Votre texte met en évidence un lien fort entre les penseurs anglo-saxons qui semble se transmettre entre les générations. Comment ceci contraste-t-il avec d’autres traditions philosophiques, en particulier avec la tradition française ?
Il y a effectivement un continuum empirisme-utilitarisme-libéralisme, une longue lignée de philosophes anglo-saxons communiquant entre eux de génération en génération. Les britanniques « jouent collectif » et tout se transmet de père en fils : de James Mill à John Stuart Mill, mais aussi par filiation spirituelle, comme l’évoqua Bentham : « J’étais le père spirituel de Mill, et Mill, le père spirituel de Ricardo, de sorte que Ricardo était mon petit-fils spirituel ». De même Alfred Marshall déclara que Sidgwick avait été « son père et sa mère spirituels ». A l’opposé, les penseurs français contemporains de ces philosophes utilitaristes sont plus individualistes tels que Rousseau, Montesquieu, Voltaire. Cette différence me paraît lié au pragmatisme anglo-saxon qui recherche la convergence, le consensus, alors que les penseurs français veulent plutôt s’illustrer par l’originalité de leurs idées.
Vous faites référence à la philosophie utilitariste comme fondement de l’économie moderne. Comment voyez-vous la relation entre les principes utilitaristes et les décisions économiques actuelles ?
L’utilitarisme, en tant que philosophie conséquentaliste, s’intéresse aux impacts des politiques publiques et non à leurs motifs. Peu importe que les intentions des gouvernements soient excellentes si elles n’apportent pas de bien-être au plus grand nombre de citoyens. Tout découle du principe d’utilité « Le plus grand bonheur, pour le plus grand nombre ». Son application sur le plan de l’économie politique va être de rechercher la solution qui donne le meilleur bilan coûts / bénéfices pour l’ensemble des parties concernées. Cela peut paraître évident, mais si l’on examine les réformes récentes, on constate souvent qu’elles n’ont pas reçu l’approbation du peuple car elles paraissaient soit peu efficaces, soit injustes. Par exemple la dernière réforme des retraites a surtout été critiquée parce qu’elle ne prenait pas en compte deux situations spécifiques : les carrières longues et les carrières hachées surtout féminines. L’utilitarisme réclame de n'oublier personne et de traiter tous les groupes sociaux avec équité, c’est-à-dire en prenant en compte leurs particularités et leurs besoins.
Vous insistez sur le rôle clé de John Stuart Mill en matière d’économie politique. Quels ont été ses apports majeurs ?
John Stuart Mill est considéré aux États-Unis comme le plus grand économiste du XIXème siècle. Mill est le grand théoricien des libertés et il a montré qu’un contexte libéral était le système le plus porteur de croissance et de prospérité. A une époque où Proudhon et Marx critiquent la propriété individuelle, il la défend. Or, des études récentes au niveau mondial ont montré que les pays où la propriété privée était la mieux protégée étaient ceux qui avaient la meilleure réussite économique, alors que les autres échouaient et stagnaient.
Il se posait alors une autre question à laquelle Mill va répondre avec précision : Cette réussite profite-t-elle à tous ou est-elle confisquée par une minorité de privilégiés ? Sur le plan des politiques publiques, John Stuart Mill a été le premier à scinder les objectifs économiques entre d’une part la création de richesse et d’autre part sa répartition. Et Mill a affirmé que la répartition était une décision, un choix politique. Dans les décisions économiques que nous devons prendre aujourd’hui, on retrouve bien ces deux moments : D’abord, quelle est l’efficacité des mesures proposées ? Puis, sont-elles justes, profitent-t-elles à tous, n’a-t-on oublié personne au bord du chemin ?
Je conclurai avec Michel Foucault : « L’utilitarisme, c’est une technologie de gouvernement ».
Il se posait alors une autre question à laquelle Mill va répondre avec précision : Cette réussite profite-t-elle à tous ou est-elle confisquée par une minorité de privilégiés ? Sur le plan des politiques publiques, John Stuart Mill a été le premier à scinder les objectifs économiques entre d’une part la création de richesse et d’autre part sa répartition. Et Mill a affirmé que la répartition était une décision, un choix politique. Dans les décisions économiques que nous devons prendre aujourd’hui, on retrouve bien ces deux moments : D’abord, quelle est l’efficacité des mesures proposées ? Puis, sont-elles justes, profitent-t-elles à tous, n’a-t-on oublié personne au bord du chemin ?
Je conclurai avec Michel Foucault : « L’utilitarisme, c’est une technologie de gouvernement ».