master en Intelligence Stratégique d’HEC Liège.


Valéry, Vous êtes un spécialiste de la donnée et de la veille informationnelle. Comment analysez-vous la place prise par l'information dans l'économie mondiale et plus globalement dans nos sociétés aujourd'hui ?
 
A ce jour, la donnée occupe une place prépondérante dans l’économie mondiale. La donnée est en effet devenue une ressource à part entière, parfois bien plus importante que les ressources financières, humaines, énergétiques ou les matières premières.
 
Le monde actuel est régi par de nombreux équilibres, financiers, économiques, migratoires mais aussi informationnels. Les citoyens, les entreprises, les États doivent prendre des décisions sur base des données, des informations brutes, qui sont en leur possession.
Au mieux ils sont  informés, au mieux ils prendront des décisions pertinentes, celles maximalisant leurs opportunités tout en minimisant leurs risques. La donnée est donc primordiale.
 
Il faut également souligner que toute information, fusse-t-elle fausse, a un potentiel d’impact. Les démocraties commencent à prendre conscience de cet axiome avec le phénomène des « fake news ».  Mais il en a toujours été ainsi. A titre d’exemple, le début du génocide rwandais a été déclenché à l’aide d’une fausse rumeur lancée sur les ondes radios. Vingt-cinq ans plus tard, la radio a laissé la place aux réseaux sociaux mais les principes de base restent inchangés.
 
Un de ces principes est qu’une information soit fausse, avérée ou certifiée, elle traverse plusieurs étapes dont l’ordre peut varier : production, stockage, dissémination, transformation, consommation, exploitation.
 
Bien entendu, l’économie digitale intervient dans chacune de ces étapes pour tout ce qui concerne les données du web. Certains acteurs créent de la donnée, du contenu. Des sociétés sont responsables de leur stockage et de leur transit, opérations nécessitant à ce jour beaucoup d’électricité et polluant, selon certains experts, autant que l’aviation. D’autres, dont les influenceurs, favorisent leur prolifération, terme lié à la viralité et symbolisant bien le fonctionnement des réseaux sociaux. Certains, qui œuvrent parfois dans plusieurs étapes, les exploitent commercialement. Et enfin, à l’époque du web et des objets connectés, la plupart d’entre nous produisons et consommons de la donnée.
 
Au cœur d’une économie, la donnée brute possède donc une valeur intrinsèque. Pour s’en convaincre, il suffit de constater qu’au sein des sociétés ayant les plus grandes valorisations boursières, on en retrouve plusieurs dont le modèle économique repose simplement sur l’exploitation commerciale de données, comme par exemples Facebook et Google.
 
Pour résumer ces premiers propos, je dirais que nos sociétés sont aujourd’hui immergées dans une immensité de données et que ne pas s’y noyer représente déjà pour elles un premier challenge.
 
Or, à cette immensité est venue s’ajouter la notion d’immédiateté. Un ancien collègue, officier des services de renseignement militaire belges, mentionnait à juste titre que notre société avait notamment basculé du temps long au temps court. Nous sommes bien loin du temps où les nouvelles se propageaient à la vitesse de l’homme ou des pigeons voyageurs. En une seconde vous pouvez être informé de quelque chose se produisant à l’autre bout du monde.
 
L’immédiateté et la viralité de l’information ont provoqué des changements radicaux dans nos comportements face à celle-ci. Nous agissions de façon plus reptilienne, moins raisonnée. Et ceci vaut pour les consommateurs, les citoyens, les entreprises, les États. A titre d’exemple, à ce jour les données et les informations fiables relatives à la menace que représente le coronavirus sont finalement très rares mais elles ont suffi à faire rapidement reculer l’économie mondiale et faire chuter significativement les valorisations boursières des sociétés.
 
