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La Chinafrique : un projet qui avance…





Le 25 Mars 2019, par Régis LOUSSOU KIKI


Partenaire commercial de la Chine depuis plusieurs siècles, l’Afrique est un terreau d’opportunités pour l’empire du Milieu particulièrement fertile à partir des années 2000. Le « berceau de l’Humanité » est désormais davantage tourné vers l’Est que vers l’Europe ; sa conquête multidimensionnelle par la Chine inquiète autant qu’elle fascine. Entre opportunités de développement et néocolonialisme, quelle réalité revêt la présence chinoise en Afrique ?

Pékin a opéré sur le contient une percée commerciale spectaculaire : les échanges bilatéraux entre la République populaire et les pays africains passent de 12 milliards à 200 milliards de dollars entre 2000 et 2012, faisant aujourd’hui de la Chine le premier partenaire commercial de l’Afrique. D’abord vouée à la recherche de fournisseurs de matières premières nécessaires au fonctionnement de « l’atelier du monde », la « conquête » à laquelle on assiste aujourd’hui est au cœur du jeu d’influence voulu par le Président de la République populaire Xi Jinping. Concrètement, la Chine finance des infrastructures (bâtiments, télécoms) indispensables au développement de nombreux pays africains – les entreprises chinoises y signent plus du tiers de leurs contrats internationaux de projets d’infrastructure. Ce soutien à l’activité économique a pour but de créer une classe moyenne susceptible de consommer les marchandises chinoises à l’exportation ; la vente d’une quantité croissante de produits manufacturés bon marché participe ainsi à l’internationalisation des firmes chinoises. On surnomme Angola model ce système qui consiste pour la Chine à acheter des matières premières (notamment du pétrole) via des constructions d’infrastructures, contribuant ainsi à attacher le pays client aux entreprises et financements chinois, ainsi qu’à la main-d’œuvre correspondante – en grande partie chinoise.
La stratégie de la République Populaire de Chine repose sur une logique de partenariat dont l’essence même est de rompre avec la vision occidentale du commerce en Afrique, associé à du pillage ou des pratiques déloyales. Faisant fi de toute exigence démocratique, l’approche de Pékin lie aide au développement, commerce et investissement (à la différence de l’idée européenne séparant aide et business) [1] pour espérer un retour sur le long terme. Les nombreux prêts à taux zéro, par exemple, ont un intérêt géopolitique majeur ; la Chine utilise les pays africains comme laboratoire pour ses ambitions internationales croissantes. Souvent exagéré par la presse occidentale [2] , l’accaparement de terres (land grabbing) est devenu une composante importante de cette stratégie avec la diminution des terres cultivables en Chine continentale. Pékin développe donc ses entreprises agroalimentaires en Afrique, continent qui possède 31 % des terres arables non cultivées de la planète.

En parallèle du volet économique, l’influence chinoise s’étend à diplomatie et la culture. Pékin développe fait ainsi preuve d’activisme diplomatique avec chacun des 54 pays : ce nombre important est l’assurance d’un soutien de poids dans les instances internationales, l’ONU notamment. Des relations bilatérales permettent de prendre en compte les disparités entre ces pays et de traiter au cas par cas des dossiers aussi épineux que l’éviction de Taiwan d’Afrique. L’attention des dirigeants chinois se focalise en premier lieu sur les États qui, de fait de leurs richesses en ressources naturelles ou de leur puissance régionale, sont les plus susceptibles de contribuer à faire grandir l’influence chinoise : l’Afrique du Sud (membre des BRICS [3] depuis 2011), ou encore le Nigéria, l’Égypte et l’Éthiopie. Au-delà de ces priorités, la Chine est présente partout, indifférente vis-à-vis de l’orientation stratégique des pays africains qu’elle approche, mais obtenant de facto une influence importante dans leur politique étrangère. Les autorités du Parti-État envoient chaque année un nombre impressionnant de délégations, qui s’assurent que les pays africains, même les plus puissants, évitent les sujets qui fâchent [4].

Le softpower de l’Empire du Milieu trouve sa force, entre autres, dans les 46 instituts Confucius qui ont vu le jour dans trente pays africains depuis 2005. La propagande médiatique du Parti Communiste Chinois joue un rôle clé à travers la présence d’un nombre accru de journalistes chinois sur place et l’élaboration de divertissements spécialement conçus pour séduire un public africain. Le tourisme et l’immigration entre les deux entités se développent exponentiellement, contribuant à diffuser le modèle de réussite économique chinois, de plus en plus populaire auprès des Africains. En conséquence, les objectifs économiques et stratégiques sont rejoints par un impératif sécuritaire. La présence croissance d’une main-d’œuvre et d’une diaspora chinoises favorise les incidents – la nécessité de contrôler les risques locaux et de sécuriser ses ressortissants est un défi pour l’avenir de la Chine en Afrique.

