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La Chine sera-t-elle la première à annoncer la fin du cash ?





Le 16 Avril 2020, par Agnes Boschet


La Chine sera-t-elle la première à annoncer la fin du cash ?
Si la Chine a su construire un hôpital en 10 jours, peut-elle accélérer le développement du pilote e-Yuan souverain pour griller les autres puissances ? Et dans quel but ? Communication d’influence ou réalité ?

En Chine, on dit que « Crise » est synonyme d’opportunité. Les crises ont toujours fragilisé les acteurs en place à la faveur des plus agiles. Le moment serait-il venu d’un reset complet du système international ? Le lancement de e-Yuan grillerait-il toutes les étapes des tests internationaux en cours ? 

Le crypto-yuan a été approuvé par le Conseil d’État chinois mi 2019 et représente un avantage concurrentiel. La Chine rêve d’une zone d’influence « dédollarisée » pour mieux internationaliser à terme sa devise. Depuis 2010, Pékin se donne les moyens de reconstituer son stock d’or pour réduire sa dépendance aux 4000 milliards de dollars de réserves et aurait déjà acquis 10 % de la réserve mondiale.
La situation des émergents endettés en dollar est favorable à une demande élevée de dollars pour des raisons techniques. Le dollar reste le solide référent et la Fed peut continuer à faire jouer le Quantitative easing sans vergogne. En réaction aux blocus américains, de nombreux pays tels l’Iran, la Russie, le Venezuela et bien d’autres ont développé une cryptomonnaie pour continuer à commercer dans le pays et échapper aux sanctions. Côté européen, la fragmentation et la désunion croissante fragilisent l’euro.  
Après la rupture 5G, c’est le « time to market » pour la Blockchain. La technologie est sur étagère et la Chine sait s’en servir. Pékin a terminé la phase de Pilote du e-Yuan en 2019 et se lance dans le déploiement de la phase 2. La Banque Centrale de Chine, en partenariat avec les entreprises privées Alibaba, Huawei et Tencent, finalise le « Test & learn » à grande échelle qui repose sur le déploiement des 2 pilotes « Blockchain as A Service » et « 5G » qui démarrent le premier semestre 2020. Il ne restera plus qu’à rédiger les différentes normes et lois qui permettront la mise en circulation de la monnaie de banque centrale (Digital Currency Electronic Payment). 

Le DCEP chinois, basé sur Ethereum, est une version numérique du yuan qui reposera sur une séparation à deux niveaux, avec la People’s Bank of China référente et les banques commerciales en dessous. Le e-Yuan sera distribué aux plus grandes banques du pays pour favoriser le paiement électronique et faire disparaître le cash. Le but est de surveiller les transferts et les financements illégaux qui plombent la croissance intérieure ; le « 6e Poison ». À terme, le but est de remplacer la monnaie de réserve afin de favoriser la circulation et l’internationalisation du renminbi.
Dans le cadre du pilote, le système Digital Currency Electronic Payment devrait être mis à disposition de 4 grandes institutions financières d’État, l’Industrial and Commercial Bank of China, la Bank of China, la China Construction Bank et l’Agricultural Bank of China, ainsi que les trois géants chinois des Télécoms, China Telecom, China Mobile et China Unicom.

Un article paru dans Ambcrypto.com du 15.11.19, précise qu’une première période de test pour le DCEP a débuté en 2019 dans les provinces à forte concentration de population : Shenzhen, Hebei et Zhejiang et a pour cible les secteurs de la mobilité, de l’éducation, du commerce et les soins médicaux. 

Le lancement du Test a été officiellement annoncé en 2014, et dans le prolongement, il existe une cotation virtuelle du Yuan Chain Coin (YCC) qui tourne depuis 2018. Le 12 avril 2020, le « Yuan Chain Coin » était provisionné à hauteur de 10 000 000 000. Il se négocie sur 4 marchés actifs avec 264 006 732 $ échangés au cours des dernières 24 heures : https://www.yuan.org/    

Alibaba, compte tenu de son expertise en matière de paiement électronique, semble être la seule entreprise mandatée pour diriger le pilote. En 2018, Presse-citron.net soulignait que la Fintech AntFinancial s’engageait via Alipay, à dispenser des transferts d’argent plus rapides, moins chers et plus transparents. Alipay fit ses débuts comme solution d’enchères en ligne dans les années 2005, mais c’est surtout son système de paiement, fonctionnant sur un système de QR Code qui a révolutionné les usages. Le paiement est effectué et la facture arrive instantanément par email ou SMS. Cette expérience réalisée sur une vaste échelle d’e-consommateurs constitue un terreau fertile pour tester un modèle évolutif basé sur la Blockchain. La conversion des yuans en crypto-yuans se fera donc naturellement. 