Le temps laissé à l’analyse de l’information est toujours plus réduit et les acteurs économiques doivent donc se tenir en veille perpétuelle. Dans certains cas, notamment en cas de « bad buzz » ou d’annonce publique d’une grande entreprise, une heure de différence dans le traitement de l’information peut représenter des enjeux en millions d’euros.
 
Être bien informé mais aussi être informé à temps sont les challenges de nos sociétés et cela se résume par l’expression suivante : « l’information c’est le pouvoir ». Si vous ne consacrez pas un peu de vos ressources à la collecte et au traitement de l’information en temps utile, alors inévitablement vous vous affaiblirez progressivement et laisserez la place à d’autres.
 

Plus spécifiquement, comment décririez- vous le « marché de la donnée » ?
 
Le marché de la donnée est très vaste. Tout d’abord, l’information peut être définie par son caractère public ou privé. On distingue aussi l’information accessible gratuitement et celle dont l’accès nécessite une rétribution financière. Ainsi, la presse en ligne propose par exemple des contenus gratuits et des contenus payants.
 
Ensuite, la donnée proposée aux entreprises peut être de différents formats : des chiffres, du texte, des images, des vidéos, etc.
 
Enfin, et c’est la chose la plus importante, la donnée proposée peut être brute, c’est-à-dire dans son format d’origine initial, filtrée ou, plus intéressant, enrichie. Enrichir une donnée consiste à la lier à des métadonnées, non présentes dans son format initial. A titre d’exemple, la détection de texte au sein d’une image est un processus d’enrichissement. La détection de noms de localités au sein d’un texte et leurs associations à des coordonnées géographiques est un autre exemple d’enrichissement.
 
Il y a une dizaine d’années, le marché a évolué en proposant de plus en plus de grandes quantités de données. C’était l’ère du « Big Data ». Plus récemment, une partie du marché a évolué vers le « Smart Data ». La donnée intelligente est celle qui, suffisamment enrichie, apporte une réelle plus-value aux entreprises.
 

Est-ce cette analyse qui vous a conduit à développer le logiciel Cikisi ? quelles réponses apportez-vous au travers de votre moteur de collecte d’informations ?
 
Tout à fait. L’expérience de notre équipe dans la veille stratégique et la réalisations des études de marché et concurrentielles nous avait permis de dresser plusieurs constats.
 
Tout d’abord, nous avions rapidement pris conscience que la bonne exploitation de l’information disponible sur le web et les réseaux sociaux était devenue primordiale pour les organisations.
 
Si les entreprises avait déjà très bien saisi l’utilité des données internes  avec l’avènement du « Business Intelligence » (B.I.), elles entraient cependant seulement progressivement dans l’ère de l’exploitation des données externes à l’entreprise. On ne parle alors plus de B.I mais de veille stratégique et de « Market & Competitive Intelligence ». Le marché sur lequel nous désirions nous profiler était clairement en croissance, très loin d’être saturé.
 
La majorité des responsables en entreprise peuvent en effet répondre par l’affirmative à l’une des quatre questions suivantes : Êtes-vous parfois noyé par l’information (infobésité) ? Consacrez-vous beaucoup de temps à vos recherches d’information ? Avez-vous déjà raté une information stratégique ? Êtes-vous parfois informé trop tard ?  Ce sont des problèmes réels au sein des entreprises et nous avons décidé d’apporter des solutions.
 
Lorsqu’une entreprise prend conscience qu’un employé passe en moyenne une heure par jour à la recherche d’information sur le web pour des raisons professionnelles et que cela représente donc 13 % du coût de personnel, l’automatisation de la collecte et de la recherche d’information apparait comme une évidence. Adopter Cikisi s’inscrit parfaitement dans la nécessaire digitalisation de l’entreprise.
 
Avant de développer la première version de Cikisi, nous savions qu’une entreprise possédait des besoins informationnels spécifiques et que sa veille devait donc reposer sur un corpus de sources « sur mesure ». Nous nous sommes donc tout d’abord différencié des plateformes généralistes telles que Meltwater fournissant des contenus, publics ou payants, en apportant à nos clients une autonomie totale dans la création de leurs sources mais aussi en offrant un accompagnement dans la recherche, l’identification et la création des sources informationnelles.
 
