Journal de l'économie

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L’inflation créée la paupérisation





Le 7 Novembre 2023, par Francis Coulon

Le prix est bien plus qu'un chiffre : c'est le pouls de notre économie. Francis Coulon, ancien directeur financier dans des entités prestigieuses telles que DANONE et LVMH, et auteur du révélateur "Sortir de la société en crise" paru chez VA Éditions, décortique avec finesse les mécanismes qui régissent les comportements d'achat. L'auteur relie les points entre la microéconomie du panier quotidien et la macroéconomie des politiques publiques, suggérant une harmonie possible à travers les principes de l'utilitarisme et de la libre concurrence.


Comment fonctionne le mécanisme de prix dans le cerveau d’un consommateur ? Dans un cerveau humain, il y a des milliards d’informations et pourtant un consommateur ne connaît que quelques prix, disons quelques centaines. Alors il contourne la difficulté en agissant par comparaison. Il a des points de référence, le moins cher, le plus cher, le cœur de marché.
 
L’offre est toujours, plus ou moins, structurée en fonction des prix. Par exemple dans le marché du transport aérien vous avez cinq segments : le low-cost, puis les compagnies internationales avec une proposition segmentée en standard, premium et business et enfin le haut de gamme avec les vols privés.
 
Mais il est un domaine où cette structure est affichée devant les yeux du prospect, c’est celui des produits de grande consommation vendus en grandes surfaces. Lors du passage à l’Euro, j’ai effectué une étude sur une dizaine de familles de produits dans les 14 pays qui passaient à la monnaie unique et j’ai remarqué qu’il y avait une courbe de prix, toujours la même, quel que soit le produit et le pays. En effet, les quantités achetées se répartissent en fonction des prix selon une courbe de Gauss (un U inversé). On trouvait cette forme de courbe aussi bien pour les biscuits en Italie, que pour les yaourts en France, que pour les eaux en bouteille en Hollande, 140 fois la même forme de courbe. C’est-à-dire, que l’on trouve successivement les premiers prix, les marques distributeurs, ces deux catégories représentant de l’ordre de 40% des achats, puis le segment principal des marques nationales, puis le haut de gamme dont le bio, bien sûr moins important mais très rentable pour le producteur et le distributeur.
 
S’il y a une hausse de prix significative, disons 10%, il y a un décrochage brutal car les consommateurs arbitrent leurs achats qui se déportent du plus cher vers le moins cher. C’est ce qui se passe aujourd’hui : le haut de gamme souffre, en particulier le bio ; les marques nationales ont des difficultés et ont du mal à préserver leurs marges, à contrario, c’est une opportunité pour les distributeurs qui se présentent comme les défenseurs du consommateur et en font un argument pour vendre leurs marques propres.
 
L’inflation provoque une déformation de la consommation, un glissement vers le moins cher et donc une paupérisation : le consommateur achète des produits de moindre qualité, les grandes entreprises ont du mal à maintenir leur rentabilité, une bataille se livre entre producteurs et distributeurs. Pire, il y a ceux qui sont obligés de réduire leur consommation et ceux qui sortent du marché et se tournent vers Les Restos du Cœur dont les 2000 centres sont aujourd’hui débordés par la demande.
 
Que faut-il faire ? Inspiré par la philosophie utilitariste et défendant le modèle libéral, mon avis est qu’il faut le plus possible laisser faire le marché. C’est ainsi qu’Adam Smith a montré il y a plus de deux siècles qu’un équilibre se créée naturellement entre l’offre et la demande, dont le point de rencontre est le prix. Comme le confirma Hayek, « le système des prix en régime de concurrence, c’est ce qu’aucun autre système ne permet de faire ». Il faut veiller à préserver ce système d’auto-équilibre, car toute manipulation, gestion autoritaire des prix par le gouvernement est dangereuse car elle crée une instabilité, une illusion sur la valeur des biens. Si j’accepte les politiques d’urgence, les actions coup de poing comme celles proposées par Bruno Lemaire, c’est-à-dire le blocage des prix de l’essence, la création d’un panier anti-inflation de 5000 articles et l’avancée à septembre 2023 des négociations des prix de l’essence entre producteurs et distributeurs, je redoute leur pérennité. En particulier nous nous souvenons du contrôle des prix des années 70/80 qui n’enraillait pas la « spirale inflationniste prix-salaires ». Le gouvernement n’arrivait pas à casser l’inflation, qui pouvait dépasser 10% et nous n’en sommes sortis qu’en abandonnant le blocage des prix à la fin du mandat de Raymond Barre. Le meilleur levier reste la concurrence. Les distributeurs ont les outils pour la faire jouer, avec leurs marques propres ; De leur côté la meilleure parade pour les industriels reste l’innovation, la compétitivité hors prix. Que les meilleurs gagnent, pour le plus grand bien des consommateurs !
 
Si l’on passe de la microéconomie à la macroéconomie, on retrouve la même problématique, c’est-à-dire que l’inflation mange le pouvoir d’achat des ménages. La hausse actuelle des prix de l’énergie importée, qui ne représente que 44% pour la France grâce au nucléaire, est un prélèvement de l’étranger sur la richesse nationale qui contribue à alimenter l’inflation. Pour faire face à cette paupérisation, le gouvernement a été contraint de prendre des mesures de court terme en aidant les plus vulnérables. Mais seule une action à long terme apportera une vraie réponse, et pour cela, il y a deux leviers majeurs : 1) Diminuer notre dépendance énergétique par le développement du nucléaire et du renouvelable. 2) Jouer la carte de la « croissance verte », qui allie au levier de l’innovation la frugalité. Au global, cela permettrait d’améliorer notre compétitivité.
 
La transition énergétique est une menace mais aussi une opportunité. Elle va rebattre les cartes et nous devons en profiter en mettant en œuvre une politique de l’offre créative. C’est aux industriels à la mener, mais c’est aussi une occasion donnée au gouvernement de développer une « politique industrielle » et de se positionner plus en facilitateur qu’en concurrent ou qu’en contrôleur de la sphère privée.




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