Entre mi-février et mi-mars 2020, Alipay a publié cinq brevets relatifs à la monnaie de banque centrale. Ceux-ci portent notamment sur l’émission, l’enregistrement des transactions et les wallets dans le registre « Implementation and Electronic Equipment of CBDC transaction. ». Cependant, le brevet déposé le 21 février ferait plutôt état d’un système de traçabilité de la devise qui ne repose pas sur une blockchain, mais reprend les caractéristiques de la traçabilité on-chain. 

Le journal chinois Interchain Pulse déclarait en mars 2020 : « qu’Alipay pourrait avoir le rôle d’émetteur secondaire de la monnaie numérique. Cela placerait l’entreprise au même niveau que les banques commerciales traditionnelles, qui perdraient ainsi leur monopole dans le domaine. Alipay pourrait donc avoir le droit d’émettre des crypto-yuans. Mais l’information la plus importante est ailleurs. Elle concerne la possibilité de retracer ces monnaies numériques qui ne reposeront pas sur la blockchain, mais sur un dispositif qui doit permettre la même transparence dans la gestion des transactions. Alipay propose une solution permettant de retrouver toutes les transactions, selon un système de tri chronologique. Un brevet en relation à celui-ci expose la technique de chiffrement de cette technologie qui positionnerait les émetteurs secondaires comme Alipay dans une position similaire à un nœud de blockchain. » Ces informations pourraient laisser supposer qu’il y aurait encore plusieurs étapes dans le déploiement du e-Yuan. 

D’après la société de recherche japonaise Astamuse (21.11.19), les demandes de dépôt de brevets relatifs à la technologie Blockchain émanant de la Chine représentaient 60 % du total des demandes pour la période 2009-2018. Alibaba Group Holding enregistrant à lui seul 512 brevets. En 2017, People’s Bank of China trustait la première position du classement avec 68 brevets déposés pour 33 en faveur de Bank of America. Et sur la même période en Occident, l’entreprise nChain aurait déposé 468 brevets et 248 demandes émaneraient d’IBM. 

À l’occasion de la réunion du Bureau Politique du Parti Communiste du 24 octobre 2019, le président Xi Jinping déclarait sa volonté d’accélérer le développement de la technologie Blockchain en Chine comme substrat « dans le nouveau cycle d’innovation technologique et de transformation industrielle » du pays.

En parallèle du Crypto-Yuan, le Blockchain Services Network (BSN), le réseau national de blockchain du pays devait être mis en service en avril 2020 et c’est désormais chose faite. Le 15 avril, CNBC annonçait le lancement du « Comité technique national de normalisation des technologies de la Blockchain ». La plateforme permettra aux projets locaux de déployer facilement leurs applications basées sur la Blockchain sans avoir besoin de développer une infrastructure privée de technologie de registre décentralisé (DLT). Huawei, Tencent, Baidu, Ant Financial et JD.com constituent le brain-trust qui guidera le déploiement des tests à grande échelle et finalisera les recommandations en termes de normes internationales pour la technologie Blockchain. 

En réaction au projet Libra supporté par Facebook, le Go a été donné à Davos en janvier 2020 pour créer un Consortium international visant à définir un cadre réglementaire pour les cryptomonnaies. Il sera composé de banquiers centraux, d’entreprises et d’ONG. Toutes les puissances sont dans les « startingblocks » pour accélérer leurs projets de stablecoin [1]  comme nouvel outil des Banques Centrales. Libra est une monnaie électronique qui s’échange de pair à pair sur un système décentralisé. Libra est un stablecoin dont la valeur serait indexée sur des devises locales afin d’éviter les fluctuations, mais serait un panier à dominante dollar à 50 %. Certains experts estiment que la Fed finira par avaliser le projet.