Nous avions également appris que la plupart des chargés de veille ou responsables Marketing en entreprise n’avaient pas le profil de techniciens du web. Notre première version de Cikisi se distinguait déjà des logiciels de « crawling » par sa simplicité d’utilisation et son ergonomie.

Vous avez lancé un nouvelle version du logiciel en ce début d'année. Quelles en sont les caractéristiques spécifiques ?
 
Après le lancement de Cikisi 1.0, un logiciel de veille, nous avons rapidement décidé d’investir en recherche et développement pour mettre sur le marché une nouvelle plateforme aux capacités plus étendues et totalement différenciée de celles présentes sur le marché. Nous avons fait le choix de passer du « Big Data » au « Smart Data ».
 
Cikisi 2.0, le fruit de deux années de R&D, est à notre connaissance la seule plateforme de « Market Intelligence » offrant trois modes de fonctionnement nécessaires aux entreprises. Ces trois modes sont la recherche d’information (SEARCH), la veille (WATCH) et l’exploration de données (EXPLORE).
 
Le premier mode SEARCH offre à nos utilisateurs la possibilité de créer et de personnaliser leurs propres moteurs de recherche, dédiés à leurs environnements métiers et à leurs thématiques d’intérêt. C’est une énorme plus-value par rapport à l’utilisation de moteurs de recherche commerciaux et grands publics tels que Google. Cette même capacité de recherche est disponible au sein de leurs collections (dossiers favoris), ce qui fait de Cikisi une plateforme active également dans le « Knowledge Management ».
 
Le mode WATCH permet de créer autant de murs de veille thématique que souhaité. Ces murs sont mis à jour en temps réel grâce à une fréquence de collecte de 60 minutes. Ce mode est une évolution de Cikisi 1.0.
 
Enfin, le mode EXPLORE permet d’explorer de grandes quantités de données enrichies par Cikisi et sélectionnées depuis les modes SEARCH ou WATCH. Ceci inclut les représentations cartographiques, les statistiques, les nuages de mots, les cartes de chaleur, etc. Il s’agit d’une capacité supérieure à la simple visualisation proposée par la concurrence.  La possibilité est offerte de combiner des filtres issus de différentes visualisation pour découvrir par itération les pépites informationnelles présentes dans  la grande masse de données. L’exploration de millions de données est réalisée en quelques secondes, grâce à notre maîtrise du Big Data.
 
L’ensemble des modes est supporté par MILA, l’assistante mise à disposition de nos utilisateurs. MILA est un robot utilisant plusieurs technologies dont l’intelligence artificielle pour enrichir, classer et recommander du contenu. Nous avons également étendu notre traitement de l’information à des champs textuels et aux images.  

Vous avez reçu le Digital Wallonia Startup Awards 2019. Que faut-il vous souhaiter pour 2020 ?
Cikisi est une startup belge à l’actionnariat belgo-français réellement tournée vers l’international, ce qui nous a valu cette nomination.  Nous avons en effet déjà des clients au Luxembourg, au Canada, au Maroc et en France. En septembre 2019, nous avons créé Cikisi France SASU afin de développer ce dernier marché, très mature en termes de veille stratégique et d’intelligence économique.

A ce jour, Cikisi a réussi deux challenges très importants, à savoir le développement d’une solution capable de battre les leaders du marché et la démonstration de l’attraction de sa solution auprès de grands comptes de différents secteurs.  Aujourd’hui Cikisi doit entrer dans sa phase de croissance et c’est la raison pour laquelle nous allons lever des fonds prochainement. Vous pouvez donc nous souhaiter que cette levée de fonds nous apportera du « Smart Money » !
 
Valery Mainjot
Administrateur délégué CIKISI
 



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