Cette approche multidimensionnelle correspond parfaitement à l’idée mère de la Belt Raod Initiave (BRI) [5] de Xi Jinping, au sein de laquelle une grande partie de l’Afrique orientale est incluse. L’accent mis sur le softpower, tout comme l’importance donnée à la coopération militaire et à la vente d’arme [6] , sont les symboles d’une Chine tirant profit de tous les leviers de puissance à sa disposition. Les institutions supranationales ne font pas exception : les partenariats sont régulés par plusieurs sommets, en premier lieu desquels se trouve le Forum of China-Africa Cooperation (FOCAC), créé en 2000 – l’occasion pour Pékin de mettre en avant, dans son discours, le régionalisme africain et de distribuer d’importantes enveloppes. Les touches de multilatéralisme que constituent ces forums contribuent à rehausser le statut particulier de la Chine sur ce continent tout en consolidant le caractère mondial de la puissance chinoise.

De son côté, une Afrique en besoin de financement bénéficie d’investissements détachés de toute politique interventionniste, loin des « donneurs de leçons » occidentaux en matière de démocratie et de droits de l’homme. Le discours altruiste modernisateur européen laisse place à une apparente solidarité « Sud-Sud », une coopération qui se fonde sur la non-ingérence de la Chine dans les affaires intérieures des pays africains – et qui place l’argument anticolonial au cœur de l’influence chinoise sur le continent. Des critiques émergent néanmoins : l’utilisation d’une main-d’œuvre presque uniquement chinoise, la mauvaise qualité des produits importés depuis la Chine, la raréfaction des matières premières en sous-sol, ou encore l’arrivée incontrôlée d’une nouvelle diaspora [7] . En parallèle, le niveau d’endettement important de certains États à l’égard de la République populaire devient préoccupant. Pour beaucoup, la Chine avance ses pions à la manière d’un vaste conglomérat politico-économique. Le géant asiatique, derrière l’écran de fumée du discours « gagnant-gagnant », considère avant tout l’Afrique comme un marché, lieu de rivalités économiques – qui excluent toute coopération, par exemple, avec les opérateurs occidentaux implantés sur place. Cette idée a contribué à faire des relations avec la Chine un sujet de débat politique et électoral en Afrique. Pour autant, l’emprise de Pékin doit être nuancée : terrain fragmenté et asymétrique, les influences issues de la colonisation tendent à maintenir un équilibre entre la Chine et les autres puissances présentes sur le continent. Si le modèle chinois de développement autoritaire peut séduire une certaine élite africaine, il ne remet que peu en cause les traditions politiques locales.

La « Chinafrique » ferait-elle passer les influences européennes et françaises au second plan ? De fait, ce que Paris a délégué à Bruxelles en matière de coopération ne s’est pas traduit par un supplément d’influence ou de puissance européenne sur le continent noir. Pour autant, le regard de la communauté internationale sur la politique africaine de la République populaire enferme Pékin dans un véritable « paradoxe de la puissance » : la Chine est tiraillée entre les attentes de ces pays occidentaux (notamment en termes de sécurité et de droits de l’homme) qu’elle ne peut ignorer en raison de son statut de puissance mondiale de premier plan, et les principes qui fondent sa présence en Afrique, à savoir la non-ingérence dans les affaires politiques internes. L’avenir des relations entre ces deux entités est pour le moins incertain : si la croissance africaine est indéniablement tirée par la Chine, les pays du continent ne pourront pleinement bénéficier de la présence chinoise que si la nature de la Chinafrique évolue, plaçant le transfert de technologie et la création d’emploi au cœur d’un partenariat qui donne du sens à la rhétorique « gagnant-gagnant ». Cette condition remplie, peut-être l’Afrique est-elle amenée à devenir un marché « miroir » de l’Empire de milieu, fort tout comme lui d’un milliard de consommateurs et d’une classe moyenne en progression rapide.

Régis LOUSSOU KIKI, Fondateur du Cabinet Régis & Associés
 
[1] La République Populaire de Chine adopte la notion d’« aide » à compter du Livre blanc sur l’aide au développement d’avril 2011, préférant avant cela les termes « coopération gagnant-gagnant » ou « assistance mutuelle ».
[2] République Démocratique du Congo mise à part, la taille de ces exploitations chinoises demeure relativement faible.
[3] L’acronyme BRICS désigne un groupe de cinq pays qui se réunissent depuis 2011 en sommets annuels : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.
[4] Par exemple, en 2009 et à nouveau en 2012, en dépit des critiques intérieures, le président sud-africain Jacob Zuma refusa fermement d’accorder un visa d’entrée au dalaï-lama.
[5] Baptisé One Belt, One Road (OBOR) en 2013 par Xi Jinping, l’initiative BRI (littéralement ceinture et route, couramment appelée « nouvelles routes de la soie ») est un gigantesque projet de liaisons maritimes et terrestres reliant la Chine à l’Europe.
[6] La Chine est devenue le principal fournisseur en armements de l’Afrique subsaharienne (Afrique du Sud exclue), soit 25 % du total.
[7] Cette diaspora, bien que numériquement faible à l’échelle de l’Empire du Milieu, impacte fortement les sociétés africaines.



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