La Chine a très vite perçu le projet Libra comme l’extension de l’hégémonie américaine sur son projet de crypo-Yuan sur le continent africain et ailleurs. Ayant réussi à écarter Visa et Mastercard de son territoire, elle ne reculera en rien pour accélérer la mise en œuvre de la stratégie garante de sa souveraineté. Aujourd’hui, d’ailleurs, dans le contexte de crise sanitaire Covid-19, elle n’hésite pas à communiquer sur le risque inhérent à l’usage du cash comme possible vecteur de contamination. N’est-ce pas là un message adressé au monde pour signifier qu’elle est prête à accélérer le déploiement de son crypto-Yuan ? 
L’État-parti doit stimuler son économie par la relance intérieure et il a de nombreux atouts reposant sur une population rompue à l’usage du mobile. Dans le pays, depuis fin 2019, les médias mainstream  supportent la communication d’État sur la base de sa nouvelle blockchain VechainThor. VeChain (VET), basée sur Ethereum. Lancée en 2017 par la Fondation VeChain (Singapour), elle est spécialisée dans la traçabilité et la lutte contre la fraude. Est-ce le fait que VechainThor possède une partie centralisée qui stimule le PCC à la soutenir pour acculturer les esprits citoyens ? Toujours est-il que China Media Group (CMG), encourage l’adoption de VechainThor à grand renfort de spots vidéo arguant du fait qu’elle a été choisie pour sécuriser l’application 5G Yangshipin gérée par l’État chinois. Le message rassure puisque la traçabilité et la lutte contre la fraude sont des préoccupations majeures des consommateurs chinois. Cette démonstration par l’exemple témoigne du comment, la Chine pourrait rapidement lever les freins qui sous-tendent encore les expérimentations à grande échelle des cryptomonnaies. L’ère est au changement de paradigme et l’on peut se demander si la Chine de Xi Jinping ne serait pas le chef de file qui posera les bases du premier e-État du XXIe siècle.

L’Empire du Milieu est premier en matière de dépôt de brevets pour les deux technologies 5G et Blockchain et compte bien garder l’avantage, d’autant qu’il peut désormais compter sur quatre de ses représentants qui siègent à la tête de quatre des institutions internationales qui comptent : FAO (Food & Agricultural Organisation), OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale), UIT (Union Internationale des Télécommunications) et ONUDI (Organisation pour la Promotion du Développement Industriel des Pays en développement). La stratégie d’influence adoptée par le PCC s’est renforcée tous azimuts in et out. La diplomatie technologique chinoise répond à la technologie américaine en brandissant l’étendard 5G et Blockchain. 

L’Europe a manqué le précédent virage technologique Blockchain/5 G. Est-ce l’occasion de réaffirmer sa souveraineté par la e-monnaie ? La Chine et les USA ont de l’avance. L’Europe fragmentée semble handicapée et peu armée pour renverser la vapeur, mais Christine Lagarde, à la tête de la BCE, y est favorable depuis longtemps. En saisissant l’occasion de tester le e-Euro, la « startup nation » se rêve-t-elle à nouveau en Diva ? La France est la championne de la normalisation financière. S’imagine-t-elle pouvoir à nouveau réinstaller son influence à l’échelle internationale via une e-monnaie aux substrats normatifs made in France ? Après l’échec du cloud souverain, la France est prête à jouer son va-tout et c’est la BCF qui expérimentera la future monnaie digitale de banque centrale (MDBC) sur les transactions « de gros ». Mais quoiqu’il en soit, le retard à l’allumage est réel et ce n’est pas dans la crise globale actuelle que l’Europe administrative pourra accélérer son e-projet.

Selon le Journal du Coin, en date du 25 mars 2020, le digital dollar quant à lui, semble avoir été retiré de la version du projet « Take Responsibility for Workers and Families Act ». À ce stade, la première puissance mondiale ne peut se faire de l’autoconcurrence et risquerait de se décrédibiliser. Le FMI et les Démocrates sont en faveur et considèrent que les CBDC (Central Bank Digital Currency) sont de bons vecteurs d’inclusion financière et faciliteraient le lancement d’entreprise. Libra pourra-t-elle alors tenter sa chance face à la monnaie du peuple « Renminbi » ?


Agnès Boschet, coauteure de : « Chine digitale, dragon hacker de puissance », Agnès BOSCHET, Jessica Chimenti, Thomas Duval, Nicolas Mera Leal 

[1]  Le stablecoin est un type de cryptomonnaie dont la valeur est stable, car basée sur celle d’un autre actif, à type de monnaie fiduciaire. Les stabelcoins cherchent à résoudre divers problèmes à type de : réduction de la volatilité, des frais de conversion et de la taxation.
